MESSAGES ▲ : 37 DATE D'INSCRIPTION ▲ : 09/02/2015 AVATAR ▲ : reagan bishop • siobhan DIT ▲ : Grenade, Sara FICHE RS ▲ : embruns épicés
Sujet: le bruit des vagues • camélia Ven 13 Fév - 21:10
Sarrasin puise dans ses ressources efflanquées l'assurance que seuls peuvent brandir les gens perdus.
Elle égrène l'un après l'autre tous les bancs émail de la citadelle. Elle les engloutis en allant s'y prélasser, puisqu'elle a le désir ardent de sentir la chaleur du ciel venir consteller sa peau. Mais comme Sarrasin est envahie et trouée de passions et de caprices, elle poursuit, obstinée, l'arc de cercle que le soleil accomplit au dessus de son front. Elle ne veut non pas attraper les rayons lorsqu'il se distordent un peu plus vers l'ouest et ne réconfortent d'un pan de son corps, mais elle les exige là, droits, sur le méridien de son visage. Chacune de ses paupières doit être pétrie par ce réconfort, ainsi que chaque moitié de sa bouche quand elle offre à l'horizon un sourire d'orge. Elle ne tolère pas d'ombres.
Puis, elle bondit et court vers un autre banc pour être sûr de ne pas être dérobée au soleil.
Aujourd'hui, Sarrasin a continué à tisser les entrelacs de sa deuxième vie. Elle a découvert : la ruelle étriquée qui débute derrière la boutique de costume trois-pièce, qu'une queue de pie pouvait aussi être en coton, que les os ont des appellations comme des noms de nouveau-né, une assiette posée à même les pavés à l'entrée d'une maison de deux étages, trois gouttes de basalte près d'une bouche d’égout en fonte, etc.
Sarrasin découvre la grande ville blanche sans jamais aller trop loin et en craignant toujours de se tordre une cheville. Ses errances tracent à l'encre transparente mille arabesques confuses sur les dallages multicolores de la citadelle. Elle se déplace en ronds concentriques et toujours en se gravitant près du cœur. Quand sa curiosité l'égare et qu'elle jouxte, brûlante de crainte, les frontières des bâtiments familiers, là ou tout s'aplatit comme une personne assoupie, Sarrasin retourne aussitôt dans son orbite lénifiant.
Il ne faudrait pas qu'elle fasse quelque chose de mal s'en allant rire dans ces campagnes.
Comme à son habitude, Sarrasin a adressé au monde ses sourires et a happé quelques silhouettes avec ses petits gestes vifs du poignet. Quand des traits inconnus et ouverts se sont imposés à ses yeux riants de tourmaline, elle a parlé, beaucoup, entamé une nouvelle relation qu'elle a ajouté dans l'écrin de toutes les relations qui lui sont précieuses, posé un chapelet de questions et s'est interrompue très brusquement. Elle a rencontré quatre personnes et en est à son dix-huitième panorama sans avoir compté.
Dans ses absences, Sarrasin s'est sentie fébrile et l'été qu'elle pourchassait, inlassable, n'en était pas le timide coupable.
L'anémie a piqué ses muscles, ses épaules ont mimé le gonflement d’albâtre d'un dôme. Très soudainement, Sarrasin à pensé, en voyant les cuisses des passants tracer des mosaïques horizontales devant sa posture et rigide, et tiède, que les bretelles de son débardeur étaient trop maigres et son short marine trop relevé. Elle a aussitôt changé d'observatoire du monde et cette impression s'est flétrie dès qu'elle a entendu le chuchotis des graviers sous ses talons.
Une oscillation et Sarrasin part à nouveau. Elle s'aventure vers un autre promontoire de marbre, dans le parc, qui est cette fois occupé par un homme. Elle s'approche la mine gaie, le pas rebondi, une joie comme celle que l'on a à aviser l'amour en plein milieu des lèvres. Une fois devant, elle pose sur lui son œil ingénu.
Mais son élan meurt en l'abordant et, muée dans un respect aussi soudain que magistral, elle enfonce un petit peu son menton dans ses épaules brunes. Son index vient glisser un brin sec de ses cheveux blonds et courts derrière son oreille à la rondeur brûlante.
