L'Ange Blanc est tombé, s'est échoué sur un plan. Il s'est abîmé la pensée, en jugeant et tuant. On ignore où il est, on ignore qu'il est encore vivant. Mille et un lambeaux de lumière abandonnés d'un monde à l'autre, en rupture éternelle, à fendre la raison.
Des béances aux cœurs et des supplices à l'âme, de captif à bourreau il se confond et s'accorde, pour ne plus former qu'une seule et même entité à l'aura transcendée par l'absence de remords.

Cet enfant n'a jamais pu observer de ciel dégagé, pas plus que respirer un air pur. Niqué de la tête aux orteils, à peine arrivé, à peine son premier cri fut-il poussé. Un sylphe vagabond, déambulant dans l’incertitude qu’est cette existence insipide. Tout lui semble laid, et d’une fadeur pellucide. Tout n’est que visions et échos de ce qu’il attend réellement de la vie. Oh, il ne sait pas bien ce qu’il veut, au fond, mais il sait au moins ce qu’il exècre, et ce sont Eux : ses pairs. Aucun ne l’inspire ni même ne l’émeut. Chacun d’eux n’est qu’un tas fait de chair, fait d’os, fait d’excréments moraux et verbaux. Il voit des monceaux de merde saillir de leurs bouches tordues et ne conçoit d’eux qu’une profonde inanité. Peut-on abhorrer à ce point les siens ? Peut-on ne leur souhaiter que géhenne et tourments éternels ?
Le peut-on ?
Non.
Mais alors, est-il un paria ?
Oui.
Et cette triste singularité ne lui pèse pas vraiment, sinon qu’elle alimente son brasier d’une magma furibond. Quelque chose de féroce et d'insatiable vocifère dans ses entrailles, quelque chose de furieux qui se débat, quelque chose d’hideux, et putride, quelque chose qui s’agite, dort à peine, puis se réveille pour le sabouler de plus belle. Ça l’épuise. Le tourmente.

Sa vie est une barbaque marquée par les excès et les accès de rage. Des lacérations pareilles à des esquisses. Il essaye de recoller les morceaux, mais tout lui apparaît sans but, sans fin, sans logique.

Alors son existence s'allonge et il demeure immobile, figé dans ce carcan de connard royal. Ça le fait sourire, parfois. De ces sourires de biais, qui ne présagent que désenchantement et absurdité. Une figure de marbre et une voix d'étang gelé. Il est blême, tellement blême. Presque translucide. Des yeux immenses et turquoises et d'entre ses lèvres, il se peut qu'on y découvre des crocs. Des crocs de fauve prêt à mordre sa pitance, prêt à dévorer quiconque se trouvera sous sa gueule, sur sa route.


Plafond. Immense et blanc, des tâches parfois. Ici et là. Par là-bas, il remarque. Il attend, il sent. Il reprend son souffle, s'étouffe. De l'espoir qui se distille, dans les câbles violacés qui sous son derme se dessinent, palpitent, gonflent. À l'intérieur de la tête, c'est un carnage. Des sensations violentes, des idées morbides. Son menton qui se hisse en direction du vide. Ses jambes se tordent, sous les salves de plaisirs des doses, éparses, trônant dans la pièce comme autant de preuves de ses échecs. Liqueur froide et corrosive ou flot igné et rutilant. Peu importe. Cette ire le démange et saboule son corps de tremblements éhontés. Ses muscles se raidissent et des crampes l’emprisonnent dans cette carcasse faite de désillusions dardées en intraveineuse. Il exulte, mais pas de la plus pure et sage des manières. Il déborde de toutes parts et puis surtout du gosier. Dans cette minable chambre, ce qui reste de l'enfant malade éclate en rugissements et fracas de meubles. Si ses veines distillent hâtivement la came, son esprit, lui, sécrète sans assistance, aucune, tout le courroux qui gondole son être. Dans sa paume, il serre un pied de chaise déraciné, si fort, si mal, que sa peau se déchire et pleure son nectar purpurin.

Muet, c’est une promesse qui se répète sans cesse :
le sang finira par couler, mais ce ne sera plus le sien.