Ce n'est pas la première fois que Sainteté se lance dans l'ascension des pentes raides des Monts Brumeux. Il a déjà eu l'occasion de s'y rendre à plusieurs reprises au cours de sa longue existence sur Libra – longue relativement à celle de beaucoup d'autres – et à force, l'adolescent a fini par se trouver quelques passages un peu moins difficiles que les autres. Quand bien même il a l'air maigre, et n'utilise jamais sa force brute pour faire du mal à quelqu'un, son corps n'est pas dénué de puissance, et il supporte très bien l'ascension. Peut-être est-il un peu essoufflé quand même, car cela lui réclame pas mal d'efforts. Il se réconforte en se disant qu'il n'est pas le seul à partager cette souffrance. Icare, son collègue, doit lui aussi gravir les pentes, et il sera très certainement dans le même état que lui en arrivant. Peut-être même un peu plus fatigué, car son corps, plus jeune, évoque encore celui d'un enfant. Pourquoi a-t-il proposé un lieu de rendez-vous aussi haut perché ? Sainteté se demande s'il ne cherche pas là à le tester, en vérifiant si ce freluquet - le mot lui fait affreusement mal, mais le Saint est incapable de lui en vouloir pour cela, alors il se contente de souffrir. En vérité, il est très inquiet. Il ne comprend pas vraiment ce qui a pris Icare de lui envoyer une telle lettre. Oh, certes, il avait bien remarqué que ce dernier ne l'appréciait pas beaucoup, et qu'il avait tendance à être un peu trop impulsif, mais tout de même. Sainteté s'est efforcé de rester très poli dans sa lettre de réponse, sans pour autant s'empêcher d'être un peu moralisateur. Il serait bien incapable de l'insulter, mais s'il en avait encore le droit, il l'aurait sans doute fait.

A présent, que va-t-il se passer pour Sainteté ? Icare a parlé d'un duel et, le connaissant, il pensait certainement à un combat. Un peu comme dans les jeux vidéos, mais en vrai – difficile de jouer à la console au sommet d'une montagne. Et Sainteté sait que si c'est le cas, il est destiné à perdre. Il ne peut pas faire de mal à quiconque. Il est incapable de donner des coups. Son corps le pourrait. Son corps est assez fort pour se défendre tout seul. Mais cette capacité lui a été volée, arrachée par le jugement dernier – il ne sait plus faire du mal, tout simplement. Alors, pourquoi malgré tout se rendre au sommet de cette montagne ? Parce qu'Icare a une dent contre lui, et que le Saint ne peut que lui tendre la joue pour qu'il puisse se sentir mieux.

Icare se tient au lieu de rendez-vous, brave, se tenant bien droit comme si l'ascension ne lui avait posé aucun problème – mais Sainteté se doute que ce n'est pas le cas. Son rire est un peu forcé, et le Saint se dit qu'au final, ils sont un peu dans le même état. Cela fait un moment que Sainteté côtoie Icare, et à force, il a appris à ne plus avoir peur de lui répondre. Le Saint n'est plus aussi timide avec lui. Ce qui ne l'empêche pas de toujours réfléchir attentivement avant d'ouvrir la bouche. « Je suis désolé que tu aies dû attendre autant, répond-t-il même s'il doute sincèrement qu'il est présent depuis deux heures, mais je suis parfaitement à l'heure. » Et c'est vrai, en plus, il est même légèrement en avance par rapport à l'horaire indiqué. Sainteté retrouve un souffle plus régulier et en profite pour s'avancer et tendre la main à Icare. Même s'il se doute qu'il ne va pas la prendre. « Bonjour. Me voilà comme convenu. Tu disais vouloir un duel ? » Et ses yeux clairs, soulignés d'un délicat trait rouge, viennent se poser sur le visage juvénile d'Icare.