Sarrasin n'a jamais connu la mer mais, en regardant le géant assis comme s'il était superposé au monde, elle apprend la couleur de l'écume et le froissement blanc qu'elle provoque en ourlant les vagues.
Très vite, elle le trouve très beau.
― Bonjour, je peux m'asseoir à côté de vous ? demande-t-elle en prenant place à sa gauche.
Sarrasin, installée en gigotant un rire, sourit et rabat les paumes de ses mains sur ses genoux cagneux et exhibés. Son regard se dérobe vers lui au lieu de revenir vers le soleil.
Déjà elle tombe pour les camélias.
Camélia
coeur souillé de noirceur
MESSAGES ▲ : 90 DATE D'INSCRIPTION ▲ : 07/01/2015 AVATAR ▲ : dante @dmc par sucrette. DIT ▲ : blanc. ANECDOTE ▲ : il n'aime pas le chocolat. FICHE RS ▲ : mon amour que tu sois morte
Sujet: Re: le bruit des vagues • camélia Sam 14 Fév - 20:03
Il avait eu pour elle une contrefaçon d'amour enluminé par des mensonges qui faisaient briller son sourire, le coin de ses yeux, les contours de ses cheveux. Sa beauté venait de sa distance et son coeur durci était coupant sur les bords, toujours serti des mêmes perles de sang, comme des joyaux, qui rampaient sur sa pierre. Ces petits joyaux devenaient des insultes qui rougissaient ses joues, ondulaient contre ses paumes battantes, se jetaient dans le versant bouillonnant de la marmite qui glissait un peu sur le feu. Malheureusement il ne pouvait pas s'en rappeler. Il ne se souvenait pas des cruautés qu'il faisait passer pour du miel. La plus grande ironie, en héritage de fiel, restait son prénom.
Camélia avait parfois dans les yeux cette lueur qui frappait quiconque passait la porte de son antre. Elle lui traversait le regard, elle ne s'arrêtait pas, elle y faisait escale pour déposer l'espace d'une seconde une flèche de froid à glacer toutes les peaux. Ca ne ressemblait à rien, ce n'était qu'un crève-coeur. Puis la chaleur qui s'élevait au-dessus de sa tête et les vapeurs infiniment nombreuses, à humer du bout du nez, chassaient l'amertume furtive. D'ailleurs, quelle amertume ? Le gianduja qui cuisait dans son chaudron était plus doux que les corolles des fleurs sur le guéridon.
Le tintement de la clé s'entremêla à ceux de la cuillère qui heurtait les rebords brûlants, à la brume chocolatée qui nimbait l'espace de sa permanence sucrée, et puis au soupir tiède de Camélia. Avant de partir il accrocha un peu de cette odeur sur les coins de son sourire.
Lorsqu'il fermait sa boutique il laissait ses pieds de géant l'emmener plus loin que ses pas. Les rues de Libra étaient belles, elles étaient comme dans un songe qui ne piquait pas la peau en ourlant le sommeil. Il ne se terminait jamais, le sommeil, et lorsqu'il se sentait l'âme un peu plus lourde que ces pierres rêvées, il oubliait presque tout ce mauvais théâtre, ce décor suspendu à des tringles invisibles juste un peu plus haut que le ciel, un peu plus grandes que la terre, tous ces fils qui se glissaient sous un coeur ou un poignet, attachés au même mensonge. Peut-être que l'on s'habitue aussi à l'éternité.
L'éternité avait ses longueurs et ses délices. Parfois c'était aussi facile que de trouver un banc et de s'y asseoir comme une ombre. Camélia dans son silence marmoréen était l'ombre immense de ceux qui passaient sans se retourner, qui voyaient sans regarder, qui couraient au devant de leur chemin, l'âme chevillée aux poumons.
Il portait à sa bouche un morceau de chocolat blanc, celui qu'il avait confectionné aux petites heures du jour en pensant tenir quelque chose de nouveau. Mais rien de nouveau ne glissa dans sa gorge pour tomber en avalanche au fond de son ventre. Rien d'inconnu ne bouscula l'ennui sur sa langue ni les toutes petites papilles de tristesse qu'il avait là derrière les dents. Camélia parut, pendant une seconde, infiniment malheureux.
