Elle était là dans toute sa fureur ; sauvage, insaisissable et pourtant si belle. Sa robe d’un bleu profond ondulait tandis qu’elle dansait au gré du vent. Pleine d’assurance, elle semblait pouvoir tout anéantir d’un simple geste. Le monde entier lui appartenait, le monde entier pouvait se faire engloutir au moindre de ses caprices. Oui, c’était quelque chose, la mer.

Sylphide parcourait inlassablement l’étendue de sable fin, laissant sur son passage ses empreintes imprimées sur le sol. L’écume des vagues effleuraient ses sandales et de puissantes bourrasques de vent venaient faire virevolter sa cape. Malgré le ciel dégagé, la mer était plutôt agitée aujourd’hui. Les vagues se brisaient avec virulence sur le bord de la plage. La jeune fille appréciait cette atmosphère marine. L’odeur salée de l’océan avait quelque chose d'enivrant. Elle aimait le bruit des grains de sables qui crissaient sous ses pieds, les cris des mouettes et les bancs de coquillages et divers crustacés qui se formaient ici et là. La mer gardienne portait bien son nom. Pourtant près des rivages d’Ethernite, le calme des flots contrastait fortement avec l’agitation permanente de la ville portuaire. L’océan qui marquait les limites de Libra semblait bercer doucement le continent, tel une mère veillant sur son enfant.

Sylphide fit quelques pas dans l’eau. Elle constata avec regrets qu’elle ne sentait aucune différence. Elle voyait ses chaussures immergées et l’eau lui léchant les pieds mais elle n’éprouvait aucune sensation spéciale. Même les vagues qui se fracassaient contre ses jambes et la mouillait jusqu’à la taille ne lui faisait rien. Elle avança encore un peu, l’eau lui arrivait aux genoux. Le clapotis de la mer et la résistance que lui présentait le liquide quand elle marchait l’amusait. Ce n’était pas extraordinaire, mais c’était divertissant. L’océan était toujours divertissant. La dernière fois qu’elle était venue ici, elle avait pris du sable et ramassé quelques coquillages pour décorer sa maison. Sans y prêter attention, elle s’était malencontreusement enfoncé un morceau de couteau dans le pied. Elle ne l’avait réalisé qu’à son retour chez elle et se l’était retiré sans le moindre état d’âme. L’incident l’avait fait sourire.

L’eau lui arrivait maintenant aux hanches. En sortant, elle allait devoir s’arranger pour faire sécher ses vêtements quelque part, sinon elle risquait encore de tomber malade. Un petit rhume n’était généralement pas si grave et un mal de tête passager pouvait même l’arranger, mais elle ressortait d’une angine et n’avait pas envie de se soigner encore une semaine. Elle décida de rebrousser chemin quand son corps entier fut soudainement plongé sous l’eau. Le sol devait être irrégulier et elle avait dû probablement tomber sur une sorte de crevasser sous-marine. Sylphide poussa un cri de surprise et se débattit pour garder la tête à la surface. Une vague vint lui fouetter le visage. Un fort goût de sel lui monta à la gorge et elle fut prise d’une violente toux. Ses vêtements paraissaient lui peser des tonnes. Elle se laissa finalement couler quelques secondes le temps de reprendre des forces, le courant et les remous de l’océan la tiraillent.

Tout était étrangement paisible, un calme plat régnait sous les flots. La jeune fille cligna des yeux, puis, ne sentant pas le moindre picotement, jeta un regard autour d’elle. Elle s’était dit qu’elle ouvrait les yeux juste quelques instants, qu’elle devait faire attention parce que même si elle ne pouvait pas s’en rendre compte, elle s’abîmait sa vue de cette manière... Toutes ses précautions s’envolèrent quand elle contempla le spectacle qui s’offrait à elle. Elle était légère, un tout petit être perdu dans l’immensité de la mer gardienne. Elle admirait les ciel, les ondes qui se dessinaient à la surface, les environs troubles et le sable qui se soulevait quand elle finit par toucher le sol. Tout semblait différent, tellement plus beau sous cet autre point de vue. L’air lui manquait mais Sylphide ne voulait pas remonter. L’eau envahit bientôt ses poumons, étouffée, sa vision se troubla. Elle avait diablement mal mais dieu qu’elle se sentait vivante ! Mais alors que son esprit était sur le point de s’éteindre, quelque chose la hissa hors de l’eau. Quelle drôle d’impression que celle d’être arrachée d’une douce mort par noyade pour être brutalement ramenée à la vie...

Luciole, s'ennuyant, a décidé d'aller se promener aujourd'hui. Au départ, il marche tranquillement dans les rues de Libra qu'il connait par cœur, souriant en observant les arbres, les fleurs, les étangs remplis de grenouille et de nénuphars. Il glisse sa main sur la pierre blanche des maisons de la ville. Il marche, marche, observe et observe encore, avant de se lasser progressivement du paysage urbain qui se répète à perte de vue. Il a besoin de changement. Il retourne donc chez lui, prends son vélo et s'enfuit rapidement de la mélancolie de la ville.