Le Saint lui a tendu la main. Il ne pouvait pas en faire autrement. Il n'a rien contre Icare, et il n'a pas envie de se le mettre plus à dos que nécessaire. Même s'il est prêt à accepter l'affrontement. D'une façon ou d'une autre, il ne pourra qu'arranger les choses. Même si Sainteté doit perdre pour cela. Les joues rouges, Icare lève à son tour la main. Et, l'espace d'un instant, Sainteté y croit. Il se dit que la haine d'Icare à son encontre n'est peut-être pas si terrible que cela, que peut-être, ce duel pourra être amical. Stupide. Tellement stupide que c'est à se demander comment il a fait pour ne jamais mourir depuis son arrivée sur Libra. Sa main est agrippée par celle d'Icare, et Sainteté sent son pouls s'accélérer. Il y croit. Tellement. Est-ce du soulagement qu'il ressent à l'idée de, peut-être, réussir à se faire accepter par son collègue un jour ? Son rejet le rend malade. Parce que justement - Icare est important aux yeux de Sainteté. C'est quelqu'un qu'il côtoie tous les jours, qui effectue les mêmes tâches que lui. Qui connaît une vie si proche de la sienne par côtés. Comment pourrait-il le considérer comme un inconnu, comme une menace, comme une personne à abattre ?

Leurs mains sont hautes, désormais. Mais cet apogée n'est en fait que le début d'un enfer. La main de Sainteté est propulsée en direction de son visage. Et le Saint se bloque. Ce n'est pas lui, il n'a rien fait. Il a juste laissé Icare contrôler une partie de son corps, rien de plus. Mais la douleur est là. Infligée par sa propre chair. Et le jeune homme mesure tout ce qu'il a perdu le jour où il est arrivé sur Libra. Il n'a plus jamais frappé personne. Ce n'est pas forcément un problème. Mais il en avait presque oublié à quel point cela pouvait être efficace pour se défendre. Même pas pour mettre à bas son adversaire. Juste se protéger.
Depuis quand il est-il devenu si vulnérable ?
Icare veut qu'il se batte avec ses poings et avec son cœur. Sauf que Sainteté ne peut le lui offrir. Pas alors que ce qu'il y avait de malfaisant en lui lui a été arraché. Il est un saint. Le mal lui est étranger, et l'idée même n'est pas loin de le révulser. Le jeune homme baisse la tête, les bras collés le long du corps - comme pour empêcher Icare de trouver à nouveau une prise. «Je... ne peux pas. » Les mots sortent en tremblant de ses lèvres blafardes. Comme toujours, dès lors qu'il s'exprime avec le cœur. Assumer ses paroles lui semble si difficile. Sans doute parce qu'il est si difficile d'assumer qui l'on est. Sainteté n'est pas fier. Il aurait aimé avoir une autre réponse à opposer Icare ; il aurait même aimé être assez fort pour trouver les bons mots, et désamorcer pacifiquement le conflit. Mais ça non plus, il n'y arrive pas. Le saint a conscience de ses incapacités, et cela le fait souffrir. Pourquoi n'est-il que Sainteté, juste ce gamin qui a trop peur des autres, trop peur du monde qui l'entoure pour oser s'imposer ? Cela lui demande un effort de volonté extraordinaire pour relever la tête et regarder Icare droit dans les yeux, sans défaillir. Encore plus d'affirmer d'une voix haute et claire : « Je ne porterai pas la main sur toi, Icare. » Il arrive à sortir cette déclaration d'un ton doux et assuré à la fois ; mais au fond de lui, il n'en mène pas large. Il est sur le point de s'effondrer et il le sent. Il ne comprend pas comment les gens font pour dire ce qu'ils ont à dire en toute simplicité. Pour lui, à chaque fois, cela requiert un terrible effort, et devrait-il soulever une montagne qu'il s'en sentirait plus capable. Tout, plutôt que de se confronter aux autres.
D'autant plus si cet autre le déteste mortellement.

Sainteté s'attend à tout moment à ce qu'Icare se mette à le frapper. Ce serait logique ; il nourrit un sacré grief à son encontre et ne rêve que de le battre. Le Saint lui en offre l'occasion idéale. Et il le voit dans les yeux de son collègue : une lueur de triomphe s'y allume. Le jeune homme sourit tristement. Mine de rien, il est un peu déçu. Il aurait espéré que le gamin se montrerait un peu plus imaginatif, qu'il trouverait une autre façon de s'en prendre à lui. Ça ne ressemble pas à Icare de se réjouir aussi vite. Sainteté le voyait comme quelqu'un de plus... imaginatif. Le genre de gars qui se comporte parfois comme un enfant, et aime bien jouer. Au fond, Sainteté n'a pas passé beaucoup plus de temps sur Terre, mais ces quelques années, alliées au tribut qu'il a dû payer en arrivant à Libra, lui donne parfois l'impression qu'il y a un monde entre lui et Icare. Le Saint considère que ce n'est pas un problème. Icare, lui, n'est pas du même avis. Toutefois, le sentiment de victoire semble s'effacer à mesure que le réceptionniste réfléchit. Techniquement, en effet, le refus de se battre de Sainteté pourrait être interprété autrement que comme de la fierté. Une personne qui ne connaît rien de son tribut pourrait même parier sur lui, même s'il a l'air plutôt frêle. Entre un gamin de onze et un gamin de quinze ans, ça pourrait paraître logique. Même si ce n'est absolument pas ce à quoi pensait Sainteté, bien sûr. Lui, il est plutôt en train de se dire ceci :

