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 SAINTETÉ. ❝ FILEUR ÉTERNEL DES IMMOBILITÉS BLEUES ❞ (TERMINÉ)

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coeur souillé de noirceur
Sainteté
Sainteté
coeur souillé de noirceur


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DATE D'INSCRIPTION ▲ : 07/02/2015
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MessageSujet: SAINTETÉ. ❝ FILEUR ÉTERNEL DES IMMOBILITÉS BLEUES ❞ (TERMINÉ)
SAINTETÉ. ❝ FILEUR ÉTERNEL DES IMMOBILITÉS BLEUES ❞ (TERMINÉ) RxkgjUaSam 7 Fév - 23:59

Sainteté
unknown soldier lying on the floor.
Informations Générales
APPELLATION - Sainteté - référence à la prétendue pureté de son cœur, à l'absence supposée du mal au sein de son âme. Sainteté, parce qu'il a quelque chose d'un saint, tout simplement. Une candeur juvénile, une sagesse ancestrale, un équilibre imparfait. Un nom si peu approprié pour un damné.

ANCIENNE IDENTITE - quand il était encore en vie, Sainteté portait le nom très difficile à porter d'Arsène Romilly. Un nom assez prétentieux, quand on y réfléchit.

SURNOM - personne ne l'appelle Sainteté. Ce nom est trop féminin, trop long. Pour tout le monde, il est le Saint. L'homme qui n'a jamais rien eu à se reprocher, et qui, s'il devait mourir, partirait en paix avec lui-même, sûr de n'avoir rien commis qui puisse provoquer de la honte.

ÂGE PHYSIQUE - c'est à quinze ans que Sainteté a trouvé la mort. Pour être plus précis, quinze ans, cinq mois et deux jours. Il s'est suicidé.

NATIONALITE - autrefois, Sainteté résidait en France, le pays de sa naissance et de son adoption.

METIER - Sainteté est devenu réceptionniste. Son calme fait de lui un être compréhensif qui parvient à calmer les esprits un peu perturbés. Au final, cela lui réussit plutôt bien.

LIEU DE RESIDENCE - après avoir pendant longtemps habité à Ethernite, Sainteté a emménagé à Libra.

GROUPE - il est de ces damnés qui n'ont pas été jugés assez purs pour pouvoir échapper au droit de passage. Trop corrompu par une existence qui l'a poussé à la mort, à l'auto-destruction.

TRIBUT - la malfaisance. Sainteté est un saint, il est incapable de faire du mal. Il est d'une innocence pure, jamais aucune insulte ne sort de ses lèvres, et ses poings ne frappent jamais personne. Il est doux comme un agneau, parce qu'il ne peut pas en être autrement. Cela implique qu'il a parfois du mal à se défendre. Il craint la violence avec férocité.

Description Physique
« you have to look pretty in order to survive in this harsh world »
Bleus sont ses grands yeux sincères, ces yeux qui ont déjà perdu toute innocence. Ces yeux qui ne vous diront qu'une seule chose : l'espoir est une chimère. Douleurs et angoisses se reflètent dans ce lac sans fond. Ses yeux, il aime les souligner de deux traits rouges - rouges comme le sang, pour mieux les mettre en valeur. Deux joyaux enchâssés dans un visage délicat, le visage d'un ange ou d'un saint. Immaculé, lumineux. Et pourtant, si souvent déformé par le chagrin. Ses lèvres qui ne sourient jamais. D'où ne s'échappent que soupirs et plaintes.

Brune est sa chevelure que nulle brosse ne parviendra jamais à discipliner. Il ne se coiffe jamais, il n'en prend pas la peine. Il laisse ses longues mèches se dresser autour de sa tête, comme une couronne de cheveux. De toute façon, ils ne s'emmêlent jamais. Et il n'y prête guère attention. C'est à peine s'il remarque lorsqu'une mèche rebelle vient lui tomber devant les yeux. Ses cheveux forment une auréole. Mais une auréole distordue, déformée - l'auréole d'un damné.

Blanche est sa peau d'ivoire, fine et juvénile. Elle conserve encore un peu de sa souplesse d'enfance ; une peau de pêche sans imperfection, immaculée, encore vierge de toute attente. Nul inconnu n'a encore eu l'occasion de la toucher, de l'effleurer, de la dévorer ; sa peau est l'incarnation même de sa virginité, qu'il a pourtant perdue. Un corps encore pur à l'extérieur, mais souillé à l'intérieur. Un corps frêle et petit, qui n'est pourtant pas dénué de force ; un corps capable de s'opposer à ceux qui lui voudraient du mal. Prêts à se défendre contre ceux qui remettraient en cause sa sainteté.

Sombres sont ses vêtements, très simples et pourtant élégants. Des coupes près du corps, parfaitement ajustées. Des teintes foncées, en accord avec son humeur. Des formes et des motifs sobres. Parfois, un accessoire. Il se dégage de lui une grâce naturelle. Il n'a guère besoin d'atours pour plaire. La simplicité de ses habits fait ressortir son charisme naturel. Un charisme d'autant plus attractif qu'il dégage une aura de fragilité.
ANECDOTE
« we need to discover what is hiding behind that soul »
+ Sainteté est très timide et a beaucoup du mal à aller vers les autres. Il est donc conseillé de faire le premier pas. Une fois qu'il se sent plus en confiance, il commence à parler plus, parfois au point d'aborder des sujets très intimes, de sorte que vous pourriez oublier à quel point il vous paraissait froid au départ.
+ Sainteté a souvent la réputation d'une personne hautaine et dédaigneuse, alors même qu'il n'a jamais rien dit de méchant.
+ Étant mort aux débuts des années 2000, Sainteté fait partie des habitants les plus anciens de Libra. Il connaît le monde comme sa poche et n'apprécie rien tant que de partir en exploration pour (re)découvrir ses diverses merveilles. Il est en fait assez baroudeur.
+ Sainteté ne souffre d'aucune phobie, mais on peut assez facilement assimiler sa peur des autres à une forme d'agoraphobie. Ne vous y trompez certainement pas, en vérité, il n'a pas cette phobie, il n'est juste pas à l'aise dans les foules.
+ Si vous avez un problème, vous pouvez vous adresser à Sainteté, il sera toujours prêt à vous répondre et à vous aider. Et ce, sans contrepartie aucune.
+ Sainteté a une préférence pour les couleurs sombres ; il est très rare de le voir porter du clair. Il se maquille souvent les yeux d'un trait rouge en dessous, c'est un peu une façon pour lui d'exprimer son statut de damné, incapable de faire la moindre chose mauvaise.

description morale
« humanity is a curious thing, we're so similar but so different at the same time »

Derrière ses apparences assurées, ses expressions froides et confiantes, se cache une profonde faille. Sainteté, c'est celui qui n'ose pas. Il se retranche derrière un mur qu'il ne parvient pas à franchir. Le fossé qui s'était creusé entre lui et les autres de son vivant ne s'est pas arrangé avec sa mort. Il est devenu encore plus distant, encore plus froid - mais ce n'est pas par choix. Ce n'est qu'un mécanisme d'auto-défense, car Sainteté est d'une timidité maladive. Il parle peu, et réfléchit toujours à ce qu'il va dire avant de le sortir - de sorte que certaines personnes le considèrent comme un peu lent à la détente. Il n'est pas spontané, tout en lui paraît faux, trop réfléchi pour être honnête. Sainteté n'ose pas se révéler. Il n'est pas du genre à complimenter les autres pour la simple raison qu'il a peur de montrer ce qu'il aime ou n'aime pas. Par moments, toutefois, il s'anime un peu - quand il n'en peut plus. Car même lui a besoin de s'exprimer de dire ce qu'il ressent véritablement ; sinon, il exploserait. Il a des émotions, parfois assez vives, et n'est pas toujours capable de se contrôler. Quand son vernis se fissure, c'est un autre Sainteté que l'on découvre. Un Sainteté que l'on devine avoir été attiré par le mal, autrefois ; mais il ne dit ni ne fait jamais rien de mal. On sent parfois que cela le tenterait presque, qu'il étouffe ; mais rien à faire, cela ne sort pas. Le mal, Sainteté ne sait plus le faire. Il est un saint, désormais, et les saints ne connaissent que le bien.

