MESSAGES ▲ : 13 DATE D'INSCRIPTION ▲ : 05/05/2015 AVATAR ▲ : Onorobo est mon amour
Sujet: Dénudez ce garçon, peignez-le en bleu.| Zakuro Mer 6 Mai - 18:58
ZAKURO
Le Ciel ne tombe pas.
Informations Générales
APPELLATION -Zakuro. Des syllabes qui s'alignent en un déploiement tertiaire des sons au dessus de la langue. Zakuro, parce que c'est le seul nom sous lequel il peut se reconnaître lui-même.
ANCIENNE IDENTITE - Du temps où l'appeler ne représentait pas un acte délibéré d'apposition de violence sur ses propres réflexions, Zakuro était Zakuro. Un Zakuro qui ne se questionnait pas sur les fondements de sa propre identité, motivé par l'idée qu'il se construisait de manière linéaire. Maintenant, « Zakuro » est une imposition de question, une incessante torture intellectuelle par laquelle il essaie de se deviner lui-même.
SURNOM -C'est une odeur qui le met mal à l'aise, sucrée et frivole, prometteuse d'un passé bloqué. Litchi, un fruit épineux, hérissé, sous une protection d'écorce trop fragile, qui livre une chair pâle. Litchi, comme le fruit. Il serait rare de considérer pouvoir l'appeler ainsi. C'est un surnom réservé.
ÂGE PHYSIQUE -Au coin de ses yeux, des rides que l'on voudrait attribuer à ces rires qu'il n'a que trop partagé. Mais l'éclat est éteint, et il n'y a plus d'écho d'une pseudo hilarité. Juste des traces, sur un corps vieilli, qui n'a pas eu le temps d'atteindre la trentaine. Il avait 28 ans quand Thémis s'est vue lui présenter Libra.
NATIONALITE -Peut-être le Japon, peut-être pas la version à laquelle l'on imagine attribuer son corps né en 1993. Peut-être un Japon d'avant, peut-être un Japon d'après, un différent, mais un Japon tout de même. Il n'a jamais sut vraiment quelle version de son identité il choisissait réellement.
METIER -Si son rapport au Temps est particulier, il est difficile d'ignorer l'importance de cette relation entre eux. Souvent, -toujours- en retard, son décalage sur le rythme d'un écoulement gradué est singulier, comme une marque de fabrique, ou bien comme un talent qui ne s'efface pas, que ce soit sur Terre ou sur Libra : toujours cette appréhension différente au Temps. Si l'on lui demandait, il répondrait « que c'est parce que le temps gonfle et se déforme, et que les vibrations qui en résultent sont nettement perceptibles pour qui sait écouter. » Astrophysicien sur Terre, il ouvrira sur Libra son atelier, une vieille boucherie rachetée à son ancien propriétaire ayant décidé de voyager, et s'y établira. La renommée n'est pas immédiate, mais pour le coup, les clients sont fidèles. A remonter les montres, Zakuro murmure à ceux qui veulent l'entendre que le Temps n'existe pas. Pas vraiment.
LIEU DE RESIDENCE -La Citadelle, cœur de Libra, est en relation trop profonde avec Thémis. Rhode, trop haute, est un endroit trop froid. Ethernite un endroit trop humide, et Eraclae trop surveillée le soir pour son besoin de liberté et de marches nocturnes. Du coup, c'est à Canaan, ville des couleurs, que Zakuro a établit sa demeure.
GROUPE -Damné, à en croire le jugement de Thémis. Damné, sans qu'il parvienne à assimiler correctement la définition de ce terme. S'il le faut, il répondra correctement à la question, mais ne se considère et ne se définit pas tel quel. Il ne sait même pas vraiment ce qu'il est. A peine un murmure, un souvenir qui s'éclate, et c'est son être entier qui déchante dans la perdition de ses propres fondations.
TRIBUT -Thémis qui se pourlèche les babines te prends ton respect, Zakuro, mais sais-tu seulement ce que c'est ? Le respect, cette notion si pleinement, si tellement humaine, est la capacité à « regarder en arrière » [...] Se retourner, se considérer, avoir la conscience, même fragile, d'avoir pu exister. Ce que tu livres en patures aux crocs de Thémis, ce sont les filaments de ton humanité. Plus de respect, c'est l'incapacité à se retourner. L'incapacité, indéniablement, à prétendre à ce statut d'existence. Alors, on te demandera « Qui es-tu ? » Et comme tu ne pourras observer le parcours derrière toi, qui te structure, tu seras bien obligé de répondre, Zakuro, que tu ne sais pas. '
Description Physique
« Une montagne de gènes déviants »
Retourne toi.
Il se retourne. Dans un mouvement lent, mais réactif à l'impératif, comme s'il avait été un grand félin, au corps lourd mais puissant. Ses cheveux qui tombent sur son pectoral, sur ses épaules, et jusqu'au milieu de son dos ne sont pas attachés, mais d'ici quelques heures, quand il y pensera, il en fera une tresse, sombre et longue, qui viendra suivre les courbes de son rachis, jusqu'à effleurer l'os de ses hanches. Des cheveux longs, noirs, qui ne sont pas lisses comme la plupart des autres asiatiques. Les siens sont plus épais, plus secs, et ils ont cette ondulation particulières des cheveux que l'on laisse pousser sans pour autant y accorder un soin méticuleux. Ils ne sont pas abimés ou négligés ; mais ils poussent librement, et les mèches reflètent cette liberté d'exister, simplement, sans la moindre autre réflexion. Des cheveux noirs, très sombres, comme les plumes du corbeau. Des cheveux noirs, racés japonais, à l'encre d'un bleu profond. Mais ce bleu-là, on ne le voit presque jamais.
Le bleu que tout le monde regarde, c'est celui de ses yeux. C'est une histoire de gènes, des gènes déviants. Puisque les individus dépendent dans l'existence de leur gène, il considère qu'il dépend de gènes dont les algorithmes sélectifs ont créés une mutation improbable. Il est un déviant génétique, du point de vue le plus basique qui soit. Cela fait partie de son identité, et le structure. Le bleu de ses yeux, c'est celui du ciel quand il fait beau. Ou sombre, ou orageux. Le bleu de ses yeux est déviant, un bleu qui s'illumine ou s'éteint, un bleu qu'il possède, qu'il offre au monde en face de lui, mais que même dans le miroir, il ne voit jamais vraiment. Un bleu qu'un autre lui reprocha d'être trop céleste. Un bleu que le reste de ses yeux enferme au travers d'une cloison de chair bridée, la forme de ses yeux taillée en des amandes strictes, prononcés par le pli de sa peau étirée. Ses paupières et le reste de son visage ont ces traits asiatiques qui le rangent dans la communauté d'un peuple de l'Est. Mais il faut considérer ce détail, il est en possession de gènes déviants. Et si s'identifier au peuple japonais et posséder les yeux bleus peuvent, l'extrême, coïncider, la taille et la forme de son corps trahissent son métissage.
Il a les épaules hautes, le buste taillé en des gonflements musculaires spécifiques aux hommes mésomorphes. Des jambes longues, des poignets forts, et des ongles beaucoup trop rongés durant des périodes de stress. Il a la silhouette d'un colosse. Et le dernier point, celui qui s'est remarqué en premier, au delà de ses yeux, au delà de sa masse, c'est l'élévation de son corps, la taille improbable de deux mètres onze, 6.9 ft.
Il porte du noir, des vêtements simples et avant tout pratique. Il a l'élégance de la sobriété, de la discrétion dont il sait fait preuve, malgré son taille et sa poids. Les cheveux souvent attachés, rejetés en arrière pour libérer son visage et son champs de vision, il porte des Doc Martens. Doc Martens qui accompagnent un pas lent, lourd, mais parfaitement maîtrisé ; il marche comme s'il se tenait constamment en équilibre sur le reste du monde.
ANECDOTE
« Des fois, j'y songe sérieusement. Je n'ai pas d'âme, je l'ai déjà offerte à quelqu'un. »
Je dois m'accrocher à la terre pour abaisser les cieux. Dans les efforts qui ne peuvent se faire impavides, les muscles ont cette aigreur de paraître trop humain. Mais je fais de mon corps le temple de ma pensée, et l'habitacle étudié d'un esprit que je veux protéger. Je dresse des remparts de chair sur des défenses veineuses, adressant ma défiance aux obstacles et à la douleur par une positivité du travail sur le corps. Ce sont des instants privilégiés, presque plus accessibles que l'intimité de la masturbation, car là où l'on peut poser les yeux sur moi, je m'arrache à l'emprise d'une envergure trop terrestre, défiant l'imaginaire pour accéder à une bulle mentale qui ne saurait souffrir de distraction. Sous le poids des barres de métal, j'oublie l'avant, l'après, pour ne me concentrer que sur un présent qui se précipite au rythme de mes respirations, le métronome de mon cœur frappant tout semblant d'intelligence, atténuant mes valeurs. La rigueur d'une élévation de la température s'établit sur les pressions des muscles qui s'échauffent, le liquide lactique se déversant dans les tempérances striées de morceaux de chairs attitrés à des parties de mon corps dont je connais chaque localisation. Un positionnement évalué par mes doigts, par mes phalanges, par un écrasement profond de mes paumes, dans plusieurs ressentis, réguliers, pour m'auto-réguler, pour m'assurer d'une existence qui quoique contingente, se fait constamment évoluante. Si le corps est un labyrinthe, je me targue du rôle d'architecte, sans jamais le murmurer autrement que par le simple fait de défiler devant des yeux humains. Ce n'est pas tant un orgueil qu'un habitus succinct de mes jours, et je caresse l'entropie de l'univers en m'employant à me noyer dans le mien.