― Bonjour, je peux m'asseoir à côté de vous ?
L'espace s'était rempli d'autre chose que le larsen aphone du vide.
C'était un petit bout d'ambre, de perles mat, qui troublait son odeur de musc. Un petit morceau basalt qui riait de ses yeux et frissonnait de sa peau. Posée là comme un oiseau, elle avait l'aile froissée d'un tout petit sursaut qui prenait la forme d'un sourire.
Il eut le premier regard pour ses cheveux brûlés, et puis après pour son nez dessiné d'une ligne translucide. Les autres de ses regards trébuchèrent et s'embrunirent.
Des écailles pourpres pour ses joues, une toute petite pointe de résine pour sa peau. Ses pieds de verre liquide qui tintaient sur le marbre. En bougeant la tête, il eut une douleur invisible dans le poumon, parce qu'il crut l'effrayer.
— Bonjour ! Bien sûr que oui. Asseyez-vous.
Il n'y avait rien dans sa voix, pas de spasme et pas d'écho, pas les tremblements du séisme qui lui tombait comme un glaive à l'arrière du crâne. S'il avançait, c'était un abîme. S'il regardait le ciel, au-dessus, un abysse.
Un bouleversement très tendre lui faisait de la brume dans les yeux, et alors que l'inconnue le regardait, il regardait l'inconnue ; calciné jusqu'aux os il ne put plus bouger, rouillé même dans le cartilage. Camélia teinté de pigments d'or qui infusaient son cerveau ne put penser à rien.
Il voulut ravaler ses mots avant qu'ils ne fuient l'orée de ses lèvres, car il lui semblait que sa voix enlaidirait l'instant.
— C'est une journée si belle que j'ai voulu m'asseoir pour la voir passer.
Sarrasin
corps éthéré de pureté
MESSAGES ▲ : 37 DATE D'INSCRIPTION ▲ : 09/02/2015 AVATAR ▲ : reagan bishop • siobhan DIT ▲ : Grenade, Sara FICHE RS ▲ : embruns épicés
Sujet: Re: le bruit des vagues • camélia Jeu 19 Fév - 3:08
Elle qui n'avait eu de cesse de le poursuivre aujourd'hui, Sarrasin venait de trouver astre plus titanesque que le soleil. Dans un épanchement bref de son visage, qu'elle ramenait toujours à la hauteur de sa nuque prête à s'envoler, elle faisait de l'homme assis à ses côtés une grande ligne d'horizon. Il embrassait chaque pourtour de sa vue qui s'éparpillait en cent petits regards vers son immensité luminescente. Même lorsqu'elle rivait ses cils de charbon sur l'infinité mouchetée des passants, le coin des images imprimées sur sa peau tirait continuellement sur la droite. Elle se plaisait à distinguer les contours pastels de ses épaules à travers la maille cassante de ses cheveux emmêlés.
Sarrasin ne voyait plus que du blanc, clair comme une brûlante aube d'été.
Le grand soleil rond et jaune était bien décoloré face à cette dune enneigée dont elle peinait, dans sa raideur exagérément polie, à distinguer les versants poudreux du tout là haut. Les baisers obsédants de la lumière n'avaient soudain pour elle plus aucun intérêt et comme une bête glapissante, Sarrasin se lovait déjà contre le balancement régulier de cette nouvelle flamme pâle. L’arête brune de son nez ne cessait de crayonner le ciel de minuscules va-et-vient quand elle se retenait de justesse de se perdre dans sa stature colossale.
Ses mains enrobaient ses genoux comme l'aurait fait un châle piqueté perles grises. Sa langue mouillait tièdement sa lèvre inférieure quand elle la pinçait et, à chaque fois qu'elle se dérobait à l'ampleur de l'homme d'ivoire, ses pommettes adolescentes se couvraient d'une brûlure. Elle ne pouvait retenir ses orteils de tapoter dans ses sandales une complainte orientale, et son corps éphémère de se chanceler, statique.