Sainteté a toujours l'air triste. Pourtant, il ne l'est pas. Il se contente de peu pour être heureux. C'est comme inscrit dans ses gênes. Il lui suffit de voir un sourire, ou d'aider quelqu'un, pour se sentir bien. Il a développé une forme de culpabilité qui le pousse à se rendre serviable, au point de faire des choses assez incroyables. En vérité, il espère être apprécié. Mais, considérant que sa nature profonde ne pourrait que le desservir, et que personne ne pourrait aimer celui qu'il est véritablement, il préfère donner une fausse image de lui-même. Il accepte de rendre service parce que c'est une manière, pour lui, d'acheter les gens. D'acheter leur affection. Bien sûr, Sainteté n'aspire pas à être populaire, et préfère mener une vie discrète loin des regards, mais il a beaucoup de mal à supporter les personnes qui ne le détestent. Lui ne déteste personne. Enfin, pas vraiment. Pour haïr quelqu'un, il faudrait être capable de lui vouloir du mal ; et c'est au-delà des capacités de Sainteté. Alors il se contente de les observer avec indifférence. L'indifférence aussi, ça peut faire des dégâts, mais involontairement. Sainteté le sait. Il craint l'indifférence plus que tout.
Et derrière l'écran ?
feat KAI TOSHIKI 【CARDFIGHT!! VANGUARD】

PSEUDO - toujours le même, la raison principale étant la suivante : je suis en panne d'inspiration pour un pseudonyme ; donc, ne trouvant rien de transcendant, j'utilise fréquemment les deux mêmes lettres.

SEXE - ça n'a pas changé.

AGE - tout va bien tant que je n'ai pas le double de l'âge de quelqu'un ; et comme pour l'instant, c'est assez difficile, ça me va.

BLABLA PERSONNEL - si au bout d'un mois vous ne savez rien sur moi, ce n'est pas maintenant que vous allez l'apprendre, vous savez ? 8D

COMMENT AVEZ-VOUS TROUVÉ BLINDFOLDED - en tapant le début de l'adresse dans mon navigateur, comme tous les jours.

QUE PENSEZ-VOUS DU FORUM - si je ne l'aimais pas, je ne serais pas là.

DES RECLAMATIONS OU RECOMMANDATIONS ? - trop de perfection.

LE MOT DE LA FIN - Silas, c'est pour toi. ♥ (pardonnez le fait qu'il y a deux messages, mais en un seul, j'avais droit à un magnifique « La longueur de votre message dépasse la limite autorisée. » Avouez que c'est un léger problème.

codage par sahara sur blindfolded.forumsrpg.com
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SAINTETÉ. ❝ FILEUR ÉTERNEL DES IMMOBILITÉS BLEUES ❞ (TERMINÉ) RxkgjUaSam 7 Fév - 23:59

Sainteté
histoire d'une vie.
« we're about to open a door which had been closed a long time ago »


❝ CHAPITRE 1 ❞
Tu te souviens peut-être de cette première fois. Ce jour funeste où tu as été forcé de t'habiller de noir et d'aborder un air grave sur ton visage infantile. Il faisait froid, ce jour-là, et tu grelottais dans tes vêtements. On ne t'avait pas permis d'enfiler ton épais manteau de laine sous prétexte que celui-ci était trop clair. C'était pourtant du gris, cela aurait dû passer. Tu t'en souviens, dis ? De ce moment où tu étais le seul à ne pas pleurer au milieu de cette foule en deuil.
Peut-être. Je ne sais pas.
Il faisait froid parce que nous étions en hiver. Un après-midi particulièrement glacial de décembre 1991. Tu n'étais pas allé à l'école, ce jour-là. Bien sûr, tu avais pensé à prévenir ton institutrice au préalable, et quelqu'un devait te ramener le travail qui allait être fait pendant que toi, tu irais verser des larmes pour faire plaisir à tes parents. Tes larmes n'ont jamais été sincères ; tu n'as jamais pleuré de toi-même. Comme si tu n'avais jamais connu le bonheur et ne pouvait connaître la tristesse. De toute façon, tu n'aurais jamais été triste pour le décès d'une personne avec qui tu n'avais qu'un lien ténu. Tu faisais tâche au milieu de cette foule de gens éplorés. Tu étais en noir, comme eux, mais tes yeux étaient secs. Tu agrippais à la main de la dame qui te servait de mère uniquement parce que tu ne voulais pas la perdre. Il y avait tant d'inconnus. Tu connaissais à peine ta nouvelle famille, et ces nouveaux visages t'effrayaient. Tu étais très timide, tu n'osais jamais t'approcher de personne. Il fallait que les autres viennent à toi, qu'ils te sourient, qu'ils essaient de te sortir de ta carapace. Pour cela, ils devaient te montrer qu'ils étaient inoffensifs. Tu étais si exigeant, en fait. Pour gagner ton cœur, il fallait le mériter.
Non, c'est faux. J'avais juste peur. Depuis ma naissance, j'ai peur.
Tu étais un insensible. La mort de cette personne que l'État considérait comme ta grand-mère te laissait totalement indifférent. Tu ne pensais qu'à ta petite personne. Ce décès n'aurait aucune répercussion sur ton quotidien, alors tu t'en fichais. Tu n'étais pas attaché à cette famille. Tu les détestais, presque. Tout cela parce qu'il n'était pas de ton sang, que tu ne parvenais pas à comprendre pourquoi ils t'avaient recueilli. Ils devaient attendre quelque chose de toi, et tu ne voulais rien leur donner. Tu éprouvais déjà des difficultés à te tenir dans cette église, à t'abstenir de sourire, à garder la tête basse et humble. Toi, tu n'étais pas croyant - mais ta nouvelle famille l'était. La certitude que la grand-mère irait au paradis,  vérité assénée avec véhémence par le prêtre, les réconfortait. Alors que toi, tu ne voyais qu'un cercueil de bois qui ne contenait rien. Rien, sinon un bout de chair morte. Alors, quand tu le pouvais, tu levais la tête autour de toi. Et tu avais l'impression que, derrière les larmes, se cachaient autre chose. Les visages étaient crispés, mais ce n'était pas une expression de chagrin.
J'étais mal placé pour en juger. Qu'est-ce que j'y connaissais, à la tristesse, d'abord ? J'ai eu tellement de problèmes depuis ma naissance que je n'avais pas le temps de la connaître. J'étais vide, tu sais. Vide de toute émotion. Je les regardais parce que je les trouvais curieux à observer. Et que je m'ennuyais cruellement.
Qui s'ennuie à un enterrement, franchement... ? La cérémonie passa, et ta mère adoptive te fit signe de te lever. Tu la suivis sans protester, tu étais trop jeune pour recevoir le corps du Christ - tu n'étais même pas baptisé, n'était-ce pas un scandale pour eux ? Personne n'avait pensé à le faire, cela dit. Pas à un enfant comme toi. Tu montas dans la voiture sans rien dire, et vous suivîmes le corbillard. Tu restais dans la voiture pendant que le corps de ta fausse grand-mère était enterré dans le cimetière. Ils ne voulaient pas que tu vois la mise en terre.
Les choses intéressantes n'ont commencé qu'après, tu sais.
Tu veux dire, au repas de famille ? Oh, très certainement. Un amas de personnes endeuillées qui ne peuvent cependant s'empêcher de profiter du tragique événement pour se réunir autour d'un bon repas. Alors toi, tu ne touchais même pas aux petits gâteaux du pâtissier. On t'avait toujours appris à rester à ta place, alors tu n'osais pas. Il fallait que ta mère adoptive vienne t'en tendre un pour que tu l'acceptes et que tu y mordes dedans avec hésitation. Ah, pour sûr, tu faisais pitié, tu ressemblais à un petit animal qui avait besoin d'être apprivoisé.
Les animaux, c'étaient eux.
