J'ai marché. Puisque j'aime marcher.Sur le chemin. Un pied devant l'autre. Les éclats délicats du jour naissant dans le ciel comme compagnons oisifs. La brume matinale colle au pas, masque les ombres. Fait frissonner la peau. Elle s'enroule, indolente autour des paysages. Elle distribue mille perles de rosées. Et le soleil- celui de Libra- ersatz fidèle les fera scintiller. Quand la brume s'envolera, jusqu'au lendemain. Oui. Quand la brume se lèvera alors, c'est un spectacle merveilleux qui s'offrira aux iris matinales.
Je n'ai plus qu'à soûler mes yeux de beauté. Puisque l'alcool m'écœure.Et c'est là le but de cette errance. Distraire. Emouvoir. Étonner. Silencieusement. C'est si compliqué de s'émerveiller à la capitale. Si compliqué de se distraire et de se permettre de l'être dans les rues bondées de la citadelle blanche. Il y a des calèches tueuses et des chevaux aux sabots meurtrier. Des passants trop pressés qui bousculent. Depuis le dos. Toujours. Qui prennent par surprise. Font sursauter les distraits. Il y a toujours des gens pressés. Trop pressés.
On m'a parlé-il y a de la fierté dans ce mot- des montagnes. De mille paysages.Puisque l'oeil a toujours aimé regarder et découvrir la beauté. Puisqu'il en trouve même dans les flammes. Alors c'est certain. La nature apportera mille ébahissement. Un peu de repos aux yeux abîmés par les fades colonnades. Les murs recouverts de lierres. Il y a si peu d'enchantement dans la foule. Quand elle presse. Qu'elle oppresse. Écrase en son sein. Individualisme et singularité. Qu'il y a si peu d'espace et d'air dans la masse grouillante. Qu'elle suinte trop. Dégoûte trop. Que s'il fallait s'immerger dans la mer des corps, pour ne plus rester décor et exister, figurante et invisible, l'ego en souffrirait cent fois. Et c'est sûr. Que le corps naufragé s'échouera. Meurtri. Las. Découragé. Partagé entre l'ennuyant besoin de faire corps, comme tous les autres et l'impérieux besoin d'exister, originale et remarquable. Incontournable.
En vérité c'est l'anonymat de la grande cité qui étrangle. Fait étouffer. C'est compliqué. Puisque la pitié ne suffit jamais à contenter ce besoin cruel d'attention. Il faudrait pouvoir crier. Jurer. Chanter. Pour attirer les foules, exister dans son oeil et dans le creux de leur oreille. Puisque la foule peut-être spectatrice si elle s'en donne la peine. Il faudrait qu'elle s'arrête. Il faudrait qu'elle accorde. Un instant. Intense et éternel, un fracas, un tonnerre.
Une ovation.
Je savais attirer la foule avant. L'attention. Depuis la mort. Celle des sons, il ne reste plus rien.Il ne reste plus rien. De mélodieux. De remarquable. De doux. Dans la gorge. La bouche. La mort de l'ouïe a condamné la parole. Ne reste plus que cette étrange mélancolie. Un manque. D'attention. Dans l'existence. Il est bon et doux, si doux de s'éclipser des villes. Solitaire et impériale. De parcourir les chemins déserts, un sourire et des larmes, du regret, tout offrir à l'horizon pour qu'elle garde à jamais ce secret. Quand il faudra revenir à la ville. La tête haute. Retourner à la forge. Suer mille gouttes sur des lames, les embellir. Fabriquer du nouveau du beau puisque la bouche ne peut plus en souffler depuis le diaphragme. Il y aura de nouveau de la bravoure et de la joie dans ces gestes trop routiniers.
J'aime marcher, déposer sur la route mon manque, mes déceptions et les regret. Saisir, émerveillée, les spectacles saisissant que la nature peut offrir. Et après je pourrai repartir la tête vide. Une motivation nouvelle dans l'estomac.C'est le but du pèlerinage. Et il prendra bientôt fin. Quand, arrivée, au sommet de la montagne, Libra s'inclinera. Grave et somptueuse. Il ne restera plus qu'à étreindre pleinement du regard la citadelle. Et la mer aussi. Puisqu'elle est belle et scintille fort. Les vagues azures brilleront de mille feux. C'est certain. La vue est à couper le souffle. C'est la promesse faites aux sourds enhardis. Aux aventuriers égarés et même aux aveuglés. Damnés. Sauvés. Vagabonds. Ils ont tous murmuré, c'est certain, la beauté qui se cache au sommet des montagnes.
***
J'ai marché. Donc. Des heures durant. J'ai grimpé. Trébuché. Mes genoux sont écorchés. Mes paumes aussi. Ma bouche a éraillé des millions de jurons inaudibles sous l'effort. Réflexe mortel tatoué sur la langue et les lèvres. Jusqu'au sommet. Avec abnégation. Et puis. Et puis...Une bouche. Un corps. Etranger. La première délivre, crûment, nausée nauséabonde. Contenue âcre d'un estomac tordu. Le second, erratique peine sur ses jambes.
J'ai grimacé.Outrages! Sabotage! Le nez souffre et se fronce. Les sourcils s'arquent. La bouche se tord de déplaisir.
J'ai moi-même la nausée, maintenant. Il, puisque l'individu semble de sexe masculin, titube. Inconscient. Il brise les efforts. Alors que les pieds. Que les genoux. Que les paumes ont soufferts. Pour cinq minutes éternelle. Pour un souvenir, magique, merveilleux, puisque les voyageurs n'ont pas assez taris d'éloge sur ce sommet du monde.
Il. Gâche. Tout.
C'est l'impression qui domine. Il n'y a nulle trace de compassion. Pas même d'amusement, alors qu'il siffle. Qu'il divague. Comme le pire des soiffards. C'était sensé être beau. L'indignation sourde bât dans les tempes.
Je n'ai jamais eu besoin de grand chose pour m'énerver.Les pas réduisent la distance et les phalanges se pressent. Elles vont finir par cogner. Ou saisir le col de l'étranger pour le balancer dans le paysage. Ou sur le chemin. Pour le chasser. Mais le contenu gastrique sur le sol gâche tellement tout. Elle était si belle cette terrasse rocailleuse. Franchement. Rien ne pouvait être pi-
J'écarquille. Des yeux. Mon souffle se coupe. Il enlève la ceinture. Son pantalon tombe à ses chevilles.
Bordel de merde. Il ne. Il va. Non. C'est la dernière audace. La pire. Puisqu'il se soulage la vessie.
Il se soulage la vessie. Les yeux fermés. Insouciant. Alors qu'il grave dans les deux grandes prunelles écarquillées un souvenir aussi inoubliable que véritablement choquant. Puisque le corps est chaste et trop outré.
Je ferme les yeux et je saisis des pierres comme je lacère des visages. Et c'est l'enfer. Véritablement l'enfer qui s'abat à l'aveugle sur l'impie. Avec force. Les mains fouillent parfois le sol pour retrouver d'autres munitions. Et. L'ire est grande. Trop palpitante pour s'arrêter. Et nulle supplique ne parviendra à l'oreille d'une sourde. Nulle excuse. Puisque les yeux sont fermés.
Au moins, aveugles, les mains ne sont pas d'une grande précision.
HRP ➖ J'espère que ça te convient, n'hésite pas à me le dire sinon. Je trouve que je ne te donne pas assez de matière x___x