« Am I forever dreaming, how do define the way I'm feeling? »
Du néant. Quelque part à mi-chemin entre le désert de Gobi et la vallée de l’Orkhon se dessinaient deux silhouettes séparées de quelques mètres de distances. L’une, bien que fluette, ne laissait transparaître que détermination et entrain tandis qu'elle s’empressait d’arpenter la plaine déserte où s’engouffrait une douce, quoiqu’un peu fraîche, brise d’été. Derrière elle se traînait tant bien que mal un second individu, bien moins convaincu par cet exotique périple. Ce dernier, Nolan Carter pour ne pas le nommer, suivait de force sa toute jeune et ambitieuse épouse, Maxime, dans de longs voyages à travers le globe. Il mesurait dans le mètre quatre-vingts et ne pesait pas grand-chose. Ses cheveux, bruns tenus courts, dégageaient son visage carré et permettaient de l’observer sans peine. Il avait de fines lèvres légèrement rosées, un nez un peu imposant et de beaux yeux noisette brillants. Sa femme faisait elle le mètre soixante exactement. Ses longs cheveux blonds foncés lui descendaient jusqu’au bas du dos et ses yeux bleus d’orages semblaient sonder l’âme de tous ses interlocuteurs.
Ce n’était pas la première fois qu’ils se retrouvèrent au beau milieu de la pampa, mais cette fois-ci, il y avait comme un quelque chose de différent. Max était bien trop enthousiaste et cela ne présageait donc rien de bon pour son époux, bien qu’il savait avec pertinence les plans de sa femme. Arrivés d’Oulan Bator, la capitale, ils prirent rapidement un taxi qui les emmena jusqu’à une ville voisine. Par là il faut entendre un groupement de bâtiments à l’allure de vieux immeubles désaffectés, même si la Mongolie avait eu tendance à s'être développée depuis la vente de certaines mines du désert de Gobi à la Chine. De là, ils se débrouillèrent pour s’héberger et manger à leur faim tout en continuant leur voyage. Et cela faisait désormais quelques jours qu’ils marchaient sans but précis, la carte bien pliée et perdue dans les méandres du sac de Maxime. Après tout, son but était de rencontrer et de se lier d’amitié avec une authentique famille mongole le plus naturellement possible.
« Maxime… Tu crois pas qu’on devrait rebrousser chemin ? Ça fait des jours qu’on a croisé personne ! »Pour toute réponse, la jeune femme pressa le pas, ce qui fit pester dans son dos Nolan, angoissé à l'idée qu'il ne leur arrive quelque chose au beau milieu de nulle part. Pour son plus grand bonheur cela dit, Maxime le surprit à pousser un gémissement si particulier qu'il compris instantanément par le timbre et la singularité du cri que leur quête touchait à sa fin. Sautillant sur la place, l'aventurière s'élança jusqu'en direction d'un petit groupement de yourtes à l'horizon. Tout autour, on pouvait discerner un nombre conséquent de petits pois blancs qui n'étaient autre qu'un troupeau de moutons. Avec difficulté, Nolan lui emboîta le pas en portant de son mieux leurs affaires dispatchées dans différents sacs de différents gabarits. Avant qu'il n'ait eu le temps d'atteindre les habitats démontables, Maxime avait déjà pénétré avec un peu plus de contenance à l'intérieur de l'habitat. Nolan l'y rejoint donc et s'assit avec elle à gauche de l'entrée. Les coutumes mongoles différaient très largement de leurs habitudes occidentales, mais Maxime avait mis un point d'honneur à maîtriser la langue et les traditions avant de songer à mettre un pied en Mongolie. Le tout lui avait pris une bonne année et elle inculqua en un temps record à ce qui allait devenir son époux les rudiments de la vie des mongoles, lui rabâchant encore maintes et maintes fois les différentes attitudes à avoir dans l’avion qui les avaient conduit jusque dans ce pays pour le moins inhospitalier d’apparence. Ainsi, patienter sur le palier était un acte assez mal vu chez les mongoles et c’était l’unique raison pour laquelle Maxime avait pénétré avec tant d’aisance chez de parfaits inconnus. La yourte était décorée aux goûts et tendances mongoles. Principalement tapissée de tapis aux couleurs vermeilles, elle donnait une impression de confort malgré le manque évident de technologie. A l’opposé de la porte se trouvait un autel qui attira l’œil des étrangers. Y étaient agglutinés différents objets, images religieuses et autres nourritures. Enfin, l’élément le plus massif restait l’âtre central, qu’il fallait impérativement respecter.