Autour de la table où se trouvait l'enfant, il y avait environ une dizaine de personnes - c'était une longue table. On y trouvait ses deux parents adoptifs, sobres silhouettes se tenant bien droit, l'encadrant telles deux colonnes de marbre sombre, ainsi que d'autres adultes que l'enfant ne connaissait pas : des oncles, des tantes, un cousin déjà majeur. Il était le seul enfant à table, et se tenait très sagement, les mains sur les genoux. Il n'en connaissait pas la plupart, n'avait jamais eu l'occasion de leur parler. Cela ne faisait que trois mois qu'il faisait partie de la famille, et ses parents adoptifs étaient très occupés. Ils ne voyaient pas beaucoup les autres membres de la famille, ne semblaient d'ailleurs pas avoir une grande opinion d'eux. L'enfant commençait à comprendre pourquoi. Ils étaient tous si froids, si hautains. Des statues de glace qui daignaient à peine lui adresser un regard. Pourquoi donc ? Ce n'était qu'un enfant adoptif.
Autour de lui, les conversations fusaient. Des conversations anodines, des paroles qui n'avaient aucune importance. Juste histoire de passer le temps. De combler le silence. L'enfant s'ennuyait, mais était trop poli pour le dire. Il attendait donc, en mangeant quand son assiette était emplie, en la contemplant d'un air neutre autrement. Bien sûr, il y avait d'autres petits dans la salle. Mais, exténués, irrités, ils ne tenaient pas en place. Ils lui faisaient peur, parce qu'ils n'étaient pas comme lui. Ils souffraient vraiment de la perte de leur grand-mère.
Comme j'étais froid, moi.
Il était entouré de bruit, mais pour lui, tout n'était que silence. Il n'existait pas, au sein de cette société. Il n'était qu'une ombre. Sans doute est-ce pour cela que bientôt, tous l'eurent oublié. Même sa propre mère adoptive commença à s'intéresser aux conversations des autres, se souciant moins de cet enfant qui aurait eu besoin de beaucoup plus d'attention. Les conversations continuèrent. Dérivèrent. S'embrasèrent. Jusqu'à ce qu'enfin, l'un d'entre eux osât briser le tabou qui permettait à cette charmante famille de paraître normale. Cela commença par un mot, juste un seul. Un mot qui eut pour effet de réveiller les passions endormies dans le cœur de chacun. De réveiller les haines latentes. Ce mot, ce fut le mot héritage.
Évidemment, c'est quelque chose que tout le monde aime. Les possessions matérielles, l'argent. Et toi, de ta petite place, tu avais conscience d'être un gêneur. Tu ne partageais pas le sang de la famille, mais tu avais le droit à une part d'héritage. Ils le savaient tous et cela les énervaient. Toi, bien sûr, tu n'y pensais pas, tu n'étais qu'un gosse, tu ne demandais juste qu'un peu d'amour. Que l'on se soucie de toi, que l'on vienne vers toi, que l'on se préoccupe de toi. Cette indifférence te blessait, d'une certaine façon. Parce que tu avais l'impression que tu ne ferais jamais parti de cette famille.
J'avais raison.
Des voix commencèrent à s'élever à une table voisine. Tu entendais mal, mais tu parvenais à distinguer des éclats : « ... une inconsciente qui n'a pas su prendre compte des... » « ... quelle idiote, bien fait pour elle... » « ... bon débarras... ». Toi, cela te choquait, mais tu ne disais rien. A ta propre table, des regards s'échangèrent. Ils n'étaient pas sûrs de pouvoir en parler, cela faisait trop mauvais genre. Quelques paires d'yeux se posèrent sur toi, très certainement en se demandant s'il était bien sage de laisser voir tout cela à un étranger. Quand bien même tu étais un étranger qui était désormais lié à leur destin. Quand bien même tu n'aurais jamais émis la moindre remarque sur les seules personnes qui avaient bien voulu de toi. Toutefois, ta présence était d'autant plus visible que la question de l'héritage venait d'être posée. Un doigt accusateur vint se tendre vers toi, et tu sursautas, effrayé d'être au centre de l'attention tout à coup. « Et lui, alors ? Vous aviez prévu le coup, avouez-le. » La personne qui te désignait ainsi se trouvait être un oncle qui t'avait paru plutôt gentil au premier abord - il t'avait souri, la première fois qu'il t'avait vu, même s'il t'avait royalement ignoré par la suite. Tu baissas le regard, n'osant rien dire. De toute façon, ce n'était pas à toi qu'il s'adressait, toi, tu n'étais rien. En revanche, ton père adoptif se mit à rire doucement. Trouvant visiblement ridicule sa remarque. « Bien sûr. Tout le monde sait que c'est moi qui l'ai tuée la grand-mère. » Curieusement, personne ne sembla trouver cela bizarre. Nul ne riait. Nul ne le regardait d'un air consterné. Pourtant, c'était ironique, et même toi, qui n'étais un enfant, tu étais capable d'entendre la plaisanterie dans sa voix. Une façon de mettre à distance d'autres accusations, comme tu l'apprendrais par la suite. « Il n'empêche, ajouta une tante, qu'il est curieux que vous l'ayez adopté juste quand la vieille est tombée malade. Il y a de quoi se poser des questions. » Ton père adoptif soupira, visiblement lassé par ce type de réflexions qu'il avait entendu des centaines de fois de la part de sa famille. Ta mère, elle, se mit à sourire. « Vous avez peur qu'il dévoile tout, n'est-ce-pas ? » Les réactions gênées de son auditoire prouva que c'était exactement le cas. « Alors je m'en vais vous rassurer de suite. Il ne parlera pas. » Et elle se pencha alors vers toi, un curieux sourire sur les lèvres, mais un air froid dans les yeux.
Elle m'attrape par le col et m'étrangle un peu. Juste un peu, juste de quoi me couper un peu le souffle. Elle ne m'étouffe pas pour autant, je peux encore respirer. Elle n'en a pas besoin. J'ai peur. J'ai peur parce que ce geste me rappelle tant d'autres qu'on a eu à mon égard. J'ai peur parce qu'on a déjà tenté de me tuer, elle a déjà tenté de le faire, ma vraie mère, cette femme qui m'a donné la vie pour ensuite poser ses mains sur mon cou. Je ne m'en souviens pas, je n'étais qu'un nourrisson ; mais je le sais, on me l'a dit. Et j'ai toujours peur de ces mains qui se posent sur mon cou. Sauvez-moi. Sauvez-moi.
Elle pourrait te tuer. Elle le ferait si tu n'étais pas une si docile poupée entre ces mains. Quelle menace représentes-tu, toi qui n'es rien, qui dépend d'eux pour exister ? Elle le sait. Il y a peut-être un peu d'amour en elle, un peu d'amour pour toi, mais elle appartient à cette famille. Elle te fera du mal et tu le sais.
Dès cet instant, j'étais condamné à m'auto-détruire.
Tu aurais fait n'importe quoi pour gagner sa confiance. Pour gagner leur confiance à tous, ici présents. Ces gens qui n'éprouvent rien pour toi. Si tu mourrais sous leurs yeux, ils n'en seraient guère émus. Ils feraient même tout pour couvrir ta mère. Tu n'es pas en position de te battre contre eux, alors tu devras agir avec eux. Adhérer à leurs manigances. Taire leurs secrets. Quand bien même tu ne deviendras jamais l'un des leurs, tu es condamné à les suivre dans leur folie. En espérant ne pas mourir.
Ils tuent les membres de leur propre famille. Ils le feraient pour moi aussi.
Elle relâcha enfin l'enfant, qui s'affala sur le sol et n'en bougea plus. Autour d'eux, le silence se fit. Un silence plus captivé que gêné, d'ailleurs. Même les plus jeunes semblaient s'intéresser à la scène sans la trouver anormal. Une larme apparut dans l'œil de l'enfant. Depuis toujours, son rêve était d'être adopté et d'intégrer une famille qui saurait lui prodiguer de l'amour. Toutefois, pas un seul regard ne lui était favorable. Ils étaient tous posés sur la femme, une grande dame aux cheveux teints en roux, à l'allure aristocratique. Et des applaudissements retentissent dans la salle.
On ne dirait vraiment pas un enterrement.