Encore et encore, elle ressassait les paroles qu'il lui avait offertes et qu'elle trouvait tendres, gentilles et caramélisées. Pourtant, il n'avait prononcé que des banalités d'usage, qu'elle avait à peine entendues tant les frétillements de son enthousiasme l'avait pressée à s'asseoir à près de lui. Maintenant, elle était en tourment, martyr d'une timidité exiguë et étrangère. Encore, il la délivra en déployant en elle des élans cristallins.
― C'est une journée si belle que j'ai voulu m'asseoir pour la voir passer. ― Oh, vous aussi ? C'est vrai que c'est une belle journée. Moi aussi j'ai passé ma journée à m'asseoir. Le soleil est si agréable, vous ne trouvez pas ? Je voulais le sentir. Aussi, c'est que toutes les journées sont belles ici, je n'ai pas vu un jour de pluie ou d'orage depuis que je suis arrivée. Et vous, vous en avez déjà vu ?
Ses lèvres pépient comme un rossignol et ses phalanges sans plumes battent l'air devant sa poitrine. A chaque ponctuation, sa voix de désert grimpe un peu plus haut vers le ciel, si haut qu'elle finira par en tomber.
Elle ose le regarder, parfois en s'appuyant sur consonne, d'autre fois s'érodant sur une voyelle. A la fin, elle barque toutes les teintes d'or de son regard vers la saillie de sa peau. Elle se prend de fascination les bas-reliefs de son visage, l'angle abrupt que forme sa mâchoire qu'elle imagine ciselée à l'index dans un bloc de marbre. Elle n'en a jamais vu.
L'océan cogne encore contre ses tympans en arrière-fond. Son buste s'incline de quelques degrés pour s'orienter vers l'inconnu. Elle veut le saisir pour le placer à son tour dans l'écrin des relations qui sont précieuses mais elle ignore encore à quel point il est d'une rare confection.
Sarrasin, dans l'évidence même, lui sourit des saisons. Tantôt ses mains s'agitent comme pour tisser un voile dans le vide, tantôt elles retournent craintives pétrir ses genoux, mais jamais elles ne viennent se presser contre sa bouche pour l'empêcher de parler. Elle dit ou s'exclame, éblouie :
― Ça sent bon ! Je connais un peu cette odeur, je le sais. C'est un peu comme... (elle crochète ses lèvres d'un doigt, le retire) Je crois que je ne retrouve plus. Ce n'est pas grave. Je suis Sarrasin.
Camélia
coeur souillé de noirceur
MESSAGES ▲ : 90 DATE D'INSCRIPTION ▲ : 07/01/2015 AVATAR ▲ : dante @dmc par sucrette. DIT ▲ : blanc. ANECDOTE ▲ : il n'aime pas le chocolat. FICHE RS ▲ : mon amour que tu sois morte
Sujet: Re: le bruit des vagues • camélia Mar 24 Mar - 18:39
Il craignait de l'effrayer par un regard trop grand, ou trop perçant, alors il essaya un regard juste. Mais plus il se démenait pour paraître paisible et sans atours, plus il sentait les traits de son visage se fondre en un air saugrenu, un air idiot et camus, quelque chose d'aussi ridicule qu'il était immense. Alors il laissa les choses se faire entre le contraste vif de ses larges doigts, et les petites mains fines comme des plumes, avec sous leurs ramures céruléennes des reflets de brume. Camélia était assis sur le banc à côté de la fille oiseau ; il pouvait sentir sa peau, mais il pouvait aussi sentir le vide, l'abysse. Comme s'il y avait entre eux une étendue benthique et une profondeur intense. Il paraîtrait qu'il y a une mer entre nous.
― Oh, vous aussi ? C'est vrai que c'est une belle journée. Moi aussi j'ai passé ma journée à m'asseoir. Le soleil est si agréable, vous ne trouvez pas ? Je voulais le sentir. Aussi, c'est que toutes les journées sont belles ici, je n'ai pas vu un jour de pluie ou d'orage depuis que je suis arrivée. Et vous, vous en avez déjà vu ?
D'habitude les mots des autres se confrontaient aux siens dans un combat de chiens, il se heurtaient aux récifs de ses galimatias et en ressortaient blessés ou séduits. Aujourd'hui Camélia n'avait pas envie d'avoir le dernier et souriait en entendant ceux de la jeune fille, ces mots dansants qui allaient chercher au fond de lui la douceur d'un silence. Il était un peu figé sur sa place.