Sans un mot, le couple attendit que les habitants de la yourte viennent à leur rencontre. Un couple, tout comme eux, à l'air relativement jeune, les conduisirent jusqu'à la place d'honneur des invités, au fond de la yourte, près de l'autel. Ils leur offrirent en dégustation d'abord des beignets à la viande, frais du matin, accompagné de thé qu'ils burent avec une joie non dissimulée et qui leur rappela un bref instant leur Angleterre natale. Vint ensuite un peu de vodka. Conformément à la tradition, ils y trempèrent l'annulaire et jetèrent d'un geste vif du doigt quelques gouttelettes en l'air avant de boire la coupelle. Ils sympathisèrent rapidement avec le couple aux vues de leurs capacités à communiquer avec une simplicité qui étonna les deux mongoles. Maxime leur exposa donc leur projet, ou plutôt le sien, d'emménager chez l'habitant pendant une durée indéterminée. Gengis, l'homme, était tout en muscle et en imposait de par sa stature, malgré sa taille moyenne. Il portait les cheveux courts, d'un noir de jais similaire au noir de ses yeux d'amandes. Le mongol se demandait bien ce qu'il allait pouvoir faire d'un gringalet comme Nolan, mais ne s'opposa tout de même pas à ce qu'ils restent. Shria, son épouse quant à elle, était tout à fait enclin à ce qui le couple partage leur train de vie. La jeune femme arborait encore des traits enfantins, mais n'en demeurait pas moins adultes. Tout chez elle était petit, nez, bouche, taille. À l'instar de son époux, ses longs cheveux étaient d'un noir profond. D'ailleurs, c'est au moment où l'anglaise leur demanda s'il était possible pour elle et son mari de rester chez eux qu'avait choisis de venir tituber, encore ensommeillé, un enfant jusqu'à eux. Kushi, leur enfant, qui devait avoir dans les cinq ans au moment de leur rencontre.
Deux années passèrent durant lesquelles Gengis appris à Nolan les rudiments de la vie d'homme nomade. De l'art de s'occuper de sa famille et de lui prodiguer de quoi subsister jusqu'au travail des bêtes, le mongol n'y alla pas de mains mortes avec l'anglais qui, malgré les embûches, y avait mis tout son cœur et appris malgré tout le travail. Maxime quant à elle, se lia étroitement d'amitié avec Shria et fût comme une seconde mère pour Kushi. Ils voyagèrent toute l'année durant en changeant d'emplacement selon les saisons, pour que les moutons et les chevaux aient de quoi brouter en abondance.
Durant leur second hiver en Mongolie, prise de sévères maux de ventre et de nausées, le verdict ne mit pas longtemps à tomber. Maxime attendait un heureux évènement pour la fin de l'été. La jeune femme accueillait avec joie la nouvelle tandis que Nolan ne pouvait s'empêcher de craindre qu'un tel évènement aussi loin des médecins ne cause du tort à la santé de son aimée. Accompagnés par Gengis et Shria durant toute la durée de la maternité, Maxime mit au monde une petite fille un soir d'été qu'ils nommèrent Sarantsartsr, un rayon de lune. C'était ce qui avait illuminé le nouveau-né lorsque son père, encore ému de l'accouchement, l'avait emmenée en dehors de la yourte quelques heures après sa naissance. L'enfant tira les traits physiques de sa mère, mais pris le caractère de son père qui, de toute manière, était un peu plus féminin que celui de sa figure maternelle et ce, quoi qu'on en dise.
Sans grande surprise, Saran et Kushi grandirent ensemble. Leur relation, tout d'abord fraternelle, se renforça grandement à l'adolescence. Les deux jeunes gens finirent par tomber éperdument amoureux l'un de l'autre sans que cela n'étonne personne et de leur union naquit un soir d'hiver bien connu des enfants du monde entier un petit être à la chevelure épaisse et blonde foncée et aux yeux d'un bleu grisé saisissant. Yul était le nom qu'on lui donna. La joie des foyers était immense et le garçonnet, bien que tout juste né, le leur rendait bien. C'était un enfant très agréable. Les rares fois où il pleurait était les fois où il se trouvait malade. Le reste du temps, c'était un nourrisson tout ce qu'il y a de plus calme et jovial.
Six ans passèrent. Au milieu des moutons, se tenait une petite silhouette qui semblait être une petite fille. Les cheveux de l'enfant, qui tombait jusqu'au bas de son dos, se faisaient soulever à intervalles irréguliers par le vent tandis qu'il caressait un jeune mouton juste devant lui. Une voix aigüe s'éleva dans les airs et entonna une chanson à la sonorité anglo-saxonne.
