« Félicitations, c'est une petite fille! »
« Regarde comme elle est mignonne. »
« Oui... Coucou Emily. »
Ces mots, les premiers qu'elle ait pu entendre - en ignorant les paroles des médecins du genre « poussez madame » - fut l'annonce de la première période de sa vie, sans doute celle qui fut la meilleure dans sa relativement courte existence. C'était l'annonce d'un moment heureux ou tout du moins celui dont elle aurait gardé les meilleurs souvenirs, si souvenirs elle avait eu. Emily n'était rien de spécial, ou elle ne ressortait du lot que du fait de sa couleur de cheveux. Très vite elle acquit une certaine renommée grâce à ses mèches, beaucoup de gamins pensant qu'elle les avait teints. Elle n'était pas des plus sociables, pas non plus des plus timides, bref elle était bien banale. Même chose du côté des résultats scolaires. Elle arrivait toujours à réussir, mais elle n'était pas des plus brillantes. La plupart des professeurs ne se souvenaient même pas de son nom.
Peut-être même que le seul fait notable c'était que les princes la laissaient de glace. Sa sœur cadette était en pâmoison – ou du moins l'équivalent enfantin de la chose, mais elle était plutôt fanatique des princesses. Oui bon, il faut surtout retenir qu'Emily très jeune, elle était plutôt celle qui se faisait oubliée, la dernière choisie dans les sports d'équipe à défaut de ressortir ou d'être terriblement douée. Pourtant, elle était bien heureuse dans son petit monde comme ça.

« Pourquoi tu me regardes? »
« Euh, je. Tu sais. »
Les choses changèrent rapidement avec la puberté, trop rapidement pour le goût d'Emily. Assez jeune, son regard se trouva attirée par ses camarades de classes, tout spécialement sa meilleure amie. Elle n'aurait jamais su identifié le sentiment qu'elle avait soudainement ressenti un jour lorsque cette dernière lui avait attrapé la main, comme elles l'avaient fait bien souvent auparavant.
Ce jour fatidique où dans les vestiaires n'était pas différent. Elle n'avait même pas remarqué que son regard s'était porté sur les courbes naissantes d'une camarade. Rien de bien méchant, mais rien de si innocent non plus. Lorsqu'on lui fit remarqué, elle vira rouge, digne de sa chevelure même! Elle ne sut pas quoi dire, elle ne sut pas comment expliqué son comportement si bien qu'elle opta la fuite. Elle finit d'enfiler ses vêtements et se poussa le plus rapidement possible.
Réaction peut-être normale, mais son arrivée dans le cours qui suivit avait été terriblement attendue. Ça ne se passa d'ailleurs pas très bien, toujours gênée, elle ne put se résoudre à adresser la parole à qui que ce soit, pas même sa meilleure amie qui la regardait inquiète.

« Emily tu sais, passe une nuit avec moi et ça te tournera. »
Dans la grande capacité poétique pour un adolescent et surtout sans doute l'une des pires lignes de dragues inimaginable, on retrouvait la proposition que son cavalier pour son bal des finissants lui avait faite. Tout plein de charmes, tout plein de promesses et surtout assez désagréable vu la déclaration. La question ne se posait pas, mais disons que c’était un défi pour le jeune homme hétérosexuel moyen. Disons simplement que depuis l’épisode des vestiaires les choses avaient considérablement dérapé et pas dans le bon sens. La rumeur s’était rapidement propagée et s’il y avait une chose qui ne pardonnait pas dans une école de sud des États-Unis, le Texas par soucis de précision, c’était bien une potentielle homosexualité. La plupart des étudiants venaient de famille très peu ouverte à cette éventualité et ne l’étaient pas davantage. Ainsi, Emily avait passé de la caste des peu remarqués à ceux qu’il fallait évité. Une chute dans le statut social, mais une soudaine popularité chez les jeunes garçons qui ne voulaient qu’une chose : être celui qui la ramènerait dans le droit chemin.
Heureusement, rien n’arriva cette nuit là. Il avait bu une quantité suffisamment importante d’alcool pendant l’après-bal et elle n’eut pas beaucoup de difficulté à se débattre pour qu’il la lâche. Ça ne fut pas sans conséquences, la première étant une insulte bien placée au sujet de ses préférences sexuelles. Les autres étaient une descente encore plus désastreuse dans la hiérarchie sociale de l’école. Même sa meilleure amie semblait hésiter à se faire voir en sa compagnie et leurs contacts à l'école étaient réduits au maximum. Du reste, les commentaires désobligeants étaient fréquents, les bousculades sur les casiers l’étaient moins, mais existaient tout de même.
Pour relativiser la chose, ce n’était donc pas une fin d’école secondaire plaisante.