description morale
« la volonté la plus sauvage, celle qui fait peur aux autres »
Retourne toi, regarde toi. Si je te demandais de me justifier ton existence, d'exprimer ta notion de la contingence face à ta propre vie, en l'édulcorant de tes morales, me répondrais-tu ? Nous savons tous les deux que oui. Sans avoir besoin d'écouter ta réponse, sans avoir besoin de te soumettre la question, je saurais te définir, comme si je te connaissais parfaitement, sur le bout de mes doigts, sur le rebord de ma langue. Ton corps d'acier, tes yeux bleus, ce sont autant d'informations sur ce qu'il y a l'intérieur de ta poitrine et dans ta tête. Tu exprimes très souvent la volonté de défendre ce que tu as dans le ventre, et dans le ventre, cette volonté protège ton identité de guerrier. Tu es un guerrier qui n'a jamais connu les champs de batailles féodaux dont abreuvait l'imaginaire de ton enfance les récits de ta mère. Tu as grandi en apprenant à tomber et à te faire mal, mais tu a muri en apprenant à toujours te relever. C'est sans doute ce trait de caractère là qui te définit le plus, Zakuro. Ta résilience, le fait que tu sois un être incapable de rester face contre terre, même, -surtout-, après t'être fait brisé tous les os du corps. Tu es un battant, pas le genre de héros de film, plutôt celui dont on ne parle pas, parce que sa combativité effraie, tellement elle est prégnante. Une sorte de folie, d'angoisse, qui t'empêche de rester immobile. On peut venir t'exploser du parpaing dans la gueule que tu n'en serais pas plus ravi de prouver au monde entier que tu sais encaisser. Oui ça fait mal, oui tu connais la douleur, voir la souffrance. Tu as même une relation particulière avec cette dernière. Mais tu t'interdis la défaite sur toi-même : l'idée d'abandonner n'est pas, n'a jamais été, permise.
En amour, tu es le genre de personne qui te dévoue corps et âme à ce sentiment si particulier. Au delà du seuil de tolérance de ton propre corps, comme un navire qui va se projeter directement dans l'iceberg, dans une absence totale de crainte face à l'impact, tu t'engages, et tu t'exposes. Ton cœur hurle et ton âme se tord, certains diront que tu as tort, d'autres que c'est ton être entier, comme un torchon, que tu essores. Souffrance et félicité sont des mots qui se cotoient, et dans une valse endiablée, tu maries les effrois. Ok, on pourrait récapituler, toi, lui, tes yeux, dans un lit, mais ça ferait une mauvaise image, et l'idée n'est pas vraiment de banaliser ce genre de ménage. Ce sont tes doigts, les siens, tes mots, ses lèvres, et c'est à te demander parfois si dans tes étreintes, tu ne veux pas lui briser les os. Des vibrations et de la chaleur, tu as dans la cervelle du plomb qui te fait couler loin de la surface, mais même en atteignant le fond, tu cherches encore à te concentrer uniquement sur sa face. C'est bon, Zakuro, tu pourrais l'avouer directement, tu l'adores, et tu as offert ton âme, ce concept auquel tu ne crois pas, à son existence, à sa contemplation.
histoire d'une vie
« we're about to open a door which had been closed a long time ago »
Il est temps de raconter la triste histoire de votre personnage. Ici, on veut savoir ce qu'il a vécu pour arriver sur l'éden, les circonstances de sa mort et si vous le souhaitez, ses premiers pas sur l'éden ! Pour les vagabonds, c'est votre vie depuis votre naissance bien évidemment.
Et derrière l'écran ?
feat NOM DU PERSONNAGE 【NOM DU MANGA/ANIME】
PSEUDO -Litchi
AGE -Je suis née le même jour que Zakuro, mais deux ans après.
BLABLA PERSONNEL -DC d'Odoshi
COMMENT AVEZ-VOUS TROUVÉ BLINDFOLDED -J'ai suivi Chess, Yui Valentine, et Cammy Psyché. Je suis une stalkeuse, figurez-vous.
QUE PENSEZ-VOUS DU FORUM -Je suis assez embêtée avec les couleurs qui jurent entre elles sur la fiche de présentation, mais le reste me plaît énormément. Quoique je suis pour une distinction encore plus nette par rapport aux différentes grandes villes de Libra.
DES RECLAMATIONS OU RECOMMANDATIONS ? -sHm. Voir au dessus ?
LE MOT DE LA FIN -Je suis amoureuse de Stephen Hawking et de Stephen King.
codage par sahara sur blindfolded.forumsrpg.com
Zakuro
coeur souillé de noirceur
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Sujet: Re: Dénudez ce garçon, peignez-le en bleu.| Zakuro Mar 19 Mai - 18:23
« To define is to limit. » Oscar Wilde.
« Prenons le Temps, avec une majuscule, pour référentiel. Le Temps, dans toute son ampleur, dans l'établissement des faits qu'il est la mesure la plus absolue pour saisir toute perception des situations, des mouvements et déplacements, et en somme, d'un continuum de l'existence même de toutes choses. Considérons qu'il puisse avoir un commencement, cet instant où la conscience intelligente peut estimer bâtir une information chiffrée dessus. Prenons le Temps, et effaçons le. Où commence l'Intemporalité, avec une majuscule ? Où commence ce qui défie l'existence ? »
Dates et heures inconnues. Anonyme.
Il n'y a pas de limites. Il n'y a que des possibles.
(…)
Les muscles dénoués en ce gonflement martial du corps, l'homme est encore vivant. L'un des pompiers, le premier arrivé dans la salle, suivi de près par deux de ses collègues, a d'abord escaladé les gravas du plafond effondré, contourné Uranus et Jupiter fracassés, se frayant un chemin au travers des spires brumeuses de la poussière qui est encore en suspens dans l'air, avant de l’apercevoir, pour se diriger vers lui. Les lieux ont été évacués, mais il est probablement la seule victime de cet effondrement. Le pompier, Brian Miller, est le premier à parvenir à ses côtés. Le premier à faire ce constat, donc. L'homme est encore vivant. La conservatrice du muséum dans lequel devait avoir lieu l'exposition a été évacuée, comme tous les autres, est celle qui a donné l'alerte en appelant les secours, et aussi celle qui a été en mesure de donner une explication plus ou moins cohérente au milieu de sa crise de larmes hystérique. On l'a entouré, et on l'a conduit à l'hôpital. Elle est en situation de choc, et souffrira, pendant plusieurs mois, de symptômes post-traumatiques lesquels disparaîtrons suite à la thérapie qu'elle suivra, après avoir payé l'un des psychiatres les plus côtés de New-York. Pour le moment, elle est effondrée. Un peu comme le plafond. Brian Miller, lui, n'en revient pas. Il a traîné avec lui son matériel de premier secours, mais pour être totalement franc, il ne pensait pas avoir à récupérer, avec des mains tremblantes de surprise et d'appréhension, le masque à oxygène contenu dans la trousse principale. L'homme est encore vivant. Selon la conservatrice, et l'emploi du temps planifié, cet homme est titulaire d'un doctorat de physique quantique, diplômé provenant du Japon. Il devait intervenir aujourd'hui pour une simple exposition sur l'univers, la relativité générale et la physique quantiques devant être présentées au large public. Cela n'aura pas eu eu lieu, finalement. Peut-être dans une dimension parallèle.
« Monsieur, je vais vous demander de rester éveillé. Est-ce que vous m'entendez ? Il va falloir que vous écoutiez ma voix, et que vous restiez éveillé, c'est d'accord ? »
Les collègues de Brian arrivent à ses côtés, et avec cette même seconde de surprise, viennent lui prêter main forte. Le sang tapisse la poussière, en des éclats rouge qui se salissent. Brian inspire, et commence par déchirer la chemise de l'homme. Un vêtement de bonne qualité, jaune, sur laquelle se juxtaposait un gilet sans manche, noir. L'homme était habillé de ce costume élégant qui va bien aux premiers de la classe. Sur lui, transpercé et déchiré par les nerfs de métal qui transperçaient son dos, sa chair, en jaillissant de son ventre, de sa poitrine, de ses cuisses et de ses épaules, le costume ressemblait plus à un cadavre qu'à un vêtement. Mais tout de même. On pouvait y considérer une certaine ironie dans cette élégance de la chair déchiquetée. Le pompier s'affaire à découvrir la poitrine de l'homme. Son esprit est étrangement vide, et tourbillonne. Il ne sait pas comment faire. L'homme est encore vivant.
Un regard est échangé entre Brian et un de ses collègues, Jackson. Ils branchent le masque à oxygène, et le déposent sur la face ensanglantée du type. Son nom virevolte dans leur conscience commune.
