Crux lissa sa veste une bonne douzaine de fois face à la porte, plus par réflexe que réelle nécessité - elle était impeccable, comme toujours. On n’était jamais assez prudent, cependant.

Honnêtement, ça le titillait depuis un sacré moment, ce petit rendez-vous. Crux n’avait pas l’habitude de ce genre de choses, et le simple fait d’aller chez quelqu’un d’autre était assez pour le rendre nerveux. Ca n’était pas une question de danger, ou de peur, ou quoi que ce soit comme ça qui serait naturel en allant chez quelqu’un que l’on connaît à peine. Enfin, si, ça ressemblait un peu à de la peur, mais certainement pas de se faire agresser. Surtout pas par Enji, le garçon avait tout d’un ange.

La seule chose par quoi il risquait de se faire agresser, c’était les germes. Ou le désordre. Ou juste un petit, petit truc de travers qui le ferait tiquer toute l’après-midi. Il s’était inquiété toute la semaine, pour au final, le jour venu, se sentir de si bonne humeur qu’il n’était même pas question de rangement. D’un côté, s’en était presque inquiétant, parce que Crux sans pulsions soudaines, c’était un tout autre personnage, mais d’un autre, il en était heureux. Ca avait sans doute beaucoup à faire avec le fait que, épuisé de sa longue journée de travail, il avait extrêmement bien dormi, sans aucun cauchemars flous, sans rien.

C’est alors parfaitement détendu qu’il avait passé la matinée étalé sur son lit, sans obligations de se lever en ce beau jour ensoleillé, et ça, c’était le déjà un sacré morceau de paradis à ses yeux. Il avait déjeuner rapidement, sans triage de petits pois en tout genre, pris une douche qui n’incluait pas essayer de s’arracher la peau et avait fini par opter pour une tenue plus, emh, décontractée que d’habitude, pas que quelqu’un y verrait une différence, hein, mais tant que lui la voyait, il se sentait bien. Et puis il était parti.

Il avait traversé la rue, évité de se prendre une gamine surexcitée qui lui aurait, pour sûr, valut un retour à la maison immédiat et donc un retard d’au moins une quinzaines de minutes ( treize si tout allait bien), et tracé son chemin, plus rapide qu’il n’aurait du l’être. La rue le stressait lorsqu’il ne travaillait pas. Elle le stressait encore plus lorsqu’il devait se rendre quelque part et rester propre. Elle était pleine de danger en général, toutefois, là, elle lui semblait carrément s’être transformé en océan plein de vilains poissons qui feraient tout pour le salir et/ou le retarder. Un désastre.

Mais non, il l’avait fait. Il était arrivé, propre comme un sou neuf, un peu avant l’heure (grand traumatisme en soit), mais pas trop quand même. Et maintenant il en était à fixer cette porte, comme si, par magie, elle allait s’ouvrir toute seule et lui exploser le nez. Ce qu’elle n’allait pas faire, bien sûr. Parce qu’elle était une gentille porte. Bien propre.

Crux soupira, lissa à nouveau sa veste bleue, soudain nerveux. Se retenant de faire demi-tour pour aller faire un check complet de tous les plis de sa chemise, il pressa doucement la sonnette, du bout de son doigt ganté.

Bon, il ne lui restait plus qu’à ne rien ruiner.

Si, jusqu’ici, il n’avait pas été trop stressé par cette visite, c’était à présent une toute autre histoire. Le déclenchement de la sonnerie avait engendré tout un cataclysme terrifiant dans la tête du garçon. Ca n’avait aucun sens, vraiment, puisque Crux doutait qu’Enji ne soit offensé par cette mèche de cheveux qui avait l’air de faire une petite fête toute seule, et encore moins par cette endroit un peu marron sur sa botte, et encore, encore moins par le bouton qui brille un peu moins que les autres.

Pourtant, il s’inquiétait.

Il s’inquiétait surtout de son propre comportement, à vrai dire, bien plus que de celui de son hôte. Enji était le garçon le plus doux et correct qu’il ait jamais pu rencontrer jusqu’ici. Lui-même, c’était une autre histoire. Il avait pratiquement la peur au ventre lorsque la porte s’ouvrit pour dévoiler le blond, tout sourire.

Ce fut le début d’une lutte sans répit contre ses mauvaises habitudes.

Enji avait l’air impeccable - dieu merci- et de ce fait il n’eut qu’à se soucier vaguement d’un mèche de cheveux décalée sur le sommet de son crâne qui lui faisait de l’oeil. 

« Bonjour ! Vas y, entre. » 

Faute de pouvoir la remettre bien en place, Crux se contenta d’adresser un hochement de tête en direction du garçon tout en pénétrant rapidement dans l’enceinte de l’appartement, détournant rapidement son attention des cheveux de son hôte.Une première épreuve de passer. Maintenant, il était figé dans le hall d’entrée à se demander s’il ne devrait pas enlever ses chaussures.