Mais Icare n'est pas du genre à présenter le vrai problème, alors Sainteté ne peut que deviner, et accepter de résoudre le conflit dans un duel en trois manches. Le Saint ne prend pas vraiment ombrage des quelques insultes qui se glissent au passage dans la proposition, il se rend bien compte que les mots en eux-mêmes ne sont pas méchants : c'est l'intention qu'Icare met derrière qui pose problème. Mais soit - il savait déjà qu'il était un enfant impoli. Au final, cela lui convient, cela ressemble un peu à un jeu, c'est assez innocent, et si ça peut faire plaisir plaisir à Icare. « Oh, ça me convient tout à fait, pas de souci ! » : rétorque-t-il pour ne pas avoir l'air, justement, d'un bébé capricieux. Au fond, il se sent même rassuré, les choses se dérouleront beaucoup mieux s'ils en viennent à une solution pacifique, n'est-ce-pas ?

En revanche, Sainteté ne peut s'empêcher de se demander si Icare lorsqu'il lui annonce la première épreuve, celle qu'il est censé choisir tout seul... une battle de rap ? Outre le fait que Sainteté n'a jamais écouté de rap de sa vie - peut-être l'a-t-il fait en vérité, mais ayant perdu la quasi-totalité de ses souvenirs, il n'en est pas sûr ; et puis, il lui semble quand même que non, car il n'a que des notions très vagues du rap ; et puis, vous imaginez, vous, un saint qui écoute un rap ? c'est juste incompatible - et qu'il est assez nul en improvisation - rien d'étonnant pour quelqu'un comme lui, qui tourne sept fois la langue avant de parler -, Sainteté trouve ça juste... idiot. Entre se battre et faire une battle de rap, franchement, il aurait préféré pouvoir se battre. Mais puisqu'il ne le peut pas... Un signe de la main d'Icare, et Sainteté comprend que c'est à lui de commencer. « Mon cher Icare, espèce de drôle de lascar, ton comportement me déçoit, j'm'attendais pas à ça de toi, tu n'es qu'un vil bouseux, quand tu parles tu es niaiseux, surveille un peu ton langage, les gros mots c'est pas de ton âge, tu es tout petit, t'es pas plus haut qu'un confetti, alors s'il te plaît, si tu le pouvais, arrête de m'embêter, c'est là mon seul souhait. Et apprends à parler correctement, on dirait un enfant. » Sainteté ne sait même pas d'où ça lui sort, mais bon, il arrive plus ou moins à suivre le rythme imposé par Icare, alors il n'est pas totalement hors jeu. Toutefois, à la fin de sa « prestation », il s'inquiète. Il a bien conscience que c'est assez médiocre mais bon, Sainteté a tellement l'habitude d'avoir un langage châtié, c'est déjà bien qu'il arrive à ce stade. C'est proche du miracle, même. Depuis quand traite-il les gens de bouseux ? c'est à la limite de ce qu'il peut se permettre, il le sent. Surtout que l'insulte est assez risible quand on y réfléchit ; au fond, Sainteté n'a réussi à sortir un truc pareil que parce qu'il ne pense pas que ce soit le cas d'Icare. En tout cas, en voyant la tête que celui-ci fait, il ne se trompe pas une seule seconde sur son opinion. De toute façon, il lui a bien dit qu'il allait l'impressionner s'il commençait le premier, non ? « Allez, à toi. »

Spoiler:

Sainteté a fini le premier l'épreuve, sans pour autant être satisfait de ce qu'il a fait. En même temps, il a juste cherché à réussir à sortir quelque chose. Peu importe quoi. D'ailleurs, il est persuadé qu'Icare avait de rire, il l'a vu, il se retenait presque pendant son beatbox. Sans doute est-ce pour cela qu'il s'essuie le menton quand il a fini. Sainteté est impressionné qu'il n'ait pas ri. A sa place, il aurait sans doute explosé. Son estime pour son collègie monte d'un cran. Au moins, au sein d'une épreuve, il est capable de faire preuve du minimum de sérieux requis. A présent, c'est à son tour.