❝ CHAPITRE 2 ❞
Très tôt, tu as été initié à la religion. L'absence d'enseignement des préceptes religieux faisait que tu n'étais guère croyant ; toutefois, il aurait été impensable pour ta famille de te voir suivre la voie de l'athéisme. A l'âge que tu avais, tu étais bien trop jeune pour t'intéresser à ce genre de choses ; tu n'était pas à même de prendre une décision. Pourtant, dès cette période-là, tes parents adoptifs espéraient bien t'enseigner de véritables valeurs chrétiennes.
Des valeurs que, bien sûr, ils semblaient oublier quand ils s'adressaient à moi.
Un des premiers grands problèmes pour eux avait été d'apprendre que tu n'avais pas été baptisé. Tu avais l'âge de faire ta communion, mais bien sûr, il fallait qu'il y ait d'abord le baptême. Impossible pour tes parents d'envisager une autre voie : tu devais passer par ce rite de passage. C'était une forme de renaissance, de toute façon. Une renaissance par laquelle tu entrerais symboliquement dans la famille. Tu n'avais bien sûr pas ton mot à dire ; toutefois, la partie de toi qui espérait encore ne s'y opposait pas, même si pour toi, cela ne voulait rien dire. A cette époque, tu espérais encore intégrer leurs rangs. Si tu faisais partie des leurs, tu n'échapperais certainement pas à une mort de leur main si telle était la volonté de l'un d'entre eux. Mais au moins, tu recevrais un peu d'amour.
C'était tout ce que je demandais.
« Je te baptise au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. »
De l'eau coule dans ses cheveux, sur son front. Les yeux clos pour ne pas en recevoir à l'intérieur. Le corps courbé, raide, crispé dans ses vêtements blancs. Et, tout autour, le silence. Un silence religieux, au sens littéral du terme. Seul le bruit de l'eau et les paroles du prêtre résonnent dans l'église. Il se relève. L'eau a peut-être une valeur sacrée, mais elle est diablement froide. Tout comme le bâtiment en lui-même : en plein mois de janvier, alors que la neige s'est changée en glace tant les températures étaient basses, chauffer une église de cette envergure n'est pas chose facile. L'enfant va très certainement attraper un rhume. Il se demande si ses nouveaux parents songeront à le guérir. Après tout, s'il tombe malade, ce sera grâce à eux - grâce, car on ne saurait remettre en cause leur bonne volonté de croyants. Pourquoi avoir organisé le baptême en plein hiver, au juste ? Parce qu'ils ont honte, peut-être. Honte que l'enfant soit déjà en âge d'aller à l'école primaire sans avoir jamais croisé le chemin du Seigneur. La célébration sera discrète. Juste un repas de famille, un peu comme à l'enterrement de la matriarche, mais avec un peu moins de monde. L'enfant attend cela sans impatience. Il pressent qu'il va beaucoup s'ennuyer.
Tu n'avais pas tort. Tout le monde se comportait de façon parfaite avec toi au sein de l'église ; le regard du Seigneur les empêchait de révéler leur véritable nature. Toutefois, ces pratiquants n'hésitaient pas à commettre les pires atrocités une fois sorti de l'enclos de leur Dieu. La fête était en ton honneur, mais tu avais l'impression que tout le monde t'ignorait. C'était surtout une bonne occasion de déguster de bonnes choses tout en ourdissant de terribles complots. Dans le fond, tu ne t'en plaignais pas. Tu préférais vraiment ne pas être le centre de leur attention. Tu parvins à t'en tirer à bon compte en piquant quelques miniatures sur le buffet et en t'isolant dans une des salles qui n'étaient normalement pas ouvertes au public, où tu les dégustas lentement.
J'étais songeur. Je me suis souvent demandé comment cette famille pouvait prêcheur un idéal d'une beauté inouïe, exquise, qui aurait pu emporter mon cœur si je n'avais su à quoi m'en tenir, et effectuer exactement l'inverse dans leurs affaires de famille. Ce n'étaient pas de mauvais bougres, mais le bien et le mal luttaient en eux ; il me semblait que le second était plus souvent victorieux.
Parce que le mal est ce qu'il y a de plus facile et de plus avantageux, tout simplement.
Peut-être... mais j'étais vraiment attiré par cette partie religieuse de leur existence. Quand bien même j'avais du mal à croire à une quelconque divinité, qu'elle soit une ou qu'il y en ait plusieurs, parce que j'avais vécu mes premières années dans un milieu pétri d'athéisme, j'aurais voulu vivre selon ces valeurs.
Mais tu n'as pas pu, c'est impossible.
J'ai essayé.
Et tu as échoué. Tu as joué au saint, mais le mal a été plus fort ; il s'est ancré dans ton cœur en passant par une faille que tu ne pensais pas si grave : l'absence d'amour pour ta nouvelle famille. Très vite, c'est devenu une forme de haine. Si tu n'avais pas été aussi faible, tu aurais essayé de les aimer, tu aurais mérité d'être un saint.
Mais le mal lui-même, n'a-t-il pas ses propres saints ?