― Ça sent bon ! Je connais un peu cette odeur, je le sais. C'est un peu comme... Je crois que je ne retrouve plus. Ce n'est pas grave. Je suis Sarrasin.
Sa voix faisait des mosaïques aux accents qui ne lui échappaient pas, et comme elle parlait beaucoup il s'arrêta instant de l'écouter, mais pas de l'entendre. Elle parlait, parlait sans s'arrêter ; il ne disait rien, il écoutait pour entendre, entendre juste sa voix parce qu'elle était belle, alors il l'entendait, il l'aimait - des tropiques tremblaient sous ses rainures.
Elle s'appelait Sarrasin. Il parut tout à coup indéniable à Camélia que Sarrasin était très importante, qu'il était très essentiel qu'il la rencontre, et très évident qu'il lui faudrait désormais l'écouter des heures. Il suivait de ses yeux épongés de couleur chacun de ses gestes, qu'ils soient fébriles ou plus secs, et les capturait dans les filins de ses cils. C'était très clair, et extrêmement normal, et dans la clarté iridescente de ses pensées qui muaient doucement pour se faire une autre peau, il voulut écouter ses vertiges et sombrer dans l'étuve qu'était Sarrasin toute entière.
Il observa les écailles de caramel qui ondulaient sur ses petites mains et s'imagina des chaleurs, avec des gouffres, et des odeurs douces. Il voulut lui répondre, lui dire qu'il aimait le soleil, que les jours d'orage ici n'existaient pas. Mais il n'y eut qu'un seul mot.
— Sarrasin ?
Il y avait énormément de choses qui échappaient à Camélia, lui qui à l'habitude saisissait dans une fossette ou dans la cambrure d'un cou le geste et la pliure sublime. Dans une latence qui étirait sa voix, il voulut répéter son prénom, le sortir de sa gorge jusqu'à l'usure, certain qu'il s'imprégnerait bien contre tous les fragments de son âme.
— Sarrasin, je suis très heureux de faire ta connaissance. Je suis Camélia.
Alors il la regarda encore, et il ne put s'en empêcher - il se mit à rire. Plus fort que tous ses songes, par dessus sa voix, par dessus même les hauteurs de ses bras. Ce n'était pas un rire bête qui se moquait ou qui voulait être audacieux, c'était un rire doux qui n'avait pas voulu rester dans son aorte, écrasé par son coeur. Sarrasin, dans ses velléités dociles, la souplesse de son dos si prompt à se tordre sous un à-coup, et toutes ses voussures de cuivres soumises par un oeil ou un éclat de voix rousse, Sarrasin - Sarrasin lui inspirait quelque chose d'heureux.
— Oui, je crois que c'est moi : je sens le chocolat. C'est un peu honteux. Mais c'est tout ce que je fais dans la vie, alors c'est normal, ça me poursuit.
Il baissa un peu la tête et les diaprures blanches de ses cheveux tombèrent sur son visage. Il plongea une main dans sa poche, et il en sortit une papillote, enveloppée d'une fine membrane bleue et or.
— J'en ai toujours sur moi, c'est presque maladif. Si tu n'as pas peur d'y goûter, je t'en fais cadeau.
Il tendit le bonbon à Sarrasin, et eut l'impression d'être cet homme gauche qui posait dans la gueule d'un piège l'appât qui prendrait le sabot, la patte ou la cheville de verre. Il ne savait pas pourquoi il se sentait tout d'un coup si prédateur - il en fut un peu meurtri lui-même.
Et puis alors, il vint subitement à Camélia cent, puis mille idées nouvelles, mille milliers d'inventions sur le revers d'une cuillère et d'un chaudron lui montaient aux poumons, puis dans les hémisphères du cerveau. Déjà il dessinait dans ses rêves du jour des arabesques que Sarrasin ne voyait pas, et que lui voyait inscrites dans le brun de sa peau. Sans tarir, elle l'envahirent doucement, et puis disparurent comme des enjolivures dans les poussières de son esprit. Quelques méandres avalèrent sa monomanie - ce n'était pas grave, parce qu'il les retrouverait dans le regard de la jeune fille.