« Yul ! »S'écria Nolan en direction de son petit-fils, tandis qu'il lui faisait un grand signe de la main. Le garçon tourna les talons et offrit un sourire malicieux à son grand-père. Il accourut jusqu'à lui et attrapa la main instinctivement, se laissant guider par son aïeul jusqu'à la yourte. À l'âge de trois ou six ans, il était de coutume de couper pour la première fois les cheveux de son enfant. Yul, qui avait jusque la plus l'air d'une fille que d'un jeune garçon, fût ravis d'avoir ses cheveux coupés pour la première fois. Après tout, il y avait assez de femmes, puisque Saran venait tout juste de donner à Yul une adorable petite-soeur nommée Naransetseg. Il était notablement moins enthousiaste à l'idée de devoir quitter la maison pour aller étudier dans une école en pensionnat, puisqu'à l'âge de six ans, il était obligatoire pour les enfants, peu importe leur situation, d'aller étudier.
La veille de son départ, il alla dormir avec les bêtes dans le champ. La tête appuyée contre un mouton, encerclé par d’autres et notamment par son cheval, il pria la nuit entière pour ne pas quitter ce lieu qui lui était si cher, le regard porté sur le ciel noir constellé d’étoiles. Il n’avait cure des études et souhaitait simplement perpétuer les traditions que lui avait inculqué son père, prendre soin de sa jeune sœur, de ses parents et de ses grands-parents. Il n’aspirait pas à aller en ville. Le peu qu’il en avait vu, bien que ça ne lui ait pas déplu, ne l’avait pas pour autant séduit au point de vouloir y passer sa vie. Pour dire, il avait même été à Londres, avec ses grands-parents, quelques années plutôt. Il apprécia le voyage, son premier réel contact avec les technologies modernes, mais une fois couché dans son lit moelleux à l’hôtel, Yul vint à la conclusion que dans ce monde qui ne cessait de parler, il appréciait la quiétude de sa plaine ou tout simplement de son pays par-dessus tout.
Yul restait donc à en pensionnat toute l'année durant et ne rentrait que pour les vacances. Les écoles mongoles, bien que les bâtiments étaient perdues au milieu de nulle part et semblaient abandonnées, n'avaient rien à envier au niveau du confort et sur le plan éducatif aux écoles occidentales. Le garçon était un bon élève, bien que souvent distrait et occupé à regarder l'extérieur plutôt que le tableau noir. C'est également à ce moment-là qu'il avait été pour la première fois aux contacts d'autres enfants qui n'étaient pas issus de sa famille. Il n'avait pas de mal à se lier aux autres, mais avait tendance à rester par moment dans son coin. Quand elle fût en âge, Naran le rejoint à l'école. Avoir sa sœur près de lui le rendait un peu moins nostalgique et le temps passer dans l'établissement lui semblait plus supportable. Tous deux étaient très proches et fusionnels, d'autant plus que Yul était un grand-frère protecteur plus que de raison avec sa cadette.
Ce n'est qu'au hasard d'une correspondance qu'il appris que ses grands-parents avaient subitement quittés la Mongolie, l'état de santé de son grand-père s'étant brusquement détérioré. Il ne constata la chose qu'une fois rentré pour les vacances d'été avec Naran. Leur campement, normalement si animé par les cris et les rires de Maxime et Nolan, lui semblait désormais d'une infinie tristesse. Qu'importe au combien sa mère le pris dans ses bras et lui assura qu'il pourrait toujours discuter avec eux par correspondance, la tristesse de Yul n'en fut pas moins grande.
Sa quinzième année. Jamais ses grands-parents n'étaient revenu en Mongolie. On avait diagnostiqué à Nolan un cancer qui lui rongeait les organes et se propageait dans tout son corps. Les médecins avaient beau l'assommer à coup de chimiothérapie et autres traitements expérimentaux, la maladie ne cessait jamais de s'étendre. Impuissant à des millions de kilomètre de lui, Yul ne passait pas un jour sans penser à eux. Mais bien vite, un autre évènement vint lui accaparer tout son temps.
C'était l'été. Le garçon venait de rentrer pour les vacances avec sa sœur et rien ne présageait qu'un malheur allait arriver. Un soir comme il y en avait toujours, Kushi ne rentra pas du champ. Interpellée, Saran envoya son fils chercher son mari pour le dîner. Sans hâte, Yul se dirigea vers le troupeau en caressant çà et là quelques bêtes et ne trouva pas du regard son père, comme il avait l'habitude de le faire. Il avança alors dans le troupeau jusqu'à un amas de bêtes duveteuses. Il y trouva son père, étendu sur le sol, les yeux dans le vide et inconscient. Il se jeta sur lui, le secoua et l'appela en tentant de refréner sa panique. Mais, son appel demeurant sans réponse, il ne put empêcher des larmes de rouler sur ses joues rougies d'angoisse tandis qu'il criait le nom de son père avec frénésie. Les cris alertèrent sa mère et sa sœur qui accoururent dans l'instant pour, elles aussi, assister au morbide spectacle.
