Pas la moindre ondée au sein de l'Eden, les rayons solaires frappaient la vitre d'une façon charmante. Un calme paisible voilé par la beauté de l'endroit, Caelestis le savourait. Le corps plongé sous la grande couverture qu'on lui avait confié, ses doigts glissaient sur l'étoffe, goutant le contact. Il attendait patiemment depuis un moment déjà, sagement installé sur ce lit. Le sourire doux pendu à ses lèvres, il apprenait à connaitre par les sens ce monde qui était désormais le sien. L'odeur sensible de spiritualité lui plaisait, la teinte épurée des murs caressait son œil, le silence persistant du lieu de culte était peut-être la meilleure chose à son gout. La tranquillité d'un repos méditatif fut soudainement rompue par l'entrée d'un homme, un rabatteur, pas celui qui l'avait découvert ni donné cette couverture. Le nouveau-né le salua d'un geste de tête des plus polis.
- Caelestis ? -
C'était ainsi qu'il s'était présenté un peu plus tôt. Il acquiesça.
- Voilà des vêtements pour toi, enfile les, et on ira à l'hotel Absinthal juste après.- dit-il en déposant les frusques à son côté. L'interpellé avisa silencieusement les effets que lui avait amené le rabatteur. L'une des fines mains pâles esquissa une sortie, se déplaçant vers le présent. Il cligna des paupières, plusieurs fois, comme s'il ne comprenait pas ce qu'on lui demandait là.
L'homme soufflait - Ne traine pas. - il n'avait sûrement pas envie de passer l'éternité à attendre que le vagabond commence à se vêtir. Néanmoins, c'est par une question que ce dernier lui répondit : « Excusez ma requête mais, n'auriez-vous pas une robe ? »
- Une robe ? -
« Une robe je vous prie. »
- Pourquoi ça ? - il se grattait l'arrière du crâne, interloqué.
« Il me semble qu'une robe pourrait mieux convenir à une dame. » Caelestis souriait, l'innocence dans son plus simple appareil. Le rabatteur demeura perplexe plusieurs minutes. Son collègue lui avait pourtant parlé d'un vagabond.

Alors, on lui apporta une robe.

La fonction de prêtre fut une évidence pour tous. Le réceptionniste qui le prit en charge n'eut pas à chercher très loin. Caelestis était naturellement attiré par les lieux de culte. Il se dégageait de ces endroits une sensation de promiscuité agréable. Cependant, difficiles furent les débuts du Vagabond dans l'Eden. Tatillon sur de nombreuses choses, tandis qu'il lui restait beaucoup à apprendre. S'il portait son rôle de prêtre très à cœur et avec une fervente passion, Caelestis désirait cependant rester loin des visiteurs. Certains s'approchaient beaucoup trop à sa convenance, et il était terriblement embarrassé par cet état de fait. Ses confrères ne comprenaient pas, dans un premier temps, pourquoi il s'appliquait à maintenir une distance et qu'une simple main posée sur l'épaule le faisait frémir. Les questions ne tardèrent pas à se poser, dans l'intimité d'un repas. "Nous ne voulons pas te froisser." Disaient-ils. "Nous désirons comprendre." Caelestis esquissa un timide sourire : « Pardonnez mon comportement offensant. » Le visage caché derrière son masque « Mais je crains de nuire à la méditation d'autrui et préfère m'effacer devant les prières. » était la réponse la plus jolie à son sens. Il dressa légèrement une main gantée « C'est là mon vœu. Disparaitre aux yeux et au contact de chacun, pour que seule la Foi subsiste, sans jamais risquer d'entacher celle-ci. » Malgré ses ornements clinquants, ses propos furent considérés comme humbles.

On lui apporta la protection.

- Bonjour Caelestis. -
Il répondit à la belle voix « Bonjour, Merah. » d'un ton aimable.
- Vous ne vous perdez plus au sein du temple ? -
« Je vous remercie de votre sollicitude, c'est grâce à des personnes comme vous que je me sentie ici chez moi aussi aisément. »
La prêtresse se mit à rire doucereusement - Vous êtes gentille. -
Caelestis sourit. Il appréciait la demoiselle aux yeux d'ambre. Elle était pour lui une consœur envers laquelle il avait rapidement développé une certaine affection. Serviable, elle savait cependant ne pas insister ou se montrer trop présente. Caelestis lui en était reconnaissant pour cela.
- Je suis soulagée de voir que vous vous êtes vite adaptée à la vie au temple. -
« Vous étiez là, comme tous nos frères et soeurs. »
- Je suis seulement triste de ne pas avoir gardé le souvenir de notre première rencontre. -
« Aussi douce que votre sourire, si vous me prêtez confiance. »
Il s'agissait d'un malheureux incident. Une broutille tout juste embarrassante. Caelestis ne pouvait être vexé de cela.

