C'était évident. Ce crime que j'avais commis ne pouvait pas être impuni. J'avais eu une vie bien rangée pourtant. J'étais marié, j'allais être père et surtout... j'avais un job que j'adorais. Entrer dans la police était un rêve d'enfant, un rêve commun à beaucoup de petits garçons. Mais alors que bon nombre d'entre nous dérivaient pour devenir mécano, commerçant ou dealer, j'avais accompli mon rêve. J'avais bossé dur pour y parvenir et de ce fait, je m'étais mis dans la peau du flic que je rêvais de devenir, très tôt. Le premier que j'avais à l'oeil, allait aussi être le plus important et le plus tenace : mon petit frère, Alex. Il faisait les 400 coups, et, poussé par mes parents fatigués de voir leur position parentale leur échapper, je passais mon temps à courir après lui, quand je n'étais pas plongé dans mes cours. Alors oui, j'étais vite devenu autoritaire et c'était un mal pour un bien, autant qu'un bien pour un mal. Je parvenais parfois à tempérer mon frangin, mais du coup, nos rapports n'étaient pas des plus chaleureux. J'étais ennuyeux et saoûlant à ses yeux alors que lui, m'apportait par ses sourires enfantins, une chaleur que personne d'autre ne pouvait faire naitre en moi. Et je croyais en lui, au fait qu'il était une personne incroyable, et bon, malgré les apparences. Cependant, je refusais de le montrer et surtout, de l'avouer. Car Alex est ma faiblesse et s'il en était venu à le découvrir, il en aurait joué de multiples façons.

Alors imaginez ma réaction lorsque, peut après que je sois passé inspecteur, mon supérieur m'ait annoncé les circonstances de sa mort. Dans un premier temps, j'étais anéanti. L'enquête m'avait était refusée bien évidemment, mais plus encore: j'avais été suspendu, le temps de digérer la chose, ce qui m'avait mis dans une colère noire. Ma femme, enceinte, ne parvenait pas à me calmer et finalement, j'ai fini par mener mon enquête seul, utilisant la fidélité de mes informateurs que je payais gracieusement. Mon rythme de vie, propre et bien mené, déclinait. Le maniaque, bourreau de travail que j'étais se perdait dans les recherches, à la poursuite du salaud qui m'avait enlevé l'être auquel je tenais le plus au monde. Rien que la pensée de ne plus jamais écouter les rires d'Alex, ne plus avoir l'occasion de l'engueuler, ne plus entendre parler de lui... Ca m'était insupportable. Les semaines s'écoulaient, mon hygiène était devenue déplorable, lorsqu'enfin on m'informa de la position géographique du fils de pute qui avait tiré deux balles sur mon frangin. Ni une, ni deux, je m'étais alors rendu sur place. Ce qui était con, c'est qu'il n'était pas loin du commissariat. Je m'en foutais royal. Il faisait nuit, et je profitais de le voir s'engouffrer dans une impasse pour le prendre au piège.
Je n'étais plus flic, je n'étais plus homme. Je n'étais plus qu'une forme de vie guidé par la haine, la colère et la vengeance. Mon arme m'avait été retirée, aussi c'est avec l'épée que mon professeur d'escrime m'avait offert quelques années plus tôt que je tailladais de part en part, sans hésitation, le déchet qui ne méritait pas plus que moi de continuer à vivre. Il était armé, lui aussi, mais n'a pas eu le temps de pointer son 9mm, mère des deux balles tueuses de mon frère, sur ma personne. J'étais rapide et aveuglé par mon chagrin. Mes collègues non loin ne purent arriver à temps. Il me sommèrent de baisser mon arme, mais je ne les écoutais pas et continuais de déchirer la chair, les entrailles, faisant jaillir le sang de cet individu que je ne connaissais pas. Et quand bien même j'étais moi même criblé de part en part, cible à regret de mes camarades flics, je continuais mon office, quand bien même le corps sous mes pieds ne respirait plus depuis deux bonnes minutes. Et ce, jusqu'à ce que la fatale vienne traverser mon crâne.

"Prends soin de toi, petit frère".

C'était la seule pensée pure qui m'ait suivie, lorsque mon âme s'est échappée de mon corps. Ce sont les dernières paroles que j'avais dites à Alex avant sa mort. Et ce sont les seules qui ont subsisté dans mon esprit lorsque je me suis retrouvé devant celle qui allait me juger. Elle m'a alors ôté mes souvenirs, ainsi que ce sentiment qui m'a conduit à la mort : la haine. Je me sens terriblement bien, et quand bien même j'ignore avoir été policier dans une autre vie, je ne suis conçu que pour ça. Et j'entre dans la garde. Quel est mon nom ?
"Erik... Tu sais à qui tu me fais penser ?"
C'est la fille du capitaine qui, le jour de ses 18 ans, m'avait interpellé ce jour là, alors que je quittais le commissariat.
"Dis-moi"
"Au dieu Thor. Il est très grand, blond, puissant et il protège les gens. Comme toi."
"Mais je n'ai pas sa barbe, ni son marteau."
"Dans mes rêves, il est aussi beau que toi. Et puis, je t'ai déjà vu avec un marteau. Lorsqu'avec Papa et les autres vous aviez réparé le toit du commissariat, sous cette pluie battante. Fallait être dingue quand même."

Deux ans ans plus tard, je l'avais épousée. Je l'ai désormais complètement oubliée.

Aujourd'hui, je suis lieutenant. J'ai obtenu ce grade en travaillant dur. Je dirige trois brigades et je me donne à fond. Le soir, je rentre dans mes quartiers, et me prélasse en écoutant du jazz. Il y a quelques mois, je me suis accordé une balade dans les environs, afin de savourer la douceur de la nature, pour quelques instants de tranquillité. Il fallait que je digère ce dossier qui m'est parvenu entre les mains, épais de plusieurs centimètres. Un petit rigolo qui semblait prendre un malin plaisir à foutre le bordel, un peu partout sur son passage, nuisant à la paix des chaumières de Libra. Une photo d'un jeune homme qui ornait le dossier ne m'était pas du tout inconnu et pourtant, je ne l'avais jamais vu ici. Son nom: Loki.

"Prends soin de toi, petit frère".

C'est tellement évident. J'en suis persuadé, ce mec est mon frère. Je ne sais rien d'autre de personnel sur lui, mais allez savoir pourquoi, cette découverte m'a rempli d'un bonheur profond. Ce qui est moins drôle, c'est qu'on n'est pas dans le même moule. Je dois l'arrêter, mais je n'en ai pas vraiment envie. Parfois je tombe sur lui, mais je laisse volontiers une ouverture pour le laisser filer non sans lui avoir fait la morale. C'est devenu récurrent.

Pour lui, je ne suis rien. Il faut qu'on refasse connaissance. Je ne sais pas pourquoi c'en devient une obsession, ni pourquoi c'est à ce point limpide dans ma tête. Mais c'est mon souhait le plus profond: que je redevienne un grand frère à ses yeux. Même chiant, même ennuyeux. Mais un frère, qui le protègera envers et contre tout.