« Zakuro Fea, ne nous quittez pas. Restez avec nous. »
L'un d'eux ne peut s'empêcher de lever la tête. Quatorze mètres plus haut, le ciel est totalement visible, maintenant que le plafond s'est écroulé. Le bleu de cette journée transcende la scène, l'illuminant de cette clarté d'été. Nous sommes au mois de juillet, et Brian panique. Il sent que l'homme perd conscience, et que lui n'a rien pu faire. Il finit d'arracher les lambeaux de vêtements imbibés de poussière de plâtre et de sang, et Jackson charge les défibrillateur. Dans la tête des trois pompiers, un compte à rebours à commencé, et ils sont acharnés à l'idée de le défaire. Ils veulent sauver l'homme. Près de lui, le Soleil, brisé, a éclaté en plusieurs morceaux, dont l'un est venu se loger près du cou de l'homme. Géant japonais, sa poitrine nue est inerte, et quand les défibrillateurs viennent charger une première fois, les épaules massives frappent les débris, et de minuscules cailloux roulent pour aller se frapper contre le sol, plusieurs centimètres plus bas. Brian l'observe, et il a conscience, sans oser se l'avouer, que cette intervention marquera sa vie. Ils doivent avoir le même âge, tous les deux. Ils sont pourtant diamétralement opposés. Au milieu du sang, du métal qui a charcuté, et des gravas, il y a ces traits que les yeux de Brian ne peuvent ignorer. L'homme devait s'être attaché les cheveux. À partir de quel moment est-ce que l'élastique a explosé ? Noires, ensevelies sous la poussières, les mèches éparses encadrent le visage du japonais. Du sang lui est sorti par le nez, par la bouche, et, -Brian le sait-, par les oreilles. Le traumatisme crânien est évident, mais la situation est tellement critique qu'il n'ose faire de lui même le bilan santé de son patient. Parce qu'inévitablement, sinon, il va se concentrer sur ces nerfs en acier, qui soutenaient les planètes, et toute la structure métalliques des câbles organisés pour créer les déplacements de la galaxie mouvante. Ces nerfs en acier qui dépassent d'un peu partout de l'homme, et que Brian doit lui-même éviter pour pouvoir se déplacer. D'une trentaine de centimètres de haut, ils ressemblent à une petite armée dressée, qui défie l'humanité et les gravas. Armée silencieuse, dont certains soldats se sont courbés, et d'autres sont rougis de sang. Zakuro tousse. On plante dans son bras une aiguille emplie de sédatifs. Mais très honnêtement, on ne sait pas si cela va anesthésier quoique ce soit. Jackson se penche vers Brian.
« Il faut le soulever. Il faut qu'on le dégage de ces trucs en fer, et si on fait ça, l'hémorragie va le vider complètement. »
Brian entend, mais il ne peut pas s'y résoudre. On l'a appelé sur cette affaire, il a couru, parce qu'il est pompier, et qu'il a choisi de vivre pour sauver les autres. Et il sait que s'il ne parvient pas à sauver cet homme, il sera malheureux pour le restant de sa vie. Vraiment malheureux. Il inspire.
« Il faut qu'on commence par scier ces nerfs métalliques pour le dégager. Walker, il faut que tu te charges de cela. Je vais m'occuper de lui. »
Ils n'ajoutent rien de ce qui n'st pas nécessaire, mais tous ont commencés à calculer l'étendue de sang qui s'est déversé autour du corps. Il n'y en a plus pour très longtemps. Néanmoins, ils veulent croire qu'ils peuvent défier le temps, et le gagner à la course. Walker s'est déjà relevé, et court vers le matériel que lui apportent déjà d'autres collègues entrant dans la salle. Brian se penche au dessus de l'homme.
« Monsieur Fea, vous m'entendez ? »
Les lunettes du physicien cosmologiste sont brisées, et tombées un peu plus loin. Près du Soleil, en fait. Brian inspire, et répète. Sous le masque à oxygène, l'homme respire. Le cœur de Brian manque un battement. Sous les paupières tuméfiées, un éclat de bleu a jailli.
Quand Walker revient, Jackson et Brian ne s'activent pas. L'homme, les bras en croix, sous le ciel, ne bouge pas non plus. Brian relève les yeux, et il a des larmes qui bordent ceux-ci.
« Il est parti. »
Et c'est le commencement.
(…)
«あなた は死神 です か »
Il inspire. Les épaules redressées en un automatisme martial, il a les cheveux rejetés en arrière, et son visage est dépourvu de ces sentiments qui s'accompagnent à la considération d'une contemplation de la mort. Homme trop fier, il ne tremble pas, mais ne s'accorde pas à sourire. Sa fierté est enfant du respect, et il sait, malgré lui, que craindre est une réalité qui ne s'esquive pas. Mais face à elle, il ne parvient ni à craindre, ni à étirer ses lèvres en des allongements rieurs. Il est simplement là, le pouls encore irrégulier d'un stress vécu par son corps, lequel achève de frissonner sous ses vêtements déchirés, et les yeux relevés en une défiance à l'univers qu'on lui impose. Il n'y croit pas, il ne s'y croit pas, mais Zakuro a toujours été quelqu'un qui veut vérifier avant d'adhérer.
Il expire. Ses poumons ont été défoncés dans l'habitacle thoracique de ses côtes broyées, ses muscles ont été lacérés, dans ses veines, la poussière s'est mêlé, et la violence de son agonie l'a laissé tremblant, stoïque dans sa propre contemplation et égarement. Mais il ne ressent pas la douleur qu'il sait devoir éprouver. Il répète.
«あなた は- dieu de la mort ? »
Il la voit haute et blonde, avec des yeux trop clairs pour qu'il se sente effrayé par son visage angélique. Il la voit surélevée en une stature divine à laquelle il ne peut, ni par ses croyances, ni par ses fondements, accepter. Les mains dans les poches, pour cacher à ses propres yeux le constat de ses phalanges explosées, il soulève sa poitrine, et s'y étirent les filaments de peau et de tissus qui se sont mêlés en des treillis ensanglantés. Il sent le regard de l'autre qui se pose sur son corps défracturé, et il a une pensée pour le monde qu'il vient d'abandonner. Et, mécanisme verrouillé, obtient la réponse à la question qu'il fait résonner. Es-tu un dieu de la mort ?
Son cœur s'embue, sa vision pourrait presque s'emballer, mais si ses yeux se plissent, ils n'en restent pas moi les catalyseurs trop directs entre le monde et la perception qu'il s'en fait. Et le monde s'est oublié. Zakuro ose à peine murmurer, mais il faut raconter d'où il vient.
Les souvenirs s'amassent et se rassemblent en des animaux de troupeaux qu'il sélectionne. D'abord, il trie, et ne conserve que les plus récents, les plus cohérents. Il veut se souvenir comment il s'est laissé enfoncer dans un long balbutiement de son identité, avant de se faire dévorer. Le premier souvenir est celui d'une caverne. Il se mêle aux autres, car ce lieu, immatériel, l'a conduit jusqu'ici. Comme un fil conducteur. Thémis le regarde, et Zakuro ferme les yeux.
456 XK. Noir.
Il inspire. Son dos n'aime pas ça. La circulation sanguine se régule dans son corps, rétablit un semblant de coordination à ses muscles meurtris, et il se relève, lentement, comme un félin assommé. La respiration est un acte qui lui est douloureux, mais auquel il se force à trouver une harmonie sur laquelle se construit progressivement l'arrangement de ses battements cardiaques. Ses yeux se sont ouverts sur une obscurité qu'il fouille, et qu'il réarrange doucement en son appréhension de l'environnement. Les spires glacées évoluent autour de son corps en des écharpes brumeuses que sa peau réceptionne en des stimulations nerveuses. Frissons. La caverne est humide, le monde est froid, et il lève les mains, découvrant la nudité partielle de son corps. Il ne porte plus ses sabres, ses paumes sont vides, alors il les referme, en un chuintement de ses phalanges qui s'agencent en ces deux poings de chair. C'est une contemplation silencieuse, du bout de ses doigts, du bout de ses veines, où il se souvient exister en tant que corps, en tant que matérialité. Il rouvre les mains.
Il effleure. Ses doigts évaluent des reliefs qui l'entourent. Des contingences en relief d'une roche rongée par l'eau, une caverne où le froid a élu son empire, se dessinent, et il parcoure de la main ce que sa mémoire ré-enregistre. Il est venu, ici, seul, mais ne se souvient pour l'instant de rien. Sans s'inquiéter, il force les digues de douleur qui se dressent encore dans sa poitrine, et relâche la tension pour apaiser ses muscles. Sous ses pieds nus, les pas qui se murmurent indiquent des foulées lourdes, puissantes, mais profondément maîtrisées, calculées dans leur lenteur. Une démarche où son corps se libère des châles alourdissant de sa léthargie, pour recouvrer l'enhardissement d'une vigueur violente que les tressautements nerveux qui parcourent sa peau exhibent. Ses cheveux se sont déversés sur ses épaules, et un vent discret vient faire caresser son pectoral de ces tracés de jais qui cascadent autour de son crâne. Héritage japonais, crinière racé d'un animal asiatique, les mèches noires évaluent en des chutés onyx qui viennent toucher en un signalement distinct ses hanches, ses côtes, frappant ses omoplates, cheveux lourds de mots et de souvenirs, qu'il ne coupe jamais. Dans le froid de la grotte, il ressent distinctement le contact multiple de chaque cheveux sur sa peau, et comme un chat userait de ses moustaches pour appréhender l'espace, le vent réservé qui soulève une mèche le fait s'orienter en fonction de l'aération des lieux. L'eau se soulève et recouvre la plante de ses pieds, s'élevant au dessus de l'ossature de ses orteils, caressant les veinures qui marquent les reliefs de ses pieds. Il inspire. Le gêne de son échine s'est estompé. Il expire.
