La sonnerie du réveil résonne impitoyablement dans ma chambre. Maugréant inutilement contre l’appareil, je l’éteins sans même ouvrir les yeux. La tête enfouie dans mon oreiller, je soupire comme tous les matins. À quoi bon se lever ? Je m’accorde quelques secondes supplémentaires de répit. Je profite de la tiédeur de la couette, mes membres sont encore engourdis par le sommeil. À regrets, je me résous finalement à abandonner cette sensation de bien-être pour quitter mon lit.

Je m’habille d’un jeans et du premier T-shirt qui me tombe sous la main, puis je passe rapidement par la salle de bain. Contrairement à la plupart des filles, je n’ai pas besoin de plus de quelques minutes pour me débarbouiller et essayer tant bien que mal de mettre de l’ordre dans mes cheveux. Je n’ai jamais compris l’intérêt du maquillage qui abîme la peau plus qu’il ne l'embellit... De toute façon, ce n’est pas la peine de dépenser de l’argent là-dedans.

Je n’arrive pas à avaler quoique ce soit pour le petit déjeuner. Ma mère n’est pas non plus présente pour me forcer à grignoter quelque chose... Elle a réussi à se trouver un petit boulot il y a quelques semaines et quitte l’appartement avant même que je me lève. Tant pis, je ferai sans. Mon estomac, vide ou plein, n’y changera rien.

À peine sortie, je reçois une bourrasque d’air frais en pleine figure. C’est à croire que même le vent m’en veut... J’ai le cœur gros sur le chemin du collège. J’ai l’impression que mon sac s'alourdit de plus en plus que j’approche de l’école. Je ne veux pas y aller... Et si, pour une fois, je n’y allais pas ? Je pourrais sécher les cours, m’enfuir, loin. Non, c’est ridicule... Je n’ai nulle part où partir et une fugue ne ferait qu’inquiéter ma mère. Je tourne les yeux vers le ciel et respire profondément. J’espère de me persuader sans grande conviction que ça se passera peut-être mieux que d’habitude.


La matinée ne s’est pas définitivement pas déroulée mieux que les autres. Je n’arrive plus à supporter les boulettes de papier lancées, les injures,  mes affaires dégradées, les croche-pieds au détour d’un coin et les regards méprisants ! Quand je pense que mon prof d’histoire a vu Carmen et sa bande me frapper mais n’a pas dit un mot... Je ne peux rien faire, je suis tellement inutile... Ils ont sûrement raison, quelque part. Je ne devrais pas être née. Je n’aurai pas dû. Même maintenant, je suis là, enfermée dans les toilettes en train de pleurer mon sort. Pitoyable.

J’essaye de sécher mes larmes et de reprendre une respiration normale à la sonnerie. Je ne veux pas qu’ils me voient dans cet état, je ne leur offrirai pas ce plaisir. Mes yeux rouges et gonflés se reflètent dans le miroir, je quitte la pièce la boule au ventre. Je tente d’ignorer les têtes qui se tournent sur mon passage et je me dirige rapidement vers les escaliers. Il ne reste plus que quelques marches et couloirs à passer avant de rejoindre la salle de cours en bas... Et ça recommencera de plus belle.

Soudain, je sens quelqu’un s’approcher derrière moi. Méfiante, je m’arrête et me retourne... Juste le temps d’apercevoir le visage du garçon qui me pousse violemment.

« Dégage ! »

Je perds l’équilibre. Je pars en arrière. Je pousse un cri. Je chute. Les secondes durent une éternité... Mon dos me fait horriblement mal. Je sens ma tête heurter quelque chose. Douleur. Et ensuite ? Plus rien.


Je ne pensais pas que ce « plus rien » prendrait la forme d’une balance. À vrai dire, je ne pensais pour ainsi dire tout simplement plus. J’étais sceptique à l’idée d’une vie après la mort. J’avais déjà assez souffert durant ma première existence, j’aurai préféré qu’on laisse mon âme en paix. Je n’avais jamais eu de chance jusqu’alors et cela ne c’est pas arrangé par la suite. Sans que je puisse en comprendre les raisons, on me jugeait encore une fois coupable. Il a fallu qu’on me retire le sens du toucher pour que je puisse faire mon entrée dans l’éden... Paye ton paradis.