Il roule vite, pédale rapidement avant de laisser les roues tourner. Il regarde les paysages à perte de vue, s'émerveille du ciel, des arbres, des plaines, de l'herbe qui roule sur le vent. La route de terre laisse place aux chemins de la forêt et il sent le vent se soulever, les feuilles voler et s'écraser mollement sur son visage avant de reprendre leurs routes. Il rit dans cet univers champêtre qu'il apprécie tant.

Il arrive finalement sur une falaise qui donne sur la mer. Il s'arrête au bord et la contemple. Il est émerveillé par les vagues qui arrivent tranquillement sur le sable fin, le brouillard dans l'horizon, l'immensité de l'eau. Il remarque alors une jeune fille qui marche dans l'eau et qui plonge progressivement dans celle-ci. Il la regarde, souriant.

C'est alors qu'elle tombe dans ce qui semble être une crevasse et Luciole n'arrive plus à la discerner dans l'eau qui s'agite. Il attends quelques secondes avant de se dire qu'il faudrait peut-être aller la repêcher car il ne la voit pas à la surface. Il trouve cela étrange. Alors il descends de son vélo, l'abandonne à terre et dévale la pente qui mène à la plage. Il jette ses lunettes sur le sable et se retrousse les manches pour s'aventurer dans l'eau. Celle-ci est relativement tiède. Il arrive jusqu'à la dite crevasse et plonge pour finalement attraper le bras de la jeune fille.

Il la remonte difficilement - n'ayant pas plus de force que cela - et la traîne dans l'eau jusqu'au sol. Il est tout rouge de timidité et l'observe malgré ses problèmes de vision. Ainsi, il ne voit qu'un truc flou et coloré à terre et essaie de la toucher pour voir si elle est encore vivante. Malheureusement, la seule chose qu'il réussit à faire, c'est lui appuyer fort sur le ventre et il s'en rends compte après deux bonnes minutes. Lorsqu'il la voit ouvrir les yeux, il lui parle avec un léger sourire.

« B-Bonjour ! V-V-Vous allez mieux ? »

Le voile blanc qui semblait lui ôter la vue se leva. Progressivement, Sylphide put distinguer quelques formes colorées encore floues. Le ciel était toujours bleu, la mer était toujours bleue et il y avait maintenant ce garçon aux yeux bleus. Il lui demanda quelque chose, elle ne comprit pas quoi. Elle se contentait de fixer en silence les deux prunelles sombres inquiètes qui se penchaient vers elle. Noir, noir, noir. Oui, c’était cela la couleur de ce monde, elle s’en souvenait. Ses pensées étaient encore emmêlées, des brides de mémoire et des réflexions allaient et venaient. C’était très perturbant. Elle était éveillée, mais pas totalement.

Elle sentit quelque chose remonter le long de sa gorge et cracha une gerbe d’eau au visage de l’inconnu. Elle respirait lentement, reprenant un peu de couleurs. Sa conscience lui revenait peu à peu. Elle jaugea du regard la situation. Elle était allongée sur la plage, ses vêtements étaient trempés et un garçon l’observait. Ce dernier, qu’elle venait d’asperger, devait probablement l’avoir tirée de l’eau alors qu’elle se noyait. Était-elle censée le remercier ? Ce n’est pas comme s’il lui avait vraiment sauvé la vie après tout, on ne meurt jamais dans l’éden. Elle n’avait pas non plus demandé à être sauvée. Elle était bien, dans l’eau... Mais tout compte fait, c’était grâce à lui qu’elle pouvait se remémorer le sentiment d’allégresse qu’elle avait ressentit au cœur des flots. Elle lui était donc plutôt reconnaissante. Elle gratifia l’étranger d’un maigre sourire.

« Merci... »

Il était peu probablement qu’il comprennent réellement de quoi elle le remerciait, mais c’était l’intention qui comptait. La jeune fille se leva avec précaution. Elle avait la tête qui lui tournait et avait encore quelques difficultés à garder les deux pieds sur terre. Elle soupira. Ce n’était pas comme ça qu’elle allait réussir à rentrer à pieds chez elle, elle n’arrivait pas à aligner trois pas correctement ! Sylphide pesta intérieurement contre son corps trop fragile. Le garçon était toujours là, à côté d’elle, les joues légèrement roses. Elle n’aimait pas son regard trop insistant tourné vers elle. Elle se sentait gênée. Il l’avait aidée, elle l’avait remercié, cela ne suffisait pas ? Sylphide réalisa brusquement qu’il avait l’air aussi perdu qu’elle à son réveil. Il avait le regard vague, distrait. Il semblait chercher quelque chose.

« Euh... Ça va ? »

Elle avait dû se forcer pour s’arracher quelques mots. Elle n’avait pas envie de discuter, elle voulait juste rentrer à Ethernite pour se changer et se reposer. C’était embarrassant mais elle lui devait un service. Elle ne pouvait pas le laisser tomber après ce qu’il avait fait pour elle, même si, encore une fois, elle ne lui avait rien demandé.