C'est un rêve.
Il ouvre les yeux. L'ébranlement du métro sur une rame un peu abimée par le temps a provoqué son réveil. Comme un nageur qui remonte à la surface, il reprend sa respiration, et reste dans sa poitrine le fantôme d'une douleur sourde. Il ne sait plus dans quelle direction va le train, ni pourquoi est-ce qu'il l'a pris. Dans ses oreilles, les écouteurs diffusent une musique qui passe en boucle, comme un disque rayé, mais il ne l'écoute pas vraiment, et du bout des doigts, les enlève. Il y a des vibrations atones, au delà de la réalité de la mélodie. Ce sont des cris. Des cris de secours, désespérés, un peu étouffés, que tout le monde ignore. Il élève les yeux, surpris, en essayant de comprendre, et son regard fouille le wagon. Il comprend. Un type touche une fille, fait même un peu plus que ça. Elle crie, oui. Et personne n'entend. Personne ne veut entendre. La pensée commune du « ça ne me regarde pas ».
D'abord, il s'étudie lui-même. Vivant, assis, quelque part sous terre, avec un sweat noir, un jean noir, et ces Doc Martens jaunes. Un jaune qui attire son œil, qui étouffe presque les bruits que ferait la fille. Presque. Sur sa poitrine, il y a des mèches de cheveux qui y reposent, mais contrairement à son rêve, il se souvient les avoir attachés. Dans son dos, entre ses omoplates et l'assise inconfortable du métro, une épaisse tresse noire appuie contre son vêtement, comme pour signaler sa présence, comme pour lui rappeler « Je suis là, derrière toi. » Il se lève. Il se lève, et le monde semble se figer sur son mouvement. Du haut de ses deux mètres onze, il paralyse le regard, l'attention, pour quelques secondes qui se distordent sous son application. Lentement, doucement, il étire les muscles de son dos, et marche, droit sur le type, tandis que les passagers qui n'interviennent pas, le regarde. Ils le regardent comme on regarde un lion aller jusqu'à sa proie, ou un tsunami foncer sur une ville. C'est un peu des deux, et en même temps ce n'est pas ça. On s'attend à l'impact, et en même temps, on refuse de le voir, de l'accepter. Il ne parle même pas. Sa main vient simplement se poser sur la nuque de l'homme qui violente la fille. Et ses doigts se serrent. Le type couine. Abandonne la fille, et brusquement réduit à l'état de prise, agite furieusement les bras, comme un insecte retourné. Un des passagers se réveille. Les gargouillements de l'homme qui faisait crier la fille ont renversés la situation. Le passager attrape la sonnette d'alarme du wagon, et tire dessus. Des yeux bleus le regarde, un instant, puis l'oublient, la seconde d'après. Le type hurle « Lâche moi ! » Il ne le lâche pas. L'esprit de l'autre est en train de se tordre, comme une barre de métal qui couine sous le feu. Il serre encore plus fort la nuque de l'homme qui se raidit, et qui croit entendre ses vertèbres se briser. La fille a remit sa jupe de l'uniforme de son lycée en place, et a sanglote, contre le dossier, les yeux ouverts, un peu stupéfiée.
« Va ? »
Une économie de mot, de sons, à peine un verbe, où l'intonation se devine presque plus qu'elle ne s'entend. La lycéenne hoche la tête, et ses larmes se calment un peu. Alors, il ouvre les doigts, lâche le cou du pervers, le retourne, presque avec douceur, et tandis que le train s'arrête doucement, il le frappe, au visage, assez fort pour que ses phalanges se couvrent de sang.
L'alarme résonne beaucoup trop fort.
Quand les policiers arrivent, le type chiale sur le plancher, et ramasse du bout des doigts des molaires qu'un coup de poing a éparpillé. Le colosse a disparu, descendu, murmure une vieille femme à sa voisine, à la station d'avant. Les témoins ne parleront pas, on ne le retrouvera pas. Effacé de la pensée.
Et après cela ? Thémis le juge, Zakuro dépose son regard sur un détail aléatoire. Il considère ses derniers jours comme une vérité entêtante qui s'accroche à son corps, qui vibre encore, comme l'écho d'un sonar oublié au fond de l'océan.
Il marchait. Il marchait, et il y a eu cette odeur de litchi qui a flotté dans l'air. Le monde est devenu noir, à ce moment là. Il contemple le ciel, sans parvenir à trouver de réponses aux questions qu'il ne se pose pas. Les gens se sont amassés autour de lui, et trois hommes l'encadrent. On le relève. Il se sent comme une poupée de chiffon.
« Cela vous arrive t-il souvent ? »
Non. Il perd de plus en plus connaissances, ces temps-ci. Comme des soubresauts instinctifs d'un quelque chose qui se serait terré au plus profond de sa conscience, sans qu'il ne se rende compte de sa présence, mais qui s'élèverait maintenant, témoignant de sa position, et de la force emmagasinée jusqu'ici. Comme un parasite qui aurait commencé et validé l'action infaillible de le dévorer de l'intérieur. Il hoche la tête.
« Oui, c'est habituel. »
L'odeur de litchi lui revient en tête, mais cette fois-ci, il n'y a pas de malaise. Juste cette sensation désagréable d'avoir ignoré quelque chose d'entêtant beaucoup trop longtemps. Après que l'on se soit assuré qu'il allait bien, ce géant un peu trop fragile, les gens se sont écartés. Il est seul, de nouveau, au milieu de la foule, et il continue de longer les façades d'immeubles trop gris, tandis que ses ongles jouent avec les lunules de ses doigts opposés. Il s'arrache la peau, sans vouloir le sentir, et le litchi l'obsède. Ça représente beaucoup trop de souvenirs. Il murmure, à mi-voix, le nom du fruit.
« Litchi, Litchi ... »
C'est un peu le commencement de sa vie. Il avait dix sept ans lorsqu'on l'appelé comme ça pour la première fois. Litchi, c'était ce pseudo qu'il s'était choisi, après une lecture un peu trop intensive d'Uzuma Furuya, sur un forum internet dédié aux univers féodaux du Japon dont il revendiquait l'appartenance, l'existence.
Il s'assied sur un banc, le genou ramené contre la poitrine, ses mains l'encerclant. Il pose le front contre sa rotule, dans une attitude d'enfant qui ne correspond pas vraiment à son corps trop déployé, trop étiré. Litchi, litchi … Il se laisse enfoncer dans le souvenirs.
Tout défile, des couleurs, des odeurs, des sensations, des images. Il arrondit son dos, choisit les instants, les sélectionne du bout des doigts en les triant les uns parmi les autres, et puis les laisses brusquement s'étendre. Se remettre à vivre.
L'intemporalité se sent si vide.
Qui t'a appelé l'intemporalité ? Qui a fait de toi ce que tu es devenu à ce moment là ? Zakuro ne peut pas oublier.
Souvenirs 111 JM.
25/10/11
« La phrase classe qui tue tout, à dire , lorsque deux personnes se rencontrent, c'est quoi déjà ? »
Zakuro a dix sept ans. Les cheveux noirs rejetés en arrière, attachés en une queue de cheval qui frappe sa nuque, il porte une chemise noire et un large sourire, qui illumine ses yeux presque autant que la journée ensoleillée. Il a son portable à la main, parce qu'il ne voulait pas manquer le rendez-vous, mais la personne qu'il cherchait est maintenant en face de lui. La personne aux cheveux blancs a attiré son œil comme une bougie attirerait la phalène. La bougie relève les yeux, dévoilant un regard sanguin, un rouge qui transperce l'âme de Zakuro, sans que celui-ci se rende compte qu'il vient d'être blessé, marqué à vie.
« Toi, moi, tes yeux, dans un lit ? »
Zakuro sourit. Il a dix-sept ans, il ne le sait pas encore, mais il vient de rencontrer Kohaku Joshua Mitsumasa, et il va s'accrocher à son sourire, sans plus jamais le lâcher du regard. C'est une rencontre, la plus importante. C'est celle qui va bouleverser sa vie, transcender son existence. Il ne le sait pas, le garçon aux cheveux blancs lui sourit, et fouille ses yeux de ses propres prunelles porteuses de lentilles. Un rouge factice qui fascinera Zakuro. Un rouge bref, déterminant des nuances de cette journée. Un rouge contre du noir, pour du bleu, avec du blanc. Des couleurs qui se mélangent, le temps qui explose, des moments qui se succèdent, c'est une journée qu'ils ont devant eux, et qu'ils passent à deux, à se regarder, l'un l'autre, à s'étudier, à s'observer.
« Jamais fait de sabre, mais l’idée de te battre d’un trait me plaît bien. Y’a des règles à réécrire dans le maniement d’cette lame ? ».
