Tu étais parti tôt ce matin. Le soleil était tout juste en train de se lever à l’horizon, l’air était frais et l’herbe dans les allées encore humide d’une légère pluie nocturne. Tu portais un pantalon blanc, des Converses basses blanches aussi et un tee-shirt bleu avec un fantôme ressemblant étrangement au Roi Boo de Mario sauf qu’une larme coulait sur sa joue. Tu n’avais pas spécialement froid malgré l'heure matinale, et puis même si tu attrapais un truc, tu aurais un rhume au pire, mais la mort ne viendrait pas te prendre dans ce monde.

Tu voyageais en direction du Nord, vers les lacs miroirs. On t’avait beaucoup parlé de cet endroit que certains décrivaient comme fantastique. C’était, d’après les récits de voyages, un espace tellement silencieux que rien ne pouvait troubler une telle quiétude. Un peu ton rêve dans un sens. Toute la nuit tu n’avais cessé de penser à la couleur des lacs, aux beautés que tu pourrais y voir tout autour, ce qui t’avais presque empêché de dormir. Sur la route, tu te demandais pourquoi tu avais décidé de partir comme ça de bon matin. Tu n’avais aucune raison valable après tout. A moins que l’on puisse considérer l’envie de fuir le tumulte d’Eraclae comme une bonne raison.

Malgré le couvre-feu du soir, cette ville était trop agitée pour toi Muteness. Il faut dire que même un cimetière ferait trop de bruit à tes oreilles. En parlant d’oreilles, tu avais l’impression que depuis que ton arrivée sur Libra ton ouïe s’était développée de plus en plus. Désormais tu entendais plus facilement les gens autour de toi alors qu’ils étaient plongés dans leurs conversations. C’était une bonne chose, dans un sens … mais dans un autre cela voulait dire encore et toujours plus de son. Ah le son ! Tu avais l’impression d’avoir toujours haï cette chose au point d’en détester le mot.

Les cris des oiseaux se faisaient entendre dans les airs. Tu ne savais pas vraiment si c’était un bon ou un mauvais signe, en fait tu ne savais pas grand-chose malgré tes lectures sur l’art des augures dans la Rome antique. Mais pour une raison inconnue, au fond de ton cœur, tu savais que ces oiseaux voulaient te transmettre un message. Si seulement il pouvait parler la même langue que toi, au moins tu pourrais savoir ce que le destin allait faire avant même que cela n’arrive, même si au fond tu ne pourrais rien y changer. Tu étais dans un monde où la mort n’existait plus, où la maladie et les blessures étaient guéries par les grâces d’une déesse, cette même déesse qui t’avait contraint au silence éternel pour des méfaits que tu n’avais jamais commis.

Pourtant, alors que n’importe quel autre homme se serait rebellé devant une telle injustice, toi tu avais accepté cela. Lorsque la balance t’avait jugé et avait pris ta voix, tu ne t’y es pas opposé, tu as accepté ton destin. Pourquoi Muteness ? Parce que tu te sentais coupable de quelque chose ? Pourtant tu ne te souviens de presque rien de ton ancienne vie, rien à part des bribes, des semblants de souvenirs heureux, douloureux, étranges, qui pourraient tout aussi bien être des créations de ta tête. Peut-être que t’enlever la parole n’était pas une punition pour toi après tout. Peut-être était-ce un moyen radical, une sorte d’argument parfait, pour ne jamais adresser la parole aux autres. Malheureusement tu allais devoir te taire pour toujours, et l’éternité c’est long, très long. Un jour Mute, tu regretteras de ne pas t’être battu, de ne pas avoir crié ton innocence à la déesse dans un dernier son, mais ce sera alors trop tard.

Après quelques heures de marche, où tu ne t’étais arrêté que pour écrire quelques pensées qui te traversaient l’esprit, tu voyais enfin les lacs miroirs. Comme dans les textes l’eau reflétait parfaitement le ciel, et il était impossible de savoir ce qu’il y avait plus aux fonds. C’était un endroit magnifique et reposant. Il n’y avait ni cri, ni pleur, uniquement la nature et toi. Tu aurais pu sourire à ce spectacle, voire même exprimer ta joie, si seulement une silhouette à quelques mètres de toi ne faisait pas un bruit assourdissant …