Tu suis des cours de catéchisme. D'une certaine manière, cela te fait du bien, cela t'aide à mieux comprendre les opinions religieuses de ta famille. Tu t'en voudrais d'embrasser une religion sans la comprendre, et tu t'appliques avec soin. Même malade, tu fais l'effort de te rendre à ces cours, et tu es certainement le plus passionné de tous. Tu n'es peut-être pas convaincu au plus profond de toi de l'existence de Dieu, mais tu conviens qu'il est bon d'y croire. les valeurs que l'on te propose te fascine. Surtout, ces cours s'adressent aux enfants, autrement dit les événements les plus durs sont assez édulcorés. Tu as appris par la suite que l'Ancien Testament est en fait très dur - et ce terme est un euphémisme.
Je l'ai lu avant ma mort. Je l'ai trouvé fort inspirant.
Plus tu en apprends, et plus tu te dis que cette famille est malade.



❝ CHAPITRE 3 ❞
N'importe qui aurait pu dire que le gamin allait mal. Qu'il ne mangeait pas assez, qu'il ne dormait pas assez, qu'il se faisait trop de soucis. Il avait le teint crayeux. Il n'avait que les os sous la peau. Et il regardait les autres avec le regard d'un animal blessé. Dès que quelqu'un croisait son regard, ou lui souriait, il détournait la tête. C'était un gamin gentil, mais trop effrayé, expliquait l'enseignante. En classe, il fallait toujours veiller à ce qu'il ne se laissât pas influencer par les autres. Ce n'était pas qu'il n'avait pas de caractère. Il était simplement très timide, et vraisemblablement atteint d'un lourd complexe d'infériorité, qui l'empêchait de se comporter normalement avec les autres. Suite à quoi l'enseignante demanda poliment : « Il se pourrait que cela vienne de l'environnement familial. J'ai parfois l'impression qu'il semble être soulagé d'être en cours. » Et l'enfant de se crisper sur sa chaise en entendant cette constatation. Sans doute avait-il l'impression que l'enseignante venait de violer une partie de son intimité. Qu'elle dévoilait un morceau de son jardin secret à sa mère, qui s'était spécifiquement déplacée pour la réunion parents-professeurs. Sobrement vêtue d'une robe noire qui soulignait sa taille de guêpe, un foulard rouge sang négligemment posé autour du cou, elle observait la dame avec un mélange de froideur et de mépris qui n'avait certainement pas échappé à l'enseignante, même si celle-ci, habituée à de telles réactions, l'ignorait complètement. Elle posa une main soigneusement manucurée - et dont les ongles, vernis d'écarlate, rappelait la couleur de son foulard - sur l'épaule du garçon, qui se crispa. « Ce n'est pas de sa faute, le pauvre. Je pense qu'il a encore du mal à s'intégrer à notre famille et à nous considérer comme ses véritables parents. C'est normal, laissez-lui le temps de s'adapter. » La dame fronça légèrement les sourcils. « Je n'ai pas dit que c'était de sa faute, simplement... » Elle s'interrompit en posant les yeux sur l'enfant, comme si elle cherchait à savoir ce que lui en pensait.
Tu craignais les problèmes que tes comportements à l'école pourraient t'attirer. Tes parents adoptifs n'attendaient pas de toi que tu fusses un élève modèle - ils sont certes intelligents, mais n'ont pas adopté un enfant pour le voir devenir premier de la classe. Mais tu ne savais pas, et tu ne sais toujours pas, ce qu'ils attendaient de toi. Tu ne comprends guère pourquoi ils ont décidé de faire d'un gamin sans avenir leur héritier. Tu as cru comprendre que l'un des deux était stériles et que c'était un véritable problème dans cette famille, où la lignée faisait tout. Dans d'autres temps, on pouvait répudier son conjoint. Désormais, on adopte - c'est dans les mœurs du temps.
Ce n'était pas de la faute à ma mère. C'était la mienne. C'était moi qui ne m'adaptais pas.
Mais bien sûr, tu ne peux pas t'auto-accuser. Tu n'en es tout simplement pas capable, tu n'arrives pas à parler aux autres. Cela paraît si simple ; tout le monde le fait sans même y penser. Il suffit d'ouvrir la bouche, de laisser échapper les mots que l'on retient prisonnier au fond de son âme. Tu n'y as jamais réussi. Tu ouvres la bouche, et rien ne sort. Tu étais trop timide ; te mettre en avant te rendait malade. Tu ne voulais pas voler la vedette à ta mère. Tu ne voulais pas montrer aux autres ce que tu cachais vraiment au fond de ton cœur - encore moins en sachant que cela pouvait t'être préjudiciable. Tu voulais juste qu'on te laissât tranquille, à jamais. Parce que tu avais si peur, des autres.
J'étais lâche, bien sûr.
L'enseignante soupirant, comprenant qu'elle n'obtiendrait sans doute jamais rien de sa part. Ce n'était pas qu'il n'y mettait aucune volonté - elle le voyait, des fois, il avait des choses à exprimer, il aurait aimé pouvoir les dire, comme tout le monde. Elle ne pouvait rien faire, elle. Ce n'était pas à elle de gérer les affaires familiales, et de toute façon, le gamin ne montrait aucun signe de maltraitance réelle ; il semblait juste ne pas s'alimenter assez, mais c'était une autre histoire. « Bien, je suppose que ce sera suffisant. Votre fils est adorable, madame. » : ajouta-t-elle, peut-être pour se montrer gentille. La mère adoptive partit d'un rire franc, et l'enfant baissa la tête, le rouge aux joues.
Même les monstres sont adorables quand ils sont petits.
A peine sortie de la réunion scolaire, ta mère sortit une cigarette de son paquet et l'alluma avec empressement, comme si elle avait souffert de devoir se retenir pendant l'heure qu'elle avait passé à ton école. Elle expira longuement, un air contrarié sur le visage. Toi, la main dans la sienne, tu essayais de te faire le plus petit possible. Tu avais un espoir secret, un espoir qu'elle seule pouvair faire passer de l'état de rêve à réalité. Si elle le désirait. Tu n'osais pas lui tirer la manche pour attirer l'attention sur toi. Sa paume était si froide contre la sienne. Vous avancez.
Devrais-je l'appeler maman ? Est-ce que cela l'amadouerait ?
Au bout de quelques pas, elle soupira, jeta sa cigarette à terre et l'écrasa furieusement de son talon. Puis elle te lâcha la main, avançant à nouveau sans se soucier de savoir si tu la suivais ou non, puis se retourna pour te lâcher : « J'ai autre chose à faire. Rentre à pied, ce n'est pas si loin. » Tu acquiesças sans rien dire. Pas si loin, peut-être, pour un adulte ; toi, cela te prendrait une bonne heure avec tes petites jambes. Mais tu ne te plaignais pas. Tu n'osais tout simplement pas t'opposer à sa volonté, cela t'était aussi impossible que d'aller dire bonjour à un inconnu. Elle resta là, à t'observer, le temps de s'assurer que tu avais bien compris. Puis elle parcourut les derniers mètres qui la séparait de sa voiture, sans plus te prêter d'attention, et te laissa seul sur le parking. Comme un enfant abandonné, d'une certaine façon.
Seul, mais pas triste. J'avais un rêve. Un désir secret qui me maintenait en vie.
Tu allais le voir et cela te réjouissait.
L'enfant commença à marcher seul dans la rue. Le soir commençait à tomber depuis un moment déjà, et bientôt, seuls les lampadaires qui parsemaient son chemin constitueraient la seule source de lumière. Le garçon savait qu'il ferait mieux de rentrer directement chez lui. Sa mère rentrait toujours très tard le soir, cependant, et son père n'était pas à la maison, vu qu'il était parti en voyages d'affaires la veille. Personne ne serait là pour surveiller son heure de rentrée. Personne ne serait là pour le gronder d'avoir trop traîné, le sermonner de n'avoir pas encore fait ses devoirs et l'inciter à ne pas faire trop de bruits - ils détestaient cela, le bruit des enfants qui jouent sagement leur coin. La maison était étouffante. C'était le lieu de tous les interdits, de toutes les privations. Elle ne rentrerait sans doute pas avant vingt-et-une heures trente, alors pourquoi s'inquiéter de ce qu'elle penserait ? Du moment qu'elle trouvait son repas préparé et le gamin déjà lavé, elle pouvait très certainement s'en satisfaire. Elle se contenterait du minimum. C'était tout ce qu'il espérait. En attendant, il préférait faire un détour dans un quartier voisin. Là-bas, il y avait un parc. Les enfants, autrefois, aimaient beaucoup y jouer ; mais il était tombé en désuétude le jour où des gangs commencèrent à s'y installer pour vendre de la drogue. Désormais, les délinquants n'y traînaient plus, mais le parc était toujours désert. Ou presque. L'enfant y passait beaucoup de temps quand il le pouvait, en grande partie parce qu'il avait eu l'assurance - jusqu'à récemment - de pouvoir être seul en toute circonstance.
Et un jour, alors qu'il fuyait l'enfer de son foyer, l'enfant aperçut une silhouette assise sur la balançoire, trop rouillée pour être encore sûre d'utilisation. Une silhouette assise à sa place habituelle, lui ayant volé bien plus que sa place : son univers, son royaume. Le petit, trop impressionné par cette forme - qui était au final celle d'un garçon -, s'était enfui en courant, incapable de lui faire face. Il était trop timide pour parler avec un inconnu.
S'il l'avait choisi, il ne lui aurait jamais parlé.
Mais il avait remarqué ta présence. Peut-être l'intriguais-tu. Peut-être était-il vexé de voir quelqu'un le fuir. Ou peut-être, tout simplement, désirait-il un ami. Pour toi, ce n'était pas très clair. Mais il était là, chaque jour, à chaque fois que tu venais. Il finissait toujours par arriver, soit avant, soit après toi. Quand tu voyais qu'il s'était déjà installé, tu continuais ton chemin comme si de rien n'était, le rouge aux joues. Quand il débarquait alors que tu avais pris tes aises, tu saisissais le premier prétexte pour partir. Le plus souvent, tu faisais semblant que tes parents t'appelaient sur le petit téléphone portable qu'ils t'avaient laissé pour pouvoir te joindre en cas d'urgence - ils étaient aussi attentifs à toi, d'une certaine manière. Tu murmurais tout bas des mots qui ne voulaient rien dire, juste pour mimer le bruit d'une conversation ; ces syllabes, cependant, ne le trompaient certainement pas. Tu étais si malhabile.
« Tu ne téléphones à personne, pas vrai ? »
Il m'a démasqué. J'ai si honte.
J'ai honte parce que je suis incapable de me protéger des autres. Incapable de leur mentir, incapable de leur faire croire que je suis quelqu'un d'intéressant. J'ai honte car il pouvait voir à quel point j'étais minable.
J'avais conscience de ma médiocrité, bien sûr. Mais je ne voulais pas que ça ressorte.
Et surtout pas devant quelqu'un comme lui.
Il t'attirait, d'une certaine façon, un peu comme un aimant. C'était irrésistible, c'était plus fort que toi. Ce n'est pas qu'il avait l'air plus grand ou plus fort que toi : tu détestais ce genre de personne. Non, tu sentais plutôt qu'avec lui, tu pourrais trouver un équilibre. Qu'il était différent de toi, assurément plus confiant que toi, moins renfermé, mais malgré tout, proche de toi. Tu n'aurais su dire pourquoi, mais tu avais l'impression que lui saurait te traiter sur un pied d'égalité. Ce serait bien la première fois. Alors tu avais peur, comme toujours. Peur de cet inconnu qui pourtant t'attirait.
Non, je ne téléphonais pas. Je te fuyais.
Je ne voulais pas te voir parce que je n'aurais jamais pu te parler.
J'ai peur de toi.
Tant de choses que j'aurais pu dire. J'aurais pu expliquer mon comportement. Ou rire. Ou encore faire comme si de rien n'était, et engager la conversation. C'est ce que ferait une personne normale. Moi, il y avait comme un mur autour de moi. Un mur qui m'empêchait de faire comme les autres. Il m'isolait. Il m'empêchait de comprendre les conventions sociales et les diverses façons de devenir ami avec quelqu'un. Alors tout ce que j'arrivai à lui dire, ce fut simplement : « Pardon. »
Comme tu es lamentable. Dès que tu ouvres la bouche, tu présentes tes excuses.
Parfois, j'ai envie qu'on me pardonne d'être un jour né.
Le sourire qui était en train de naître à mesure que l'enfant s'approchait du parc disparut brutalement lorsqu'il arriva dans le portail. Ses yeux se tournèrent instinctivement vers la vieille balançoire, sauf qu'il n'y avait plus rien à cet emplacement. Juste un espace vide - la mairie s'était enfin décidée à retirer un jeu qui était beaucoup trop dangereux pour les enfants. Il n'empêche que cela lui fit un coup au cœur. Cette balançoire, c'était son lieu de rendez-vous avec son seul ami. Allait-il le perdre ?
Dépité, l'enfant s'assit par terre et commença à arracher sans réfléchir touffes d'herbe sur touffes d'herbe. Attendant qu'il vienne.
S'il daigne venir aujourd'hui.