Déjà, rien qu'à la posture, on devine qu'il a beaucoup plus l'habitude que lui de ce genre de choses. Le saint est impressionné. On dirait presque un vrai rappeur... presque, parce qu'il a quand même moins d'allure qu'un vrai. Il lui manque quelques années, Sainteté n'a jamais entendu parler d'un rappeur de moins de douze ans. En même temps, il n'est pas spécialiste. En fait, c'est presque ridicule, mais il ne dit rien, et quand il entend qu'Icare commence, Sainteté se dépêche d'essayer de l'imiter en faisant du beatbox. D'ailleurs en essayant de suivre son rythme, puis en inventant le sien - c'est à Icare de s'adapter, non mais. Sainteté lui-même a envie de rire quand il entend ce que dit Icare. Icaro.com, franchement. C'est très drôle, ce qu'il rappe, même si le jeune homme a bien conscience qu'au final, il est surtout en train de l'insulter. Ce n'est pas si grave, il s'attendait à ce que sa rancœur ressorte ; et puis, ce n'est pas si insultant non plus. A la fin, Icare lui lance un regard empli de triomphe, et Sainteté acquiesce doucement pour lui dire que c'est bien joué. Attention, ce n'est pas un aveu de défaite. D'autant plus qu'il reste encore deux épreuves, et que c'est à lui de choisir la suivante.

Il réfléchit un instant, ne sachant pas trop ce qu'il pourrait lui faire faire. Puis il réfléchit à la lettre, et se souvient de certains problèmes que rencontre Icare face à certains mots légèrement complexes - enfin, complexes pour lui. Sainteté se met à sourire, presque cruellement - mais bien sûr, la cruauté n'est pas vraiment quelque chose dont il est capable. Il n'empêche qu'il ne va pas se gêner. Icare a choisi une épreuve qui le privilégiait, eh bien, Sainteté va en faire de même. « Tu aimes les mots, je me trompe ? Tu es doué avec, c'est ce que tu as dit. » Un peu de flatterie pour essayer d'embrouiller Icare, de façon à ce qu'il se dise que l'épreuve suivante va lui plaire. Cela l'amuse, Sainteté. Il ne peut pas faire de mal aux gens, cela lui est tout simplement impossible, et de toute façon, c'est assez peu compatible avec son caractère. Mais ménager le suspense, ça, il le peut. D'ailleurs, Icare, il a envie de voir Sainteté se bouger un peu, non ? Il serait très certainement déçu si son collègue réceptionniste ne se prêtait pas un minimum au jeu. « Alors on va encore jouer avec les mots, ça devrait te plaire. » Sainteté garde le silence quelques instants, essayant de mesurer la réaction d'Icare. Avant de finalement lâcher ce qu'il a véritablement en tête : « Les mots, on va les écrire. On va faire une battle d'orthographe, et tu ne peux pas refuser, c'est moi qui choisit. » L'adolescent se demande si c'est cela d'être méchant. De faire un coup bas à quelqu'un. Ça lui fait tout drôle, parce qu'il n'y aucune intention mauvaise en lui - comme toujours. Trop pur pour cela. Mais pour le coup, cela ne lui ressemble pas, parce qu'on ne peut pas dire que c'est gentil.

Toujours ce même conflit entre sa conscience et ses tendances à vouloir dépasser les limites. Peu importe, ce n'est pas comme s'il voulait vraiment ne pas être malfaisant. « Bon, j'ai du papier e un crayon, on pourra écrire dessus si tu n'as rien. » Il voit mal Icare se balader avec de quoi écrire ; allez savoir pourquoi, il tend à le considérer comme une personne légèrement inculte. Légèrement. « Chacun donne dix mots à l'autre. Des mots complexes, si possible. Et l'autre doit les écrire. C'est tout. On vérifiera la évritable orthographe plus tard. Le vainqueur sera celui qui a fait le moins de fautes. Si tu veux, je te laisse commencer par me donner ma série. » Il le fait par bonté de cœur, parce qu'il se doute qu'Icare va paniquer s'il lui donne tout de suite des mots compliqués.

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