La plante des pieds glissant contre le sol froid, il émergeait d'une brume insondable. La minute d'avant, il n'existait pas encore. Le vagabond était apparu sans la moindre prédiction et il errait dans les couloirs du temple qui l'avait vu naître. A quel autre endroit l'enfant de la Foi aurait-il pu prendre corps ? La spiritualité des lieux emportait tout ses sens. A peine se sentait-il avancer, les bras ballants, le regard dans le vague. Il ne se discernait pas encore en tant qu'être qu'il croyait déjà de toute son âme. Nul besoin de se demander en quoi il croyait, il savait déjà que sa Foi le guiderait. Pas le moindre doute ne venait troubler son avancée. Il éprouvait un sentiment de flottement divin. Un rêve langoureux. De cette manière, il parvint à l'autel dédié à la belle Thémis, grande créatrice et s'y écroula. Étrange comme la chute lui paru plus haute que ce qu'il avait escompté. Les paumes posées à plat sur le sol, son regard dévorait déjà les lieux majestueux. Lentement, il leva l'une de ses mains, les doigts désireux de frôler les ornements divins. Caelestis admirait la déesse pour laquelle il avait décidé de s'abandonner dès sa naissance. Les yeux brillants de félicité, il ressentait l'illumination dans sa plus pure expérience. C'est alors qu'une voix étouffée dans son dos coupa net tout mouvement de sa part pendant plusieurs secondes.

Il se redressa d'un geste souple, sans le moindre bruit, et se retourna vers la prêtresse tremblante de stupeur. De curiosité, il glissa progressivement vers la femme. Lui-même aurait été incapable de d'expliquer le balancement de son déplacement. Elle n'avait pas bougé d'un pouce, tandis qu'il se tenait à sa hauteur, sensiblement au-dessus de sa frêle charpente, comme suspendu dans les airs. Il ne sentait plus le sol sous ses pieds, seules subsistaient les prunelles ambrées plongées dans son propre regard. Caelestis ne possédait pas de mots à mettre sur cette émotion qui transpirait de ces beaux yeux, il ne la connaissait pas. L'extrémité de ses doigts d'albâtre frôlèrent la peau, entre la pommette et l'oeil de la dame statufiée.
-...m...monstre...- crachota la voix étranglée.
Les organes internes du vagabond se tordirent tandis que le terme résonnait à ses oreilles comme un glas sinistre.
« Monstre. » Répéta-t-il machinalement d'un ton monocorde. Inhumain. Comme s'il ne connaissait pas encore la fluctuation des mots et de leurs émotions. Son regard commença alors à chercher la créature qui faisait naître un tel effroi chez la belle prêtresse. Puis, il les vit. Rampants répugnants. Les longs bras de l'enfer qui s'étendaient de part et d'autres de leur position. Caelestis voulu rassurer la sainte femme, ayant foi en sa capacité de la protéger. Tandis qu'il fut désireux de l'entourer de ses pâles bras longilignes, les sombres filaments promulguèrent le même mouvement, à l'unisson. Le picotement sur sa peau et dans ses muscles, au niveau de ses hanches et de son dos, le surprit. La raison pour laquelle il ne touchait plus le sol le frappa de plein fouet. Caelestis haïssait déjà la vérité.

Il était le monstre.
Et cette vérité lui paru inconcevable.
L'une de ses mains glissa dans le dos de la prêtresse tandis que sa seconde paume se posa sur ses lèvres avec tendresse. Penché sur la silhouette, il souffla tout bas : « Vous ne savez plus ce que vous dites, vous devez être épuisée. »
Le mouvement réflexe de la femme fut entravé par les nombreux membres du vagabond. Déjà, elle ne pouvait plus bouger. Progressivement, les liens se resserrèrent.
« Shh ... shh... » susurrait-il au creux de son oreille avec tendresse. Il ne fallait pas qu'elle panique. Elle ne craignait absolument rien. Il désirait simplement l'aider. Il sentait le corps tremblant sous lui, le pouls agité au niveau de sa gorge garrotée. Elle suffoquait. Il l'allongea avec soin, l'appendice enroulé chèrement autour de son cou.
« Bien ...voilà ... »
Les soubresauts s'estompèrent progressivement. Caelestis demanda aux perles d'ambre :
« Maintenant, dormez. »
Elles étaient vides à présent. Personne ne saurait.

Il avait apporté la Vérité.
Sa vérité.