Zakuro a passé neuf ans a s'entraîner, et l'orgueil de l'autre lui arrache à sourire. Mais il y a autre chose. Il a commencé à se douter que Mitsumasa n'est cependant pas qu'une allégorie de l'arrogance. Derrière les sourires moqueurs et les défis adolescents auxquels Zakuro mord à pleines dents, il y a cet appel sourd, qui provient d'une dimension enfouie, et qui tape quelque part, assez fort pour faire résonner sa vibration dans ses os. Zakuro nage dans l'inconnu, les yeux grand ouverts, avec la sensation qu'il est en train de se perdre. Les heures commencent à défiler, et Joshua glisse parfois sa main sur son corps, comme pour l'enfoncer un peu plus, l'éloigner de la surface. Il lui murmure, et Zakuro écoute, des charabias pour la norme, mais un ensorcellement de ses sens :
« […] Ce qui fait toute la différence, c’est que les gens qui osent sont tristement rares et absents . . . Moi, je réclame le dû qu’on me présente, je m’impose et je joue. Ils m'appartiennent tous parce que je le choisis. »
Zakuro étouffe. Il ne se rend pas compte, cependant, que l'envie de remonter commence à s'estomper. Il perd l'instinct de survie, et comme une Alice endormie, se met à parcourir le terrier du Lapin Blanc. Sauf que ce n'est pas un lapin : Zakuro est tombé directement sur le Chat. Un chat qui lui sourit de plus en plus, en se moquant de lui, son corps se rapprochant.
« Fuck, j’ai pu ma lentille, right ? »
Et sa réponse est idiote.
« Tu caches sous des lentilles des yeux de démons. Sous un morceau de verre, des morceau d’orage… »
Disparition du sourire, instants de proximité trop dangereuse, Chess qui densifie sa nature, prêt à l'explosion, et une griffe qui vient caresser la mâchoire de Zakuro.
« Si tu refais un autre commentaire du genre sur mes yeux, je te promets que je vais faire bien plus que simplement te tuer, Li-tchi. ».
C'est une promesse. Zakuro hurlera de son âme, plus tard, bien plus tard, le fait de se réserver les droits sur chaque commentaires sur ces prunelles pour le moment hétérochromes. Un regard double, sur lui, sur le monde, dans lequel il se noie, et dans lequel il s'oublie. Il aurait pu être fort …
« Fort ? T’simplement ignorant. Aussi influençable que les autres. Pareil. Identique. Monotone. Je t’ai saisi, j’ai joué un brin, mais maintenant que le jeu te dépasse, tu te glisses hors de l’étreinte de mes doigts, tu files et fuis. Pathétiques humains . . . si tu souhaitais jouer en solo avec mon hilarité, il fallait le dire. Hmph . . . »
Déception. Rédemption. Des peut-être que Zakuro défonce.
« Au fait, c’quoi ton nom ? Litchi ne te fait pas justice du tout, ça m’énerve. . . »
Des réponses. Une réponse.
« Za-ku-ro. . . ».
En trois syllabes, Joshua scelle et martèle. C'est la fin, c'est le commencement, il est perdu, il ne sait plus, il ne sait pas, mais tout s'est conclu sans qu'il ne puisse vraiment signaler sa volonté, son résidu d'humanité. Quelles réactions aurait-il du avoir ? S'il avait fui face à ce sourire, comment les choses auraient-elles évoluées ? Même si les questions paraissent rhétoriques, un poil grandiloquantes, les suppositions sont faciles, presque des réponses évidentes. Il ne se serait rien passé. Il aurait retrouvé une vie normale, sociale, intégrée à la sociétée. Aurait grandi, serait devenu un quelque chose qui vit, qui travaille, et qui meurt. Quelque chose comme ça. Mais, avec ce goût amer de ne pas avoir répondu correctement à la question, Zakuro s'est accroché. Joshua a souri. Joshua n'a jamais cessé de sourire.
« Tu m’appartiens. »
Des lèvres explosées, pleines de sang, qui s'ouvraient sur des phrases prometteuses, des destins chancelants. Et Zakuro qui ne sait plus très bien où il en est, ce gamin brun un peu trop fier qui se rend bien compte qu'il a foutu les pieds dans un piège dément, mais qui l'accepte, qui le veut, et qui s'enfonce dedans. Il veut aller en avant, ne plus reculer, car la partie est maintenant trop engagée.
« T-T’as dis quoi ? »
Il lui a dit qu'il le jetterais à genoux. Et Joshua rougit.
Puis Joshua rit, joue, et le maquille, tout en buvant son café, son thé, parce que c'est ça, la polyvalence humaine. Oh, Chess, humaine, vraiment ? Te serais-tu définis comme ça, par erreur ? Des lapsus qu'il oublie. Des doigts qui s'égarent sur ses lèvres. Zakuro est mortifié. Et avec l'envie terrible de voir jusqu'où ça peut aller. Il sous-entend le mur. Les leçons qui bâtissent son esprit sont cruelles pour son égo trop fier, mais structurent finalement sa pensée.
« Petit un. C’est l’humain et non la société qui est magnifique, ne confond pas. Le monde est une planche de jeu, libre à tous de modeler à leur escient, et les pions qui la parcourent, naïfs et perdus, se noient dans une société accablante, mais, au fin-fond, restent, lorsque nus, lorsque menacés, de simples individus aliénés du reste. Des esprits uniques, libres. Je joue avec l’humanité, les hommes, les femmes, les enfants, seuls, pas avec la société. La société est déguelasse, elle impose des normes que tous suivent aveuglément pour ne pas se ramassé seuls à jamais. La société démolie les facultés uniques de l’homme, les opinions propres et les remodèle . . . La tortionnaire ultime, une prison à ciel ouvert ! Ennuyante, uniforme. Elle écarte les gens trop différent d’un revers de sa loi, fait enfermer ceux qu’elle juge trop dangereux ou fous. . . Je la hais. Probablement plus que n’importe qui. Mais la détester, elle, ne signifie pas détester l’humain . . . loin de là. Confondre, c’est se corrompre, c’est crasse et stupide, mais est-ce que ça fait de toi quelqu’un d’con pour autant, hm, Zack ? »
Du maquillage sous ses yeux. Joshua sur ses cuisses. Le vent, le soleil, le café.
« Petit deux, si tu veux être un rônin, pourquoi ne pas le devenir immédiatement ? Qu’est-ce qui t’en empêche ? La société ? La modernité ? J’doute que tu puisses recréer le passé . . . détruire les avancements technologiques, mais . . . tu pourrais faire évoluer la signification ancienne de tes idéaux, la faire basculer dans les temps d’aujourd’hui. Qu’est-ce qui t’arrête au final ? Quelques siècles de différence ? Quelques mentalités de modifiées ? Tout change, succombe à la folie de l’immatérialité . . . mais, on peut quand même tout recréer en mieux. C’sûr que si tu te laisses abattre . . . Pour ma part, je préférerais être le seul rônin du monde que de voir sombrer dans l’oubli. Si ça me tenait à cœur, mais bon. . . Je m’en fiche, à vrai dire, du passé. Ce qui compte c’est le présent. Alors. . . c’est ton problème. Ton tourment. »
Des mots qu'il n'oublie pas, jamais. Qu'il se ressasse parfois pour étreindre le fantôme de l'enfant qu'il était. Des mots qui ont évalués une voie, battu un sentier à l'intérieur de ses propres choix.
« Ouvre les yeux. Ne bouge pas. Sinon, j’te l’enfonce dans l’œil, m’kay ? »
Il aurait du fermer les yeux. Si cela était possible de le refaire, il fermerait les yeux, sans plus aucune crainte de cette brosse à mascara, cette arme-hérisson. Des frémissements de paupière.
« Contre un mur ? J’adorerais. »
Il ronronne. Zakuro observe. Des doigts dans son dos, les reliefs de sa peau explorés par des mains trop fines, trop précises. Le temps passe. Il ronronne. Zakuro observe. Et Zakuro ne sait pas s'il aime vraiment ça ou pas. Il ne le se l'avouera pas. L'idée de perdant ou de gagnant a disparu. Des métros qui passent, des tickets qui se compostent, des ombres humaines projetés sur eux, et Zakuro feint ne pas le regarder. Joshua l'observe, lui, au milieu du filtre de toute l'humanité qui les entoure.
« Surprise ! Si tu n’attaques pas le premier, j’vais démantibuler ton jeu, Za-ku-ro. »
Et Zakuro est au sol, les doigts de Chess sur sa poitrine, ses cheveux défaits qui tapissent le sol autour de lui. Un demi sourire, et le combat reprend. Et c'est inégal, le temps qui passe, des Aliss qui volent, des griffures, des impacts, et puis l'immobilisme des corps, de l'esprit.
« Y’a pas de rythme dans l’immatérialité. C’est normal que l’enveloppe physique se brise dans ton jeu. C’est carnivore, c’est enivrant et c’veut rien dire. Absolument rien. Donc, don’t feel sorry, it was quite . . . enlightening, I guess. »
Le rythme. C'était un de ses propres mots, un mot qui ne lui avait jamais appartenu jusqu'à l'instant, et qu'il avait déployé comme un allié, en s'en imbibant totalement.