« Tu es une honte pour cette famille, pourquoi ne pouvais-tu pas être normale. »
S'il y avait bien une chose qui avait permis à Emily de tenir pendant cette dernière année pour le moins horrible – et tout le reste depuis l'incident du vestiaire, c'était le fait que ses parents la supportaient. Non pas qu'ils étaient tout particulièrement ouverts ou même moindrement ouverts, mais bien parce qu'ils n'étaient pas au courant et surtout qu'ils ne voulaient pas l'être. Ainsi, à leurs yeux, leur fille était encore cette petite tout à fait banale que tout le monde oubliait. S'ils affirmaient haut et fort devant leurs voisins et amis que leur fille était parfaitement normale, qu'elle allait sans doute même se trouver un copain rapidement, jolie comme elle était, ils évitaient tout sujet de conversation apparenté avec la principale intéressée. Malgré tout, ce silence ou cet évitement constant était une source de réconfort pour la jeune femme, une sorte de roche sur laquelle se tenir.
Sauf que bien sur lorsqu'on ne se tient qu'à une roche, la chute est dure lorsqu'elle s'écroule. Ce fut son cas lorsque ses parents apprirent ou plutôt eurent la confirmation hors de tout doute que leur fille n'était pas ce qu'ils croyaient, qu'elle n'était pas « normale » à leurs yeux. Le choc était plutôt brutal pour eux comme pour elle, du fait que ça n'avait pas été prévu de sa part. C'était lors d'un dîner entre voisins et surtout en compagnie d'un camarade de classe qui annonça la bonne nouvelle à tout le monde d'une manière si peu élégante. Lorsque ses parents s'empressèrent d'assurer qu'elle était la normalité même en se tournant vers elle pour une confirmation qu'elle ne put donner la façade tomba bien rapidement.
Le réconfort qu'elle avait pu trouver dans le fait que ses parents faisaient l'autruche s'était envolé. Ils ne se gênèrent pas le moins du monde pour lui faire comprendre qu'elle n'était plus exactement leur petite fille adorée. Au minimum, elle ne correspondait plus à leurs attentes et était à partir de cette soirée, une déception, une terrible déception.

« Maman, papa, je suis désolée. »
C'était des petits mots griffonner sur une pièce de papier qu'elle laissa sur son lit. Elle avait cru que le passage de l'école secondaire à l'université lui permettrait de retrouver une vie plus tranquille. Ce ne fut malheureusement pas le cas, notamment puisque la majorité de ses camarades de classes se retrouvaient à la même université, le désavantage de rester au niveau local, mais la possibilité de s'éloigner du nid familial lui avait été refusée à de multiples reprises. Ainsi, les commentaires ne cessèrent pas et la rumeur – bien qu'elle avait maintenant été confirmée en quelques sortes – la suivait toujours. Si bien que son bref passage à l'université ne fut pas davantage plaisant que l'avait été la fin de ses études secondaires.
C'est tout ça qui la poussa vers une décision. Un pas dans le vide et ce assez littéralement. Elle avait montée sur le plus haut building qu'elle connaissait, avait passé outre la barrière qui y était installé. Elle quittait ce monde, elle quittait sa vie se disant que c'était tout simplement pour le mieux.
Il paraîtrait qu'elle n'était pas morte sur le coup, mais elle, elle ne le sut jamais.