❝ CHAPITRE 4 ❞
J'ai commencé à me préparer à la mort au moins un an à l'avance.
Ça peut paraître étrange de prévoir un événement aussi imprévisible. Surtout lorsqu'on n'a que quatorze ans, et toute la vie devant soi. Je n'étais pas malade - du moins, pas physiquement. Mon âme, elle, l'était. Comment expliquer, sinon, le sombre dessein que je nourrissais, dessein si noir que je ne pouvais pas envisager d'y survivre une fois celui-ci accompli ? Je devais mourir d'ici à un an. A moi de tout faire pour que ma dernière année d'existence soit la plus belle possible.
Tu voulais, d'une certaine façon, rattraper toutes ces années perdues dans le silence et la honte. C'était pour cela que tu avais pris cette décision. Cela n'avait pas été facile. Mais tu y pensais si souvent. Depuis ton treizième anniversaire, ce jour fatidique que tu as passé seul, sans chauffage - celui-ci était comme par hasard tombé en panne - et où, lorsque tu les avais appelés à l'aide, tu n'avais rien obtenu d'autre qu'un regard glacial t'avertissant de ne guère plus les déranger. Tu n'étais pas empli de haine ; ou alors, juste un tout petit peu. Juste de quoi leur en vouloir assez pour prendre cette décision.
Cela a été une libération. A partir du moment où j'ai décidé de mourir, j'ai vu ma vie sous un nouvel angle. J'ai mesuré à quel point je pouvais être pitoyable.
Et à quel point je pouvais être mauvais.
Il devait le prendre pour un fou. N'importe qui l'aurait pris pour un fou après avoir entendu l'ensemble de ses projets pour l'année à venir. Le garçon le lisait dans son regard. De telles idées étaient choquantes. Immorales. Inacceptables dans cette société où même les enfants abandonnés comme lui pouvaient être adoptés. Dans cette ère de l'individualisme, il y avait encore des valeurs sacrées auxquelles il ne fallait pas toucher. Ce n'était même pas qu'il voulait les remettre en question, non. Il s'apprêtait à les enfreindre tout en sachant pertinemment qu'il était en tort. C'était comme si, d'une certaine façon, il avait envie de faire du mal. Alors oui, pour quelqu'un d'aussi jeune que lui, c'était pure folie. Il n'aurait nulle part où aller, après cela. Aucun endroit ne voudrait de lui ; la bonté avait ses limites. Voilà pourquoi il devait mourir. « Et n'essaie pas de m'en dissuader. J'y ai longuement réfléchi, c'est vraiment ce que je désire. » Un silence, tout d'abord, accueillit cette déclaration. Incrédulité. Incompréhension. Douleur, peut-être. Tout cela se lisait dans les yeux de son ami, son seul ami, la seule personne qui ait jamais nourri une affection sincère pour lui. Le garçon avait conscience qu'il lui demandait l'impossible. Qu'il lui demandait d'accepter une des choses qu'il devait craindre le plus. Perdre la personne que l'on considère comme la plus chère dans son cœur - quel monstre demanderait à en faire autant ? « Je suis désolé. Mais il semblerait bien que nous ne sommes pas faits pour être des amis pour la vie. »
Une boule dans la gorge. Les larmes, qui me montaient aux yeux.
« Je suis heureux de t'avoir rencontré. Merci, pour tout. Sans toi, je serai déjà mort. » Il lui prit la main, la serrant doucement entre ses doigts. Il essayait d'avoir l'air brave, de ne pas paraître affligé, de ne pas montrer sa peur. Peut-être avait-il mal calculé, après tout. Peut-être n'aurait-il pas dû lui dire qu'il allait mourir dans un an. Car le visage de son ami faisait si mal à voir. Comment faisait-il pour être si courageux ? Pour ne pas se dégager de sa prise, pour ne pas le fuir ? Pourquoi le regardait-il avec ces yeux attristés, mais certainement pas accusateurs ? Sans doute leurs existences respectives avaient-elles été trop dures pour qu'ils puissent renier aussi facilement un ami. Même quand l'ami en question osait lui faire un des pires coups qui puissent exister sur Terre.
Pardonne-moi. Me pardonneras-tu ? Je ne voulais pas te blesser. Je...
Il ne l'empêchait pas de poursuivre sur cette voie. Il ne semblait pas estimer nécessaire de le convaincre de vivre. Il le connaissait assez pour savoir qu'il en avait assez. Qu'il avait perdu le goût de la vie il y a fort longtemps, à une période où ils ne s'étaient même pas encore rencontrés. Ce garçon était brisé par la vie. Brisé par les brimades de ses parents adoptifs - pas de mauvais bougres, juste des êtres sans cœur qui n'avaient jamais aidé leur enfant à s'adapter à l'idée de l'adoption. Brisé par la solitude dont il était entouré jour et nuit, seulement interrompue par ses rencontres avec son ami.
Mais surtout, détruit par cette dévorante timidité qui faisait de lui un être passif, en retrait, quelqu'un qui n'arrivait pas à être l'acteur de sa propre vie. Submergé par la honte, accablé par l'orgueil, il ne pouvait rien faire. Il était comme bloqué, il ne pouvait jamais agir. Quelqu'un comme lui ne réussirait jamais dans la vie. Il deviendrait un parasite qui essaierait de vivre en dérangeant le moins de gens possibles. Préférant vivre dans l'inconfort plutôt que de demander quoique ce soit à quelqu'un. Essayant de passer inaperçu, de n'être vu de personne. Il n'avait pas la force pour vivre en ce monde, et son ami le savait très bien. Sans doute est-ce pour cela qu'il ne le retint pas ce jour-là. Qu'il se contenta d'acquiescer doucement à l'idée qu'ils seraient séparés dans un an.
Je...
Il y avait une chose que tu voulais lui demander. Toi qui, pourtant, ne demandais jamais rien à personne. Tu avais une question cruciale à lui poser. Une demande. Une faveur, même. Quelque chose que lui seul pourrait te donner. Cela te semblait bizarre, cependant, de le lui demander, à lui. C'était ton ami, après tout. Tu ne te sentais pas à l'aise, cela t'effrayait. Encore plus que de lui annoncer ta mort future.
Je suis...
Mais tu avais pris la décision la plus radicale de ta vie. Tu ne pouvais plus revenir en arrière, désormais. Qu'est-ce que c'était qu'une demande, de toute façon ? Une demande à quelqu'un qui comptait tellement pour toi. Quelqu'un qui acceptait de te voir mourir parce que telle était ta décision. Le rouge te monta aux joues. Tu baissas la tête, gêné, rivant les yeux vers le sol. Comme toujours, tu avais l'impression de mourir à chaque fois que tu devais demander quelque chose. Ton cœur battait plus fort, la chaleur s'emparait de ton corps. Tu avais honte de toi, à chaque fois. Juste envie de te cacher sous terre, de cesser d'exister. Tout, plutôt que de rester sous le regard d'autrui. La différence avec les autres fois était toute simple. Tu savais que, cette fois, tu avais raison d'avoir honte. Tu n'avais pas à demander cela, c'était normal s'il te regardait de travers. Et le fait que n'importe qui d'autre aurait eu honte à ta place te motiva assez pour te faire relever la tête, et regarder dans les yeux.
« Avant de mourir... »
Ta voix hésitait. Ton cœur vacillait. Tu aurais voulu mourir.
C'était une torture.
Mais tu avais été torturé par ta timidité pendant quatorze ans. Ce n'était rien.

« … j'aimerais connaître l'amour avec toi. »

C'est un souvenir dont tu aurais du mal à te défaire après ta mort. Une expérience si unique que tu t'en serais souvenu jusqu'à la fin de tes jours si tu avais continué de vivre. C'était presque comique, d'ailleurs, je pourrais rire de toi tant tu étais naïf et puéril.
Je ne suis pas...
Oh si, tu l'es, affreusement même. Souviens-toi correctement de ce qui s'est passé ce jour-là. Tu avais eu le temps de te préparer, pourtant. Tu devais mourir deux jours plus tard ; c'était même toi qui avais choisi la date. Tu avais choisi beaucoup de choses, d'ailleurs, comme si tu espérais garder le contrôle de la situation. C'était toi qui l'avais demandé, après tout. Et tu étais si étonné, et si fier qu'il te dise oui. L'intensité de son regard t'avait questionné tout le long de cette année. Tu t'étais demandé si, finalement, c'était bien de l'amitié que vous ressentiez l'un pour l'autre. S'il était véritablement capable de surmonter ta mort. Ou s'il se sentait tout simplement obligé de te faire croire à ce doux rêve, pour que tu puisses quitter ce monde sans regrets - en adulte, et non en enfant.
Un peu comme la dernière grâce d'un condamné à mort.
Sauf que tu t'étais condamné toi-même. Encore heureux que tu aies pensé à demander à lui, et non à quiconque d'autre. Cela aurait été dérangeant, tu ne crois pas ? Tu étais déjà très gêné, et même carrément effrayé. Il n'en menait pas large, lui non plus ; vous aviez presque peur l'un de l'autre. Vous étiez si jeunes, après tout. Et pendant un long moment, aucun de vous n'a réussi à prendre d'initiative. Trop de crainte, tout simplement. Vos regards étaient levés vers le ciel, car vous étiez incapables de les baisser vers vos corps. Ce n'était pas comme dans les livres, ou toutes ces fictions où les gens laissent libre cours à leurs plus noirs fantasmes. Vous, vous étiez dans la réalité, et vous étiez empêtrés dans vos complexes. Surtout toi, qui te détestais plus qu'autre chose - alors que ton corps était d'une pureté absolue. Il y avait certainement un point qui vous gênait, ce point crucial qui vous empêchait de vous connaître.
Que se passe-t-il, entre nous ?
Vous saviez que vous trouveriez la réponse en essayant. C'était logique, d'ailleurs. Et c'est pour cela que cela vous effrayait. Toi, tu ne voulais pas la connaître, cette réponse. Pas alors que tu allais mourir, et qu'elle allait sombrer avec toi dans le néant. Tu ne voulais pas que quelque chose d'aussi important devienne aussi insignifiant. En même temps, tu le lui avais demandé. Tu voulais savoir. C'est toi qui a fait le premier pas, à nouveau, pour deux raisons. D'abord, parce que tu l'avais fait la première fois, et que tu devais assumer tes hâtes.
Ensuite, parce que j'étais tellement habitué à avoir honte - cela m'aurait hanté le reste de ma vie, mais j'allais mourir deux jours plus tard, pourquoi m'en inquiéter ?
Ceux qui disent que la première fois est merveilleuse n'ont pas vécu la même chose que vous. On ne peut pas dire que cela a été une expérience réjouissante. Tu n'es certainement pas en mesure de comprendre ce qu'éprouvent les adultes. Tu étais encore jeune, à ce moment-là. Alors tu as perdu ta pureté - ton corps a été souillé. Curieusement, cela te réjouissait après coup. Car si le moment en lui-même n'avait pas été si extraordinaire, la suite, elle, était inoubliable. Son regard un peu embrumé, qui se posait sur toi avec moins de gêne. Les tremblements de ton corps agressé. Ton souffle rauque, irrégulier, que tu ne parvenais plus à contrôler ; le rythme effréné de ton cœur. Et surtout, cette sensation de béatitude - la première fois que tu la ressentais vraiment. Un bonheur à nul autre égal, une euphorie ; une extase.
Le monde était d'une beauté inouïe.
Tu l'as embrassé avant de partir. Ce n'était pourtant pas nécessaire : vous aviez fait ce que vous deviez faire. Le moment était terminé. Vos vêtements reconstituaient la distance que vous aviez réussi à effacer. Et... cela te gênait. Alors tu avais décidé de goûter une dernière fois à l'interdit. Il ne se défila pas. Il ne te répondit pas non plus. Il te semblait perdu. Peut-être bien plus que toi, car tu avais l'impression, pour une fois, de comprendre quelque chose à ton existence. Quelle meilleure façon de laisser sa vie derrière soi, qu'en partant lorsque tout va pour le mieux ?
J'étais prêt, désormais.