« Je suis tout ce que je veux, je ne suis rien de ce que je subis. Je deviens celui que je suis. Ne te l’aie-je pas dit . . . ? L’intérêt du jeu n’est point de le gagner en surface. De toute manière, on ne gagne pas contre moi. ~ La folie et la force, des concepts, des concepts . . . »
Joshua se révèle, et les yeux bleus se noient, toujours un peu trop, Zakuro ne respire plus. Une dernière chose. Aliss.
« La prochaine fois que tu y touches sans mon accord, je te tue, Zakuro. »
Sourire.
« And believe me, it’s no threat, I’d do it for real. »
Il le croyait. Assurément, il le croyait, de toutes ses forces, de tout son esprit. C'était la rencontre avec le bouquin, après tout. La première fois, celle qui marque toujours un peu plus que toutes les autres.
Mais ce ne sont pas les préservatifs qui viennent en premier. Phallus dégénérés, masculinités terroristes, ce sont des preneurs d'otage qui interrompent le trajet du retour. Des cris, un coup de feu, une victime. Du sang, qui se répercute comme le souvenir de ce rouge au dessus duquel Zakuro s'est penché en observant les yeux de Kohaku, mais ce rouge là coule, est humide, et tâche les doigts, colle aux phalanges. Un rouge terrifiant qui hurle le désespoir de l'humanité violentée. Les revolvers sont chargés, et Zakuro est armé. Un regard à Joshua, et c'est un automatisme qui s'établit, le réflexe de chercher ses yeux, de quérir ses prunelles. Regarde moi, regarde moi, et Zakuro touche le fond. Il franchit, pour la première fois, ce qui sépare le temps et le corps. Pour les yeux de Joshua, pour le sourire de Kohaku, en sortant les lames qu'il transportait dans son sac de sport, Zakuro se met en mouvement. Et la poitrine du preneur d'otage s'ouvre sur un flot de vie, sur une cascade pourpre, parce que cette journée appelle au sang, et que les nuances qui se mélangent englobent les corps, détruit les croyances. Le rouge et le blanc, Zakuro a les bras tâchés, et du bout des doigts, attrape le poignet de Joshua qui rit, comme un phare au milieu de la tempête. Le repère fixe d'une hilarité auquel Zakuro s'accroche. Il s'accroche, de toutes ses forces, de toutes son âme, de toute sa volonté, de tout ce qui lui reste à offrir et qu'il ne lui a pas encore donné. Il s'accroche à ce sourire. Et puis ils fuient. Dans le noir. Sous la pluie. Retour à la surface. Ils achètent ces préservatifs, finalement, et Joshua rougit, encore, et c'est une petit victoire pour Zakuro, qui sourit, si doucement, si tendrement.
« Je t’ai battu, aussi. Vaincu dans la poussière de tes croyances . . . »
Ces croyances qui se sont effondrés, le laissant debout, seul face à ses propres ruines, avec une sorte de satisfaction à observer ce nouveau paysage vierge.
« Non, non, je t’ai construis, tu es à moi. »
Tu m'appartiens. Je te le répéterais mille fois.
« C’est toi qui m’appartiens, Za-ku-ro. Je le répéterai autant de fois qu’il le faudra. »
La pluie.
« Je crois que je sais ce que je ressens pour toi. Est-ce que ça t'intéresse, le Chat ? »
Zakuro s'incline. Il s'incline comme l'aurait fait un samuraï, le samuraï qu'il n'était pas. Il deviendrait rônin.
« Je te respecte profondément. »
La pluie qui s'effondre, qui a fait lâcher son élastique, et ses cheveux ruissèllent autour de son visage. Comme un fantôme pâle dressé en face de lui, Kohaku le regarde.
« Si tu me respectes, c’est que tu te censures. »
Des censures, derniers résidus de ses croyances parties en poussière.
« Je n’en veux pas tu sais . . . de ton respect. »
Des fumées, qui avaient autrefois structuré son être. Le respect. Le respect, si important, si terrifiant, pour l'adulte, pour le japonais.
« Mais je veux bien t’avoir toi. »
Le big bang de son être. La première et dernière seconde tout à la fois. Des doigts qui s'accrochent à ses vêtements tâchés de sang.
« Alors, enlève ça et viens avec moi, alright ? »
Il le suivra. Il le suivra, et ne se détournera pas, en se faisant la promesse de ne jamais détourner les yeux, de toujours le contempler, l'accompagner du regard, jusqu'au bout. Des retours, une salle de bain, une douche pour se calmer, des habits prêtés trop grands, des rires, des sourires, un poème, et puis le noir, le blanc, la nuit, la folie de l'instant, le cœur éparpillé, ses sentiments en mille morceaux. Zakuro saisit Kohaku, et ses lèvres contre la carotide de l'autre, lui murmure un merci qu'il ne peut qu'offrir. L'instant intemporel, peut-être, brisé brusquement par l'entrée d'un garçon dans la salle de bain. Une ambiance de guerre interne, où Senta, le garçon, s'enfuit, le téléphone collé contre l'oreille, et sa popularité d'idiot à la peau, et Zakuro cède à la fatigue, cède aux larmes, et demande une trêve. Un besoin de repos. Kohaku ne le lui offrira pas. Du bout des doigts, en l'entraînant dans sa chambre, ils referment la porte derrière eux, et laisse au silence ce que l'imagination produit le mieux. Derrière une porte close.
Zakuro ouvre les yeux.
(…)
Souvenir 325 LO.
« Comment il s'appelle ? »
Senta est coréen et faux blond. Senta est le genre de garçon qui pense plaire aux filles. Il ne s'y trompe pas, mais n'utilise pas correctement ce genre d'informations sur lui-même. Senta joue avec un ballon de basket, il est sportif, et nerveux. A côté de lui, il y a ce garçon qui a le visage d'une fille. Et les cheveux. Comme une allégorie de l'élégance, Kojiro est japonais, et ressemble à ces wakashu antique dont on n'aurait osé coupé les cheveux trop longs. Il est beau, beaucoup plus beau que Senta, mais lui ne le sait pas. Zakuro le regarde, parfois, et se perd un peu dans la contemplation des traits de Kojiro. Parfois. Quand l'autre ne le regarde pas. Pour l'instant, Zakuro est assis sur la table, à côté de Kojiro, et Senta se penche au dessus de l'épaule de celui-ci, tandis que Kojiro lit un livre dont Zakuro n'a pas retenu le titre.
« Kohaku Joshua Mitsumasa. » « Je crois que j'ai entendu parler de lui. Certains disent qu'il est timbré. »
Kojiro relève les yeux. Pas pour regarder Senta ni Zakuro. Simplement, les sourcils à demi froncés, observer un point, droit devant lui, qu'il considère, avant de rabaisser les yeux, ses cheveux caressant ses joues. Zakuro sourit.
« Il l'est peut-être... » « Et tu vas le revoir ? »
Ils se sont déjà revus. Ils se reverront. Son sourire s'accentue.
« Beaucoup de fois. »
Du coup, les rumeurs naissent forcément. Mais Zakuro ignore. Comme un tatouage, il a cette force nouvelle qui lui colle à la peau, et dessine dans sa tête une nouvelle identité à laquelle il s'est identifié, structuré, et que les gens ne peuvent maintenant plus se permettre de tâcher de leur jugement. Il contemple, au dessus.
« Le bleu. Tu es le ciel qui surplombe la terre, qui grise le regard des gens en quête de réponses ou d’atmosphère. Tu es l’intemporalité qui veille sur la planète, qui transcende l’existence sans pour autant la manipuler, sans pour autant se l’approprier. »
Des sourires, parfois, quand il traverse ces flots humains de ces visages qui l'observent. Des sourires toujours quand ses yeux rencontrent ceux de Joshua. Des sourires, à jamais, quand il se retourne sur ce qu'il y avait avant. Maintenant, c'est devant. Le Ciel.
Zakuro
coeur souillé de noirceur
MESSAGES ▲ : 13 DATE D'INSCRIPTION ▲ : 05/05/2015 AVATAR ▲ : Onorobo est mon amour
Sujet: Re: Dénudez ce garçon, peignez-le en bleu.| Zakuro Mar 19 Mai - 18:24
(…)
Il s'est redressé, et a marché toute la ville, foulant la distance de son pas lent.
Maintenant, il a les yeux levés vers un appartement.
Le quartier ne se ressemble plus. Cela fait presque cinq ans qu'il n'est pas revenu ici. Il n'habite plus ici. Mais dans ces lieux, il y a la présence d'une vie qu'il a quitté. Un appartement à trois chambres, dont l'une est restée vide trop souvent, pour absence de l'une des colocataire. Dans celle qu'il n'occupait pas, il y avait Lawrence Evelynn Swanster. Ce garçon d'un an son aîné, cet homme aux yeux bleus comme lui. Kohaku les collectionnait, assurément, s'était-il amusé à dire, un soir. Lawrence était caucasien, et son charme solaire s'illustrait par ces mèches blondes qui retombaient sur ses épaules, avec la grâce de ces individus parfaits que la société ne connait que trop peu. Lawrence était Swan, entre les lèvres de Zakuro. Le meilleur ami de Kohaku, au même titre que Kojiro entretenait une relation particulière avec lui. Swan s'occupait généralement du repas, et du rangement. Prince charmant de ses demoiselles, il avait le don du ménager, se cachant parfois, tandis que le salon et la cuisine rutilaient, dans un coin de l'appartement pour fumer une cigarette que Zakuro ne signalait pas. Il ne se souvenait plus s'il l'avait vraiment su, d'ailleurs. Des instincts, renforcés à force de côtoyés des fumeurs ne s'assumant pas. Zakuro aimait Swan, sa blondeur trop lumineuse, ses airs paternels et strictes, ses défauts de Monsieur Parfait, et ses capacités de cuisinier. Parfois, Lawrence faisait des crêpes. Dans ces moments-là, Zakuro oubliait la notion de satiété. Quand Kohaku venait à la maison, parfois accompagné des amis de Lawrence, et que Kojiro et Senta se ramenaient, il y avait dans l'appartement des ambiance qui stigmatisent trop les malheurs qui se font connaître après. Des instants trop privilégiés pour qu'on n'y repense pas avec douleur, après, quand ils n'existent plus.
