C’est beaucoup de passion, beaucoup de pulsions.
C’est le premier temps de la valse; la folle brune sourit en dansant.
« La montée doit être plus lente, elle aurait du être plus lente », Carmin s’exprime.
Mais il n’y a pas de montée ; les notes attachées à cette ligne restent invariables. Il y a cette cruelle immobilité de la condition, une promesse dans les gênes particulières des Vagabonds. A jamais ivre, elle lève son verre dans un rire dont elle ne maîtrise rien. Mais pourquoi se plaindre ? Se plaindre du monde qu’elle trouve plus magnifique que n’importe qui, se plaindre de cette éternelle euphorie alors qu’elle part danser au clair de Lune, la forme d’honnêteté la plus pure et souillée - paradoxe.
Elle ne connaît ni l’avant, ni l’après. Il y a le pendant, il y a les verres qui se vident; la soif du condamné. « Parfois je comprends pas. Je bois pour combler un état dont je ne sortirais pas », Carmin constate. Elle rit ensuite. Et elle se noie dans le regard des gens, le sien perdu quelque part entre joie et décadence.

Quelle déchéance.

« Je ne crois pas être comprise. En fait, ça n’vous intéresse pas. Ca ne m’intéresse pas non plus, de comprendre. Mais j’aime être comprise. Oui, voilà le monologue de l’alcoolique du bar, c'est d'un triste ! » Mélodramatique, elle jette la tête en arrière et expire un gloussement. « Je suis née avec ça. Cette chose. L’ivresse. » Et une larme roule sur ses joues rosées. « Les gens ne comprennent pas. Je suis ivre. Complètement ivre. Mais ivre de tout. Ivre de vous, ivre de danse, ivre de bonheur, ivre bourrée affalée sur le bar, ivre d’amûûûûr. » La vérité tombe sur ses épaules menues, l’Ivresse.
Une valse à trois temps; à jamais elle sourit pour vous. Il n’y a pas de jours où elle vous aime moins, il y a des jours où elle aime plus l’alcool que l’amour. Il y a des heures où elle dansera, son cœur et son âme force de ses mouvements. Les lèvres carmins empreintes de bonheur alors qu’elle les pose délicatement sur les vôtres, elle ne vous aimera pas plus loin que l’aurore.
Tout comme les pas, elle oublie; des fragments qu’elle n’a pas ramassés, emportée par l’euphorie. « Je l’ai aimé. C’est mon cœur qui me le dit », Carmin s’explique. « Mais je ne m’en souviens pas. » Alors qu’importe,
Qu’importe.

Carmin continue de rire et danser, dans cette énergie si mystérieuse qui la caractérise. Il y aura toujours cette valse à mille temps;
Mais qu’importe.

Elle sera là, lorsque vous vous y attendez et parfois pas. Beaucoup de questions, parfois vos réponses, beaucoup de sourires, parfois votre rire, beaucoup d’amour et parfois votre haine. Les chats mal apprivoisés griffent leur maître; une mise en garde, vous touchez du verre. Héros proclamé, lorsque vous ne souffrirez plus des coupures. Et vient le deuxième temps de la valse; la folle brune baigne dans le sang de vos plaies.
« Il n’y a que la vérité qui blesse », Carmin s’exprime.
Une honnêteté brutale, l’ivrogne plante le poignard de la franchise en aveugle et se surprend à boire un verre seule. Elle est la confidente et l’ennemie, l’amante et le trépas; inconstante, inconstante,
constante. Elle boit vos paroles tout comme les verres qu’elle descend, fascinée et blasée. Elle ne répond pas à vos attentes, Carmin, elle s’enfuit, Carmin. Elle fait des promesses, Carmin, puis les oublie. Elle est insupportable, Carmin, à ne jamais vous prendre au sérieux, Carmin – ou parfois lorsqu’elle le veut bien; et malgré son dédain, les vérités qu’elle vous crache au visage vous meurtrissent, là où le cœur n’écoute pas, la mémoire se souvient.

Ca suffit, le voilà enfin; le troisième temps de la valse.
La folle brune danse en souriant.
A jamais esclave de sa nature, à jamais euphorique, à jamais ivre;

fredonnant, Carmin.