❝ CHAPITRE 5 ❞
Je vais mourir aujourd'hui. Voilà la première pensée qui me traversa l'esprit quand je me levais ce jour-là. Je vais mourir. Et cela ne me faisait même pas peur. J'étais si calme, étrangement. Je me levais comme si ce jour devait être le plus beau de ma vie. J'avais bien choisi mon heure, qui plus est ; le temps, dehors, était magnifiquement pluvieux, et le ciel d'un gris perle soutenu. Pour autant, l'air était sec ; la pluie tardait à venir. J'avais choisi ce jour pour plusieurs raisons. On était dimanche. Mes parents adoptifs comptaient rester à la maison aujourd'hui. Et les vacances scolaires allaient s'achever le lendemain. Allez savoir pourquoi, j'avais tenu à passer les deux dernières semaines loin de l'école. Moi qui, pourtant, ai toujours préféré les périodes scolaires, où je passais l'essentiel de mon temps loin de la maison. C'est ce que j'avais fait aussi, ces deux dernières semaines.
Tu étais avec lui, bien sûr.
Je sentais qu'il y avait quelque chose qui le démangeait. Qu'il était prêt à agir. Ce dont j'avais peur, c'était qu'il puisse m'empêcher de suivre mon plan. Je l'en aurais haï jusqu'à la fin de mes jours. Très certainement. Si j'étais encore capable de le haïr, bien sûr. Ce n'était pas sûr. S'il ne venait pas jusqu'ici, alors je serai tranquille. Je voulais mourir seul, après tout.
Seul, c'est vide dit, quand on considère ce que tu as fait...
Dis donc, aurais-tu une critique à me faire ? Pour une fois que je prends une décision par moi-même et que je m'y tiens jusqu'au bout, tu ne devrais pas t'en montrer satisfait, toi qui n'arrêtes pas de me qualifier de lâche ?
Cela n'a rien à voir. C'est simplement que tu n'es pas le seul à avoir trouvé le repos éternel ce jour-là. La Grande Faucheuse a eu beaucoup de travail.
Ah, ça, pour sûr, on ne peut pas dire qu'elle n'est pas venue pour peu, celle-là.
Neuf heures du matin. Si de sombres nuages ne couvraient pas le ciel, un rayon de soleil aurait très certainement commencé à s'infiltrer à travers les volets mal fermés du séjour. A l'intérieur de la maison régnait un silence de plomb, seulement brisé par de petits pas furtifs, les pas d'un jeune homme qui n'était pas tout à fait chez lui, sans être tout à fait un étranger. Les propriétaires de la maison dormaient encore, emmitouflés dans leurs couvertures, épuisés par une semaine passée à courir dans tous les sens. A faire tout et n'importe quoi, plutôt qu'à s'occuper de leur fils. Ce n'était qu'un enfant abandonné. Un enfant qui ne partageait aucun lien de sang avec eux.
Mais nos sangs vont se mêler, j'en fais la promesse.
Le jeune homme effectua un bref passage par la cuisine avant de remonter à nouveau les escaliers, s'efforçant de faire le moins de bruit possible. Les marches avaient tendance à craquer un peu, le bois travaillait. Mais quand bien même ils l'entendaient, quelle importance ? Il était ici chez lui, ou presque. Il n'était pas un intrus, un élément imprévisible ou quoique ce soit dans le genre. Il avait le droit de monter ces escaliers, tout comme il avait le droit de parcourir le couloir de l'étage.
Peut-être, en revanche, n'avait-il pas le droit de dépasser la porte de sa chambre pour avancer jusqu'au bout, aller jusqu'à cette porte qui lui avait toujours été interdite.
Ce n'était pas qu'il n'était jamais rentré dans la chambre de ses parents. Il avait très souvent pris l'initiative de faire le ménage dans toute la maison, afin de complaire à ceux qui réglementaient sa vie. Il avait remarqué que le fait de les décharger de leurs tâches ménagères les mettait de meilleure humeur, et dans de meilleures dispositions par rapport à lui. Il connaissait donc très bien les lieux ; il avait mémorisé la disposition des meubles, de sorte qu'il était capable de s'y repérer sans lumière. Il connaissait les objets qui se situaient sur chacun d'entre eux ; il y en avait un certain nombre, cela pouvait potentiellement le gêner s'il commettait une erreur dans sa trajectoire. Il savait tout cela si bien, et pourtant, il ne savait presque rien des occupants de la pièce. Avant d'entrer, il se permit un soupir. Il aurait aimé pouvoir trouver une autre solution, vraiment. Toutefois, il ne pouvait pas faire autrement. Il s'était rendu compte que seule sa raison pouvait encore l'empêcher de commettre l'irréparable. Et celle-ci était submergée par ses émotions.
Je ne pouvais pas faire autrement, parce que j'étais empli de haine.
Et la source de cette haine, c'était eux.
Mais moi, je savais que je n'avais pas le droit. Voilà pourquoi je devais mourir.
Tu poussas alors la porte. Doucement, très doucement. Bien sûr, tu t'étais assuré au préalable que les gonds ne grinçaient pas ; il aurait été dommage de tout gâcher à ce niveau là. Un peu de clarté pénétra dans la pièce en même temps que toi, et tu te dépêchas de refermer la porte derrière toi pour te retrouver à nouveau dans l'obscurité la plus totale. Ton père ne supportait pas qu'il y eût un peu de lumière dans sa chambre avant de s'endormir. Tu entendais, dans le noir, deux souffles autres que le tien, souffles très légers, distincts, différents par leur rythme et leur intensité - même si tu n'aurais pas su dire lequel des souffles appartenait à l'un ou à l'autre. Tu te faufilas vers le lit, t'appuyant légèrement sur le matelas en te penchant sur ton père adoptif. Tu avais choisi de t'en prendre d'abord à lui ; parce qu'il était plus proche de la porte, et parce que tu craignais sa réaction s'il se réveillait. Tu n'étais pas encore aussi fort qu'un homme, mais tu pourrais peut-être te battre contre ta mère adoptive. Pas contre lui. Te souvenant des fruits de tes longues recherches, imitant un geste que tu avais fait de nombreuses fois pour t'entraîner, tu enfonças ton arme improvisée dans sa chair endormie. Puis tu te reportas sur la femme qui dormait à ses côtés pour réitérer l'opération. Le tout sans état d'âme, avec une froideur digne d'un professionnel, alors même que le feu de la haine brûlait en toi.
Mourez avec moi. Ouvrez-moi la voie. Faîtes quelque chose pour moi, au moins une fois dans votre misérable existence.
Tu t'assis par terre un moment, observant leur agonie avec un mélange d'horreur et d'extase. Tu n'aurais su dire pourquoi, mais tu n'avais pas l'impression que ce crime tâchait ton âme. Au contraire, ton cœur était en paix. Tu étais même heureux, pour la première fois de ton existence. Totalement heureux. Ce crime était un peu comme une expérience mystique : tu avais l'impression que cela t'ouvrait des portes, te montrait des choses que les simples mortels ne pouvaient pas voir. Comme on considérait la vie de façon différente, quand on l'avait ôté à quelqu'un !
J'étais devenu un saint, en quelque sort. Un saint du mal.
Ils étaient morts, désormais. Plus rien ne bougeait. Tu ne voyais pas ce que tu avais fait, l'obscurité ne te permettait pas de le discerner. Mais tu savais où ils étaient. Tu montas sur le lit, te glissant entre leurs deux corps encore chauds, et te blottit tout contre eux. Tu baignais dans un liquide poisseux, empli d'une odeur âcre. Tu avais l'impression d'être à place. Que, pour la première fois de ta vie, ils t'aimaient vraiment.
Parce que les morts sont capables d'amour ?
Onze heures du matin. Le jeune homme sortit de la chambre et porta la main à ses yeux comme la lumière l'éblouissait. Il était resté trop longtemps dans cette pièce au noir, sans allumer la lumière ni ouvrir les volets. Quand il rouvrit enfin les yeux, il fut surpris de voir tout ce rouge sur ses vêtements. Il avait choisi du blanc, symbole de pureté ; il n'avait cependant pas songé que le rouge pouvait imbiber le tissu et en changer la couleur. Il secoua la tête, légèrement dépité. Il lui sembla qu'il allait louper quelque chose, dans sa façon de tirer sa révérence. Toutefois, les choses n'étaient pas encore perdues. Il lui restait une heure avant de mourir.
Le doute était absent. J'étais persuadé d'avoir fait une bonne chose, pour une fois.
Tu n'avais pas vraiment envie de partir couvert d'un sang qui n'était pas le tien. De leur sang maudit. Soupirant, tu te défis de tes vêtements, et te glissas jusque dans la salle de bains, à côté de leur chambre. Tu fils couler de l'eau sur ton corps rougi, te frottant vigoureusement pour faire effacer toute trace de ton forfait. Tu ne le niais pas. Tu voulais simplement être propre quand viendrait ton tour. Aussi propre que quelqu'un d'aussi corrompu que toi pouvait l'être, bien sûr.
Mon âme est-elle blanche ou noire ?
Tu finis par t'arracher du jet d'eau, ne prenant pas la peine de fermer le robinet - ce n'était pas tes parents qui allaient se plaindre de la facture, de toute façon. Et ce silence te déplaisait. Tu voulais du bruit autour de toi, pour tes dernières minutes ; l'eau de ta douche évoquait le son déformé d'une fontaine. C'était un cadre plutôt agréable. Tu aurais voulu mourir dehors, tu t'en rendais bien compte. Sous le soleil et la pluie, les deux à la fois, les yeux rivés sur les chatoyantes couleurs d'un arc-en-ciel. Toutefois, c'était une mise en scène que tu ne méritais pas. Tu t'emmitoufles dans ta serviette pour t'essuyer puis pour te rendre jusqu'à ta chambre. Tes pieds nus, encore humides, laissent des traces sur le sol.
La serviette, elle, est noire.
Tu entras dans ta chambre et délaissas le drap de bain pendant que tu fouillais ton armoire. Tu avais si peu de vêtements blancs, tu as toujours été attiré par les teintes sombres. Le noir, bien sûr, mais aussi le brun et le bordeau. Parfois un bleu très sombre. Ces vêtements souillés, tu les avais achetés exprès pour l'occasion. Tu soupiras. Et tu te décidas à changer de couleur. Du noir, du noir, encore du noir. Uni et uniforme, dénué de toute fioriture. Tu frissonnes un peu en te glissant à l'intérieur. Comme si ta propre mort t'échappait.
Peut-on être un saint du mal ? Je me le demande. C'est l'impression que j'ai.
Le temps tourne. Lentement. Le jeune homme était allongé sur son lit, et les volets à moitié fermé laissaient échapper une lumière bien faible. Il ne fermait pas les yeux. Il fixait le plafond en se disant qu'il ne verrait plus jamais le ciel. Il ne parvenait pas à décider si cela lui faisait mal ou non.
Au fond, quelle importance ?
Il est presque midi.