Les mains dans les poches, Zakuro observe la nuit tomber sur le petit quartier traditionnel de la ville. Il ferme à moitié les yeux, comme pour mieux se perdre dans cette mélancolie qui coule sur son visage à l'instar du vent du soir. Il entend résonner dans sa mémoire le morceau de piano qui naissait sous les doigts de Lawrence. Cela remontait à ses vingt ans.
En sortant de sa chambre, il a été surpris de ressentir les vibrations d'un instrument qu'il ne savait pas exister ici. Remontant doucement le chemin jusqu'à Lawrence, il découvre celui-ci, le dos tourné, qui fait jouer ses doigts sur un clavier d'ivoire. Zakuro admire, sans pouvoir vraiment faire autre chose que cela, impressionné. Les doigts de Lawrence, qu'il a toujours su doués pour effectuer ces tâches qui relèvent de la perfection, de la beauté sociale, morale, intelligible, trouent la dimension de fausseté de son parure éclatante, pour laisser reposer des sentiments qui s'ignorent, et dans l'ambiance de la musique, on devine une absence qui broie le cœur du musicien. Comme un torchon essoré, ça suinte, et Zakuro ne sait plus vraiment, pour le coup, s'il doit s'éloigner ou pas. Le morceau se termine, et en faisant un choix, Zakuro vient déposer le bout de ses doigts sur l'épaule de Swan. Il est maladroit. Mais il tient à Swan, à ses crêpes, à ses sourires Colgate lorsque celui-ci parle aux filles, aux engueulades par rapport à qui doit sortir le chien et nettoyer la vaisselle, au ship qu'il fait lui-même entre Kohaku et Swan, parce que ces deux-là ont une relation qui, dans l'intimité de leur amitié, s'admire, se contemple. Il tient à Swan, à ce côté trop solaire qu'il a. A son envie, parfois, de lui faire des tresses, et quand ils sont tous sur le canapé, et qu'il est proche de lui, devant la télévision qu'ils ne regardent de toutes façons pas, à ces tresses qu'il lui fait vraiment, et ces regards faussement exaspérés que Lawrence a parfois. Il tient à cette voix mi-autoritaire, mi-moqueuse qu'a Lawrence, en particulier quand Zakuro tire Kohaku jusqu'à sa chambre, et que cette voix résonne lorsque la porte se referme : « Ne faites pas trop de bruit. »
Zakuro se détourne. Les ombres s'allongent sur le quartier.
C'est Swan qui l'a appelé, ce jour-là. Zakuro ne se souvient plus exactement des mots que l'autre a utilisé pour le dire. Il se souvient surtout des pleurs, de ces sanglots trop violents, trop vrais, trop meurtriers, de l'autre côté du fil, qui attestaient d'une vérité ignoble, comme des bourreaux venus massacrer sa raison, en l'enfonçant sous les flots des larmes de Swan. Oui, ce jour là, c'est Swan qui l'a prévenu. C'est Swan qui lui a dit, avec ses pleurs, avec son âme, et Zakuro se souvient de la sensation de tremblement du combiné dans sa main. Il se souvient avoir posé son épaule contre le mur, pour ne pas tomber. Il se souvient avoir murmuré. C'est tout. Il a raccroché.
Immobile, de dos face au soleil qui se couche, il observe son ombre s'étirer, se noyer aux ténèbres qui naissent.
Il se souvient et ne veut pas se souvenir. Le combiné, il l'a reposé avec douceur, comme par souci de ne pas le brusquer, avec l'égard que l'on accorderait aux objets fragiles. Son épaule a tremblé, puis son corps tout entier, et il a voulu poser son crâne contre le mur. A la place, ses genoux se sont dérobés, et il est tombé. Doucement, dans une chute lente, où ses ligaments se sont tordus. Il a posé la main sur le cœur, comme pour essayer, dans un effort futile, d'empêcher la sensation de vide de naître. Effort un peu risible, un peu pathétique, parce que le monde venait de s'effondrer sous ses pieds. Le côté de sa tête a heurté le mur, et il est resté prostré dans cette position un certain temps, sans bouger. Et puis, finalement, son regard est tombé sur ses ongles trop rongés, et la première sensation fut celle de l'inutilité. De la futilité. L'existence se révélait sans sens. Plus besoin de se mentir ; tout cela n'avait plus de but, et la vérité n'existait plus. Des voiles déchirés dans son esprit, rendant palpitant le rythme de son cœur. Il se souvient avoir relevé les yeux, en regardant le combiné, presque avec stupéfaction, les yeux écarquillés, les prunelles étrécies. Une question était née sur le rebord de ses lèvres, mais avant qu'il ne puisse la formuler, son esprit s'était ouvert sur un constat. Joshua était mort. Il était là, contre ce mur, tétanisé. Qu'est-ce qu'il aurait fallu faire ? Comment est-ce qu'il aurait fallu réagir ? Où était le mode d'emploi, où était la logique, la raison, ces grandes sensations, où était ses fondations ? Il n'a pas trouvé la réponse à ces questions. Alors il s'est laissé glisser en avant, dans une curieuse position. Le genre de position que l'on prend quand on choisit la perdition.
(…)
Il y a des journées trop ennuyantes pour n'être autre chose que décevantes. Des journées où il ne se passe rien, et il n'y a pour contemplation que le monde dans lequel on ne cherche pas à s'inscrire, à interagir. Les mains posées l'une sur l'autre, il étudie d'un œil circonspect la variation des choses. Assis sur le rebord du vide, dans un « to the edge of everything » sans couleurs, la ville qui se déploie sous ses semelles ressemble à un animal vu de dos. Zakuro plisse les yeux, en se concentrant sur les points que forment les voitures au bout du vide, observant les traits qu'elles forment, en se déplaçant d'un point à un autre. Parfois, il les perd des yeux, et en cherche d'autres, pour réitérer son jeu. Cela se répète depuis un quart d'heure, et il n'a pas bougé. Un corbeau vient se poser sur la barre de métal sur laquelle il s'est assis. L'oiseau, sans crainte, a placé une distance qui n'équivaut même pas à un mètre. Zakuro tourne ses yeux vers lui, et croise son regard sombre, miroitant, lequel réfléchit en minuscule son portrait, déformé. Il a un vague sourire.
« Yo. »
L'oiseau penche sa tête, intrigué par le son, ses épaules élargies comme en une attitude prête à réagir à la moindre menace. Zakuro lui sourit plus franchement, du coup. L'animal se détend, et fait cliqueter ses serres sur la barre de métal, avant de poser à son tour son regard sur le vide qui leur fait face. Le toit du building est vide, et personne ne viendra les déranger. Un coup de vent ébouriffe les cheveux de l'homme, les plumes de l'oiseau. C'est le même noir, c'est le même regard. Un regard qui n'a rien d'intéressé. Un regard qui regarde, sans chercher à comprendre. La ville s'étale.
« Ne souriez pas. »
Le vent murmure. C'est une pensée.
Souvenir 784 HG.
« Ne souriez pas. »
L'homme est gris, et Zakuro a presque envie de le frapper, pour le coup. Mais l'homme s'est blessé, à trop serrer du verre entre ses doigts. Zakuro ne répond pas, et s'applique à dérouler un bandage autour de la main à la paume coupée, pour limiter l'effusion de sang. Vous êtes un idiot, Valentine, à rester dans ma mémoire en particulier pour cette phrase. Ne souriez pas. C'est l'impératif le plus étrange que l'on m'ait jamais donné, songe t-il. Et il n'obéira pas, naturellement. Mais pour l'instant, il s'occupe de la paume blessée. Quand il a fini, il se relève et pose les yeux sur le psy assis. Non, jamais il ne cessera de sourire, et encore moins si on lui ordonne le contraire.
« Yui Valentine. »
Contre quoi troqueriez-vous un merci de passage ?
Contre un sourire. Justement. L'adolescent qu'il était avait explosé de rire.
Plus maintenant.
Il relève le visage, et le corbeau pousse un cri long, sombre. Lui respire. Il respire un vent qu'il veut sentir glisser contre tout son corps. Pour cela il y a une possibilité, et le corbeau est un spectateur de choix. Il n'y songe pas vraiment, pour autant. Le vide en dessous ne l'appelle pas, et son cœur bat encore trop puissamment pour qu'il s'imagine plonger.
Zakuro enjambe la barre de métal, de l'autre côté. Retour à la matérialité.
