« let's match the cadence of our pulse to the rhythm of our thougts »Un crissement dans l'air. Son pied touche le sol et son œil clair observe la boîte aux lettres. Les petites mains blanches fouillent la sacoche de cuir et en sortent l'espoir emballé dans une enveloppe. Ses traits enfantins s'étirent en sourire quand son bras fin se tend vers la boîte pour y déposer les sentiments. Après avoir pris une grande inspiration, il s'aperçoit d'un détail. Le bandage est mal attaché. Avec soin, il enlève sa casquette et noue à nouveau la bande blanche autour de sa tête. Elle passe entre les cheveux d'or. Il a l'impression de ressentir quelque chose quand il frôle l'emplacement de son œil gauche. Le vide laissé par son absence l'a en quelque sorte marqué. Et la pensée s'efface, il doit reprendre son travail. Alors il enfourche à nouveau son vélo et sa silhouette d'enfant disparaît dans l'air matinal.
« I will sing a song that fights off the beast that interrupts your dreams »L'unique œil jaune parcourt le visage dans le miroir, y cherchant quelque chose. Est-ce que, seul dans cette pièce, il est encore quelqu'un ? Lui qui se laisse emporter par les émotions des autres, en a-t-il qui lui sont propres ? Il aimerait bien ressentir cette peine si forte, ce désarroi qui terrasse les autres. Au moins, ça lui montrerait qu'il ressent par lui-même quelques fois. Mais rien. Il n'a pas envie de pleurer, ni de rire, ni de sourire, ni de vivre. Ses mains blanches s'arrêtent sur ses traits figés. Elles sont froides. Son cœur aussi. Et il ne sait même pas s'il apprécie ou non cela.
Mais ce n'est pas le moment de se poser ce genre de questions, il faut qu'il aille porter le courrier aux âmes. Ça, il aime bien. Il aime voir les visages s'illuminer en apercevant les petits morceaux de papier et les remerciements qu'il obtient des plus gentils. Des fois, les gens lui racontent leurs problèmes quand il leur donne leur courrier et lui les écoute attentivement. Il ressent tout si intensément, surtout les émotions des autres. Et face à ça, il ne peut rien. Les sentiments se jouent de lui, il n'est que leur marionnette et il le sait bien. Mais ça le rassure un peu de se rappeler qu'il peut en avoir. Quand il s'aperçoit qu'il n'existe pas vraiment, ça lui fait tellement peur alors il cherche ce que les autres peuvent lui apporter. Colère, tristesse, joie, tout lui convient tant que ça le submerge.
Les croyances aussi se jouent de lui. Il les absorbe, il s'en persuade. Oui, les pâtes poussent sur des arbres et les chats aboient. On lui a dit alors c'est vrai. Après tout, les gens sont tous honnêtes et aimables. Et quand ils ne le sont pas, ils ont une bonne raison de ne pas l'être. Crescent ne leur en veut pas d'avoir un peu trop vécu. Il se contente de leur sourire et de sentir leur vie qui se déchaîne en lui.
« sleep tight »Les yeux de Crescent sont faits de verre. Une personne lui a dit pourquoi. On dit que les yeux sont le reflet de l'âme. Mais lui, ses yeux ne reflètent pas son âme ; il n'en a pas. Tout ce qu'ils reflètent, c'est la personne en face de lui parce que c'est elle qui constitue ce qu'est Crescent à cet instant.
« tonight I will fly high and illuminate the sky »Il n'existe pas, pas encore. Il n'a pas de corps, n'est nulle part. Pourtant, il ressent tout si fort. La tristesse de cette petite brune, la joie de cet homme blond. Leurs émotions sont devenues siennes. Et c'est en prenant conscience de tous ces sentiments qui flottent dans l'air qu'il a voulu le respirer. Alors il est apparu. Un petit garçon blond aux yeux jaunes. Il s'imbibe des émotions en inspirant et arbore un sourire. Celui-là, il sera éternel.
Il ne se pose pas beaucoup de questions, s'installe dans la capitale, devient facteur. Dans la capitale, il y a beaucoup d'émotions et le métier de facteur lui convient alors tout va bien. Sur son vélo jaune, il traverse les rues en les apprenant par cœur rien que pour voir les sourires sur les visages. Mais une pierre heurte sa roue et il tombe. Un de ses yeux se brise sur le sol et il regarde avec désarroi les restes de son œil. Même avec de la colle, ça ne lui paraît pas réparable. Soucieux de cette partie de lui-même, il ramasse les morceaux de verre et continue sa tournée.
Pendant qu'il roule, il sent bien la peur que suscite son orbite vide. Il décide donc de se mettre un bandage, pour éviter d'effrayer les gens. Et, petit facteur rafistolé, il continue de livrer patiemment le courrier aux gens rien que pour les voir sourire.