Yul fût incombé de la dure tâche d'enterrer son père dignement, sa mère demeurant à jamais inconsolable malgré tous les efforts de sa soeur. Ils n'avaient jamais vraiment su ce qui était arrivé à Kushi ce soir-là, même si après en avoir discuté rapidement avec Maxime par courrier, Yul songea que son père avait été victime d'une anomalie cardiaque.
Quoiqu'en dirait l'état, il ne pouvait plus retourner à l'école, même s'il lui restait un an à étudier encore. Aux vues de l'état de sa mère, il était évident qu'elle se laisserait mourir de chagrin. Malgré la douleur de la perte de son père, il lui fallait rester fort pour le bien de sa famille. Ainsi, il travailla d'arrache pieds durant tout l'été. Chaque soir, il s'effondrait sur les tapis qui couvraient le sol de la yourte et s'endormait sans préavis. Sa mère, de son côté, restait toute la journée assise ou couchée dans un coin de la yourte immobile, les yeux dans le vague, incapable de parler. Et pendant que Yul s'occupait du troupeau, Naran elle, s'occupait des repas, des autres tâches ménagères et restait auprès de sa mère pour l'aider dans les gestes du quotidien les plus simples, tel que s'habiller ou se nourrir.
Saran aimait ses enfants, mais il y avait une légèrement différence avec l'amour qu'elle éprouvait pour son mari et celui qu'elle possédait pour ses enfants. Depuis le premier jour, il n'y avait eu que lui et vivre dans un monde où il n'existerait plus était pour elle une pensée insoutenable. Elle ne voyait plus qu'en sa fille, qui était le portrait craché de son époux, un désespoir teinté d'amertume. Si bien qu'un soir, au beau milieu de la nuit, elle s'approcha d'elle-même de ses deux enfants qu'elle négligeait depuis bien des mois. D'abord, elle se plaça au-dessus de Naran et attrapa à proximité un coussin qu'elle abattit avec une douceur paradoxale sur le visage endormi de son unique fille. Elle le maintint un long moment, jusqu'à ce que sa poitrine cesse de se soulever. Elle aurait dû avoir bientôt neuf ans.
Vint ensuite le tour de Yul. Tout comme pour Naran, elle s'assis à côté de son fils. Toutefois, elle se perdit dans la contemplation du visage de son enfant. De son premier enfant. Il portait sur le visage les stigmates d'une fatigue bien trop excessive pour un garçon de son âge et le poids de la responsabilité d'une famille toute entière. Elle murmura alors,un fin sourire aux lèvres, comme on susurrerait des mots d'amour :
« C'est fini maintenant... »Du revers de la main, elle effleura la joue de Yul brièvement avant de recouvrir sa bouche et son nez du même coussin qui avait causé la mort de sa soeur quelques minutes plus tôt. Yul toutefois, entrouvrit légèrement les yeux. À mi-chemin entre sommeil et éveil, il ne compris pas réellement que sa mère était en train d'attenter à sa vie en portant sur lui un regard qu'il avait presque oublié : un regard emplis d'amour et de bienveillance maternelle. Saran lui caressa de nouveau la joue et lui susurra pour mieux l'endormir :
« Je t'aime, mon chéri. Je t'aime... »Prenant les mots et les gestes menaçants de sa mère pour de l'affection, il ne se débattit pas même pour sa vie et s'endormit dans un sommeil sans possibilité de réveil. Tout du moins, c'est ce qui aurait dû se passer.
Lorsqu'il ouvrit les yeux, c'était un monde inconnu qui l'attendait. Sa poitrine était serrée d'un sentiment qu'il ne pouvait identifier et quelque chose l'empêchait de se souvenir de qui il était et de ce qu'il faisait là. Un seul mot lui venait à l'esprit. Un nom. Ymir.
Il se laissa guider sans méfiance et on le renseigna bien volontiers sur sa situation. Libra, voilà où il était. Sans attendre, il dû se trouver un travail, autant pour s’occuper que simplement pour vivre. Curieux et avide d’aventures, c’est rendant service et en allant délivrer une lettre au nom de quelqu’un qu’il eut l’idée de devenir coursier. Et ainsi, il voyage donc à travers tout Libra pour livrer ce qu’on veut bien lui mettre entre les mains.