« Je t’emmène au salon. Enfin, ce n’est un château, donc … Ben voilà, on y est. Tu peux t’installer, si tu veux. »

Mais que faire de ses chaussures? Il avait docilement suivi son hôte, incapable de le faire attendre, bouche grande ouverte devant la porte, toutefois le sujet le hantait. Elles n’étaient pas non plus dégueulasses (ew) ou couvertes de boues, mais tout de même, elles n’était pas brillantes et toutes propres et… Bref, ça l’angoissait. Comme beaucoup de choses.

Il regarda bêtement son hôte une poignée de secondes, incapable de se décider sur son prochain geste. Le salon était joli, agréable, propre et bien rangé, comme Crux les aimait. Bon, il y avait bien ce cadre de travers et ce livre qui le titillait, et… Non, non, c’était bien. Très bien.

Il resta tout de même debout.

« Ah, merci. C’est… Très beau chez toi. »

Vraiment. Il avait presque peur de s’asseoir et de tout ruiner, comme par magie, avec ses milliers de bactéries. Mais Enji s’en fiche royalement, de ça. Il travaille avec des cheveux, pour l’amour de dieu! La chaise. La chaise serait très bien. Il la tira tout en la soulevant, histoire de ne pas faire de bruit ou d’abimer le sol, s’y posant doucement une fois sa délicate tâche achevée.

Bien, au moins, personne n’en est encore mort. Crux adressa un maigre sourire au blond, chassant à nouveau son terrible besoin de replacer cette satanée mèche. Ses propres boucles ne devaient pas être en meilleur état, de toute façon. Et voilà. Maintenant il avait envie de se recoiffer. Il se mit à taper des doigts sur ses cuisses faute de pouvoir ouvertement sortir un peigne et tout arranger.

Mais tout va bien se passer.

Spoiler:

Enji était de loin l’hôte le plus agréable auquel Crux avait eu à faire. Sachant qu’il était le seul, le compliment sembla immédiatement douteux dans l’esprit du garde, qui se reprit mentalement. Enji était de loin la personne la plus agréable à laquelle il avait eu à faire. Calme, attentionné, ordonné et délicat, il remportait, dans le cœur du sauvé, la palme du meilleur être humain, faute d’en avoir rencontré de meilleurs.
Dire qu’il affectionnait le garçon n’était pas exagérer. Malgré le fait qu’ils avaient passé très peu de temps ensemble, Crux se sentait largement plus à l’aise avec lui que n’importe qui d’autre ; à l’aise ne signifiant pas qu’il était prêt à ranger tout l’appartement de ce dernier sans complexe.

Il suivit son hôte des yeux, perplexe, jusqu’à ce que celui-ci ne disparaisse dans le pouvoir et le laisse seul avec son cerveau hyperactif. Sans plus attendre, sa main se porta à ses cheveux qu’il commença à réorganiser à l’aveugle avec des gestes pratiqués. On lui avait souvent demandé pourquoi il ne les rasait pas tout simplement, et il avait contemplé l’idée, vraiment, pendant un certain temps, avant de se rabattre sur les questions esthétiques et affectives. Il les aimait bien ses cheveux, et puis, ça l’occupait de se recoiffer en permanence. De plus, il se sentirait franchement nu sans eux. Alors il gardait et les recoiffer, se distrayant de manière très efficace d’autres éléments dans la pièce qui aurait mérité d’être réarrangés.
Les pas de son hôte l’alertèrent de son retour ; il laissa retomber sa main sur ses genoux. Enji lui apporta l’objet de sa visite, une jolie paire de gants dont les formes géométriques plurent immédiatement au garde. Des gants, on avait toujours besoin de gants, lui plus que toute autre personne. Il hésita à les prendre entre ses doigts avant de se convaincre que ce serait vraiment très impoli de ne pas admirer le fruit des efforts de son hôte. Avec ses propres gants, il ne craignait rien. Il prit la paire en main, la retournant dans tous les sens comme pour y trouver un défaut, mais d’une manière qu’il espérait la moins offensive possible.
La matière avait l’air agréable, en tous les cas.

« Hm, ou tu peux les offrir aussi, sinon … »

Crux se sentit presque personnellement offensé par la suggestion soudaine d’Enji. Comment pourrait-il donner cette paire de gant à quelqu’un d’autre ? S’aurait été tellement déplacé et… Il les garderait même s’il se faisait racketté sauvagement.

«Oh ! Oh non ! Je les aime beaucoup. Ils sont très beaux. »

Il les serra de manière protective contre sa poitrine, comme une mère protègerait ses petits, avant de se rendre compte que cela pouvait sembler particulièrement déplacé et suspicieux. Avec un mince sourire, il les reposa sur la table délicatement.

« Merci beaucoup. »

Oh mon dieu. Est-ce qu’il devrait les mettre ? Mon dieu. Il regarda ses mains, les gants, ses mains, les gants, incapable de faire une décision, complètement bloqué. Là, c’était un peu trop du haut niveau pour lui.