C'est presque l'heure. Il est temps pour moi de vous abandonner, de passer de l'autre côté. Je m'appelle Arsène Romilly. J'ai quinze ans, et en ce jour, j'ai décidé d'échapper à la justice en me donnant moi-même la mort. Je ne peux pas expliquer mes motivations. Je ne les comprends pas moi-même. Au moins, je n'ai pas de réels regrets. A part, peut-être, celui d'avoir vécu aussi peu sur Terre. Ce n'est pas si grave. Ce devait être mon destin, voilà tout.
Je ne veux pas que l'on me pleure ni que l'on me plaigne. J'ai rencontré le bonheur le jour où j'ai embrassé le dessein de périr. C'est ma décision, ma volonté, et je voudrais qu'on la respecte.
Je ne crois pas à la vie après la mort. De toute façon, celle-ci ne peut être que terrible. Quel avenir attendrait quelqu'un comme moi, qui ai trempé mon âme dans le plus noir des projets, effaçant ce qui, pour les autres, représente l'origine, et qui pour moi représente l'origine de tous mes maux ? Je veux simplement cesser d'exister. Mes pensées sont trop douloureuses.
Alors je quitte ma chambre. Ma mort se fera au sommet, dans le grenier. C'est poussiéreux, mais peu importe. Et alors que j'arpente le couloir, j'aperçois une silhouette, près de l'entrée du grenier. Une silhouette que je ne connais que trop bien, que je ne voulais pas voir. Mon cœur se serre. Je ressens comme une douleur dans ma poitrine, c'est fou, j'ai l'impression de n'avoir jamais été aussi vivant.
Cher ami, es-tu venu mourir avec moi ?
Sans doute est-ce la seule façon pour toi aussi de trouver la paix.
Alors mourrons ensemble. Main dans la main.
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MessageSujet: Re: SAINTETÉ. ❝ FILEUR ÉTERNEL DES IMMOBILITÉS BLEUES ❞ (TERMINÉ)
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MessageSujet: Re: SAINTETÉ. ❝ FILEUR ÉTERNEL DES IMMOBILITÉS BLEUES ❞ (TERMINÉ)
SAINTETÉ. ❝ FILEUR ÉTERNEL DES IMMOBILITÉS BLEUES ❞ (TERMINÉ) RxkgjUaDim 8 Fév - 0:07

Prends toute la place que tu veux, fais comme chez toi. ♥
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MessageSujet: Re: SAINTETÉ. ❝ FILEUR ÉTERNEL DES IMMOBILITÉS BLEUES ❞ (TERMINÉ)
SAINTETÉ. ❝ FILEUR ÉTERNEL DES IMMOBILITÉS BLEUES ❞ (TERMINÉ) RxkgjUaDim 8 Fév - 0:55

image de bienvenue
BIENVENUE SUR LIBRA ••

Ca y est, te voilà validé et prêt à parcourir les grandes plaines de Libra. Tu as désormais accès à l'ensemble du forum et est libre de rp avec le reste des âmes !

N'oublie cependant pas d'aller jeter un coup d'oeil aux bottins pour faire recenser ton personnage notamment.

Et surtout, amuse-toi bien et puisse ton voyage durer ! ♥


Classieux.
la plume est un peu beaucoup parfaite. + le tribu + le prénom + le titre + l'histoire, le carac, et même les anecdotes.
Bref c'est juste regijeroklgergergjk rageant totalement cool.
hâte de te voir rouge ~♥
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FICHE RS ▲ : www

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MessageSujet: Re: SAINTETÉ. ❝ FILEUR ÉTERNEL DES IMMOBILITÉS BLEUES ❞ (TERMINÉ)
SAINTETÉ. ❝ FILEUR ÉTERNEL DES IMMOBILITÉS BLEUES ❞ (TERMINÉ) RxkgjUaDim 8 Fév - 1:22

bienvenue sainteté sur libra ! ♥
J'ai adoré lire ta présentation, hâte de voir les rps **
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MessageSujet: Re: SAINTETÉ. ❝ FILEUR ÉTERNEL DES IMMOBILITÉS BLEUES ❞ (TERMINÉ)
SAINTETÉ. ❝ FILEUR ÉTERNEL DES IMMOBILITÉS BLEUES ❞ (TERMINÉ) RxkgjUaDim 8 Fév - 15:49

Je ne me souviens plus du tout ce que j'étais censée te poster.
Mais bon retour dédoublé.
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MessageSujet: Re: SAINTETÉ. ❝ FILEUR ÉTERNEL DES IMMOBILITÉS BLEUES ❞ (TERMINÉ)
SAINTETÉ. ❝ FILEUR ÉTERNEL DES IMMOBILITÉS BLEUES ❞ (TERMINÉ) RxkgjUaDim 8 Fév - 17:55

Je. Wow.
Je ne sais pas quoi dire sinon un grand merci vous tous, beaucoup d'amour sur vous. ♥ (et bravo pour la lecture)
(Yemdel, t'étais censée me dire un truc comme quoi je m'étais plantée de personnage mais... je ne sais plus pourquoi. En rapport avec Kai, juste.)
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MessageSujet: Re: SAINTETÉ. ❝ FILEUR ÉTERNEL DES IMMOBILITÉS BLEUES ❞ (TERMINÉ)
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