on t'appelle nero, mais tu réponds aussi au nom de holly, car comme la fleur, tu parais si frêle et fragile. tu ne sais pas vraiment ce que tu fais sur libra— tu portes bien ton titre de vagabonde. mais qu'à cela ne tienne, tu as tout de même élu domicile à ethernite, où tu travailles comme marchande ambulante. t'as pas l'air bien vieille, on te donne grand maximum quatorze ans, et au final ce n'est pas plus mal, parce que ça va bien avec ce qui vit dans ta tête. au fond t'es qu'une gamine née de cette chose stupide qu'on appelle l'attachement.

tu cours, tu cours et tu t'essouffles, tu sais plus où regarder nero, parce qu'autour de toi ce sont les gens les bâtiments qui défilent, vite, plus vite que tout ce que tu pourrais imaginer. tu n'aimes pas avoir les regards braqués sur toi — t'as trop honte, trop peur de savoir ce qu'on pensera de toi, de cette peau trop pâlichonne que tu n'exposes jamais aux rayons du soleil, de ces mèches trop longues que tu n'as jamais coupé et qui te tombent devant les yeux. tu ressembles pas vraiment à grand chose, nero. il y en a qui t'appellent « petite », d'autres « gamin ». tu sais pas vraiment ce que tu es. ça te fait peur. alors tu t'oublies, comme tu revêtis ces vêtements aux couleurs trop bariolées, cet accoutrement qui parait trop vieux pour toi, tout comme tu te drapes d'illusions. ce sont tes pas qui résonnent contre le sol froid et dur, tes yeux qui se perdent dans le paysage alentour, ces prunelles écarlates qui — tu ne veux pas te l'avouer — t'effrayent et te rappellent que t'es bien vivante, peut-être trop. il y a bien quelques âmes suffisamment bonnes pour tenter de te rassurer, mais c'est comme si leurs mots ne faisaient que s'envoler au gré du vent.

t'aimes pas y repenser parce que c'est comme nier ta propre nature, mais au fond, les vagabonds, ils te font peur. tu sais pas vraiment ce qu'ils sont — comme tu ne sais pas vraiment ce que tu es. toi— vous êtes venus un peu de nulle part, comme sortis du néant le plus complet. et toi, t'aimes pas ça. parce que ça n'a aucun sens. parce que t'as aucun sens. et ça te fout froid dans le dos.

la première fois que t'as ouvert les yeux, ça t'a fait comme un choc. l'air s'est engouffré dans tes poumons, comme si on t'avait transpercé le coeur — ou du moins, ce que tu supposais être ton coeur — et ça t'a fait comme une sorte de décharge, paralysant tout ton corps sans même que tu y puisses quelque chose. t'es née comme ça, sur un caprice du destin, impuissante. comme ça. tes premières secondes.

t'avais juste pas moyen de savoir ce qui t'attendait.

on t'a récupérée, ramassée sur les trottoirs de libra, un bout de personne sans identité, sans rien à quoi s'accrocher. comme si t'étais rien. on t'a traînée, habillée, ramenée dans un endroit plein de gens. trop de gens. ça t'a fait peur. tu savais pas pourquoi. t'avais pas moyen. et puis il y a eu ce moment, cet instant comme un éclair où ton nom t'es venu, où il s'est échappé de tes lèvres, et a été emporté par la brise, absorbé par les murmures des gens autour de toi. tu t'étais immobilisée, seule au milieu de la foule, et le rafleur qui s'était occupé de toi te fixait, comme surpris. au début ça n'avait aucun sens. et puis ça a résonné dans ton esprit, et puis tu as finalement compris. nero c'était toi. c'est un sourire qui nait sur tes lèvres, et presque aussitôt, c'est une vague d'émotions encore inconnues qui t'envahit. tu existes— et tu te tournes vers le rafleur, ton coeur battant à toute vitesse: c'est encore flou à tes yeux, mais tu apprendras plus tard qu'on appelle ça de la joie. c'est juste dommage que tout cela soit ruiné en quelques secondes, que quelque chose qui va rapidement faire s'écrouler toutes tes espérances décide de se poser comme si de rien était. la tâche de ton accompagnateur est terminée, et il t'explique qu'il doit désormais partir. dans une impulsion, un élan un peu enfantin, tu t'agrippes à lui. tu ne comprends pas pourquoi, mais tu ne veux pas qu'il parte. ton coeur bat et dans ta tête ne résonne que ça. mais il est bien obligé. il ne te laisse pas le choix, de toute manière. alors tu finis seule dans une bâtisse, qui est désormais tienne. mais rien ne semble pouvoir te faire oublier les évènements qui ont précédé ton arrivée ici. t'arrives pas à t'en détacher.

et tu passes ta première nuit sur libra à pleurer.

des fois tu y penses, et tu souris; depuis ta première manifestation, t'as pas vraiment changé. t'es un bout de fille un peu simplette, facilement comblée. comme si le bonheur te paraissait être juste à portée de mains. tu parles pas tant que ça, mais tu n'en penses pas moins. ta tête est toujours pleine, c'est juste que tu n'arrives pas réellement à clairement t'exprimer, alors ça sort en trombes, en mots confus, poussés par une excitation palpable. tu souris beaucoup en revanche, comme pour compenser l'ombre des peurs qui se terrent au fond de ton coeur. au fond t'es un peu perdue, tu erres sans savoir pourquoi. tu parviens pas à savoir la raison pour laquelle tu es ici, et ce genre de crise existentielle t'interdit souvent de penser clairement. et surtout tu t'attaches, tu t'attaches nero, beaucoup trop facilement. c'est ta naissance après tout, c'est quelque chose auquel tu ne peux pas échapper. ta vie est rythmée par des flèches de cupidon plantées dans tes entrailles, par des envies de ne jamais partir, bien que tu saches qu'au final une rencontre n'est jamais éternelle. tu arbores des sentiments que tu ne peux nommer, envers tout et n'importe quoi. au point où ça en deviendrait presque ridicule; tu n'arrives même pas à te débarrasser de tes anciens objets, qui traînent partout chez toi. et ça te fait mal. parce que tu sais que ça ne changera pas que tout le monde partira.

et puis il y a eu léviathan. elle fut la première à ne pas te lâcher. tu n'as pas vraiment compris pourquoi, mais elle a toujours été là. certes, pas toujours en bien; parce que ce n'est pas toujours de belles choses qui sortent de sa bouche. parfois tu souffres; mais tant qu'elle, elle est là, tu n'y prêtes pas attention.

tant que tu sais que tu n'es pas seule.