Retour à la fragilité humaine. Il n'a pas franchi douze mètres, sa main se tendant vers la poignée de la porte de sécurité qui conduit à l'intérieur du building que son souffle se tarit. Il ouvre les yeux, stupéfait, mais son corps le lâche. Encore.
(…)
Des successions de chocs mentaux. Et de couleurs. Et de surfaces. Il inspire. Sa poitrine se soulève en un déploiement certain de sa chair qui s'étire, et il porte la main à la mâchoire. Des rires d'enfants dans la caverne apitoient sur lui une faiblesse humaine qu'il ne veut pas entendre. Il rejette ses cheveux en arrière, et c'est un défi au défi. Ses doigts s'ouvrent, et quand les ténèbres attaquent, il se sent prêt à se plonger dans une offensive qu'il n'a jamais essayé. Au delà de la force physique qui ne se recherche et ne s'explore que de l'autre côté, il sait ici l'importance de la non-considération de ces capacités que l'on requiert ailleurs, -pas ici-. Pourtant, pourtant, dans cette apparition au milieu de la caverne de son esprit, il fait face, brusquement, à ce camion qui jaillit de nulle part, et qui lui fonce dessus. Monstre à la gueule béante, les moteurs qui hurlent, comme hurlent la gomme des pneus qui ne s'arrêtent pas de tourner, et qui glissent, glissent sur un bitume qui se fait la piste d'un jeu dont Zakuro est le strike.
Il inspire. Son dos n'aime pas ça. Et la scène se répéterait presque.
Pourtant. Le camion explose en fumée. Décomposition structurée de cette pensée qu'il ne craint plus, et qu'il défonce maintenant à coup de poing, en s'équilibrant sur la pointe de ses pieds dans des réalités alternatives de la métaphysique maîtrisée. Il a les yeux plissés, dans une fouille martiale, une recherche de la suite, une suite qui n'a pas lieu. La fumée se dissipe, son bras tendu, son corps plié, et il ramène doucement le coude jusqu'à son flanc. Le coup de poing dans du vide, dans du vent, mais il sait qu'on ne peut pas considérer cela comme futile. Il n'éprouve plus de peur, -non-, face aux camions. Alors pourquoi est-ce que son esprit le teste comme cela ? Il expire. La douleur remonte, trace son chemin le long du rachis, diffusant des boucles de chaleur dans le thorax. Il se sent gigantesque, et le monde appuie ce constat. Il recule, d'un pas, appuie son dos contre un rocher, et dépose son crâne contre le minéral. Il voudrait se fondre au lieu, pour mieux éprouver la condensation de son esprit. Il ne sait pas où est la sortie. Le sifflement est minime, mais dans le silence d'une introspection, est décelable comme un boulet de canon qui chute. Il se jette sur le côté, plongeant sur la pierre humide, et le rocher explose. Une pluie de gravier, son corps qui roule, qui bondit, amas de nerfs excités. Des palpitations, son cœur en émoi, la considération des gravas, et ses prunelles étrécies, Zakuro juge. Le silence revient, comme un animal habitué à se coucher à sa place sur l'ordre de son maitre, mais pour le coup, il n'est qu'éphémère, et Zakuro le scrute, en patientant les secondes avant sa brisure. La brèche de son esprit est elle même placée sous la loupe de son attention : à quel moment se réveillera t-il ? Des doigts caressent sa peau, empêchant la durée de ses réflexions. Il s'esquive sur le côté, tandis que la main invisible cherche à tâtons son corps offert, durant une seconde de vulnérabilité. Un chuintement métallique lui fait plier les rotules, dans une position qui s'apparente au chat prêt à acrobatiser ses mouvements pour esquiver les attaques. Un chat d'une centaine de kilos, aux cheveux noirs et défaits, le bout de ses ongles contre la surface du sol. Il calcule, les mouvements de son opposant se devinant dans le noir. Les secondes qui glissent, en se fracassant les unes contre les autres, et puis Zakuro jaillit. Comme un clown qui sort de sa boîte, dans un mouvement désarticulé, soudain, il surprend l'ombre. Prédateurs qui s'affrontent, Zakuro frappe en premier, et ses phalanges se ruinent sur une surface de pierre. Un coup le cueille au ventre, et l'envoie rouler, il est bousculé.
« Tellement, pitoyablement, humain. »
Un sourire, surpris, s'échappe de sa conscience pour s'emparer de ses lèvres, et Zakuro se relève, les prunelles exaltées par un souvenir mort.
« … Je t'en prie, pas maintenant. »
Il s'adresse plus à sa tête qu'à autre chose, la voix ayant résonné sous ses tempes. Un regard furieux, des yeux noirs qui tourbillonnent dans sa tête, et il le chasse de la pensée.
« Pas maintenant, Kohaku. »
Est-ce que vous avez déjà essayé de recouvrir le ciel avec des pierres ?
Au second mouvement, Zakuro envoie l'autre rouler à terre. C'est une chose, ni humaine ni réelle, ni présente, ni existante. Un simple orgueil de son inconscient. Il se dirige jusqu'à lui, jusqu'au dessus, pour le surplomber, et il le voit, maintenant, ce golem qui a presque voulu lui faire peur. Zakuro murmure.
« Disparais. »
Et comme le camion, la chose obéit. Zakuro se relève. Zakuro se réveille. Et il a dans la main, la poignée de la porte. Derrière lui, le corbeau s'envole.
Explique moi ce souvenir. Il est certain que c'est un rêve, mais d'une voix calme, il explique. Le 31 décembre, dans la nuit du premier janvier, il s'est fait renverser en moto par un camion, lequel lui a roulé dessus. Thémis semble sourire, Zakuro est pensif.
(…)
« Tu as changé. »
Les lunettes sont sévères, à l'instar du regard qu'elles couvrent. Le bureau l'est aussi, dans son apparence sobre, avec ses meubles droits aux dipositions alignés. Zakuro balaie le sol du revers de sa semelle, sans chercher la confrontation visuelle avec la femme qui a refermé la porte à son entrée. Elle le fixe, et il songe à cet écart entre eux deux, qu'autrefois, un regard aurait suffit à tuer. Chûripu s'approche lentement, contourne le siège, et se plante face à lui. L'écart reste pourtant présent, beaucoup trop lourd, et Zakuro relève les yeux. C'est inhabituel, pour lui, et au travers des verres, les yeux sombres de Momo l'observent, comme pour deviner ses pensées.
« Pourquoi est-ce que tu reviens ? »
C'est un conflit intérieur, qui se cloisonnent entre les murs d'un bureau. Le monde adulte est établi, et il ressemble à une bulle d'eau venue noyer son cerveau. Zakuro voudrait répondre qu'il avait besoin de respirer, mais l'unique accès qu'il a face à lui, désormais, c'est l'apnée. Il ne répond pas.
« Comment crois-tu que cela aurait pu marcher ? »
Dans le passé, elle aurait relevé ses lunettes, pour les mettre sur son crâne. Cette vision d'elle, immortelle, qu'il a dans l'esprit, il sait que cela ne peut pas se réaliser, parce que les choses ne peuvent plus changer. Il le sait, et pourtant il s'accroche à la folie d'un espoir qui ne naît que pour soulager les douleurs de l'absence et du vide. Il ne répond toujours pas, alors elle s'en charge, en prenant soin de le faire souffrir comme lui l'a fait souffrir, par son silence.
« Pendant trois ans, j'ai essayé de te joindre, de toutes les manières. Trois ans, et tu n'as jamais répondu. Je ne veux pas savoir pourquoi, ça ne m'intéresse plus. Je ne sais pas ce que tu es devenu. Je considère simplement ce que tu m'exposes, cet homme différent, qui a changé, et que tu es. Ce n'est ni un regret, ni une critique. C'est un constat. Il n'y a pas besoin de subjectivité. Alors maintenant, explique moi, Zakuro Fea, ce que tu fais-là, pourquoi tu viens me déranger alors que tu n'as plus besoin d'exister pour moi, et surtout, rassure moi en me prévenant que tu ne resteras pas très longtemps. »
Elle se penche, et vient poser sa main sur sa joue, en rapprochant son visage du sien.
« Parce que je ne veux surtout pas paraître désagréable, mais tu devrais foutre le camps le plus vite possible avant que j'appelle la sécurité. »
C'est vrai qu'il est entré par la fenêtre. Elle a fermé la porte de son bureau pour qu'on ne le voie pas. C'est encore appréciable de sa part. Il sourit, elle recule. Leurs doigts s'effleurent.
« Tu m'as manqué. » « Ce n'est pas réciproque ... »
Elle semble se débattre entre des sentiments contradictoires, et c'est la fureur d'être indécise et de ne pas savoir assurer ses positions qui l'énerve. Il sourit tendrement. Si elle savait quelle tempête se joue sous sa propre tête, lui aussi. Elle voudrait lui cracher au visage, il voudrait simplement se laisser aller.
« J'avais envie de te voir ... »
C'est une demie vérité. Elle le sait, mais l'idée d'appeler la sécurité a maintenant été recalée à l'idée d'option, et plus de nécessité. Elle soupire.
« Viens. Tu vas me raconter ça. »
(…)
Le café est un lieu plus agréable. Assis sur une moquette de cuir, Momo l'observe, et elle essaie de se figurer ces cinq années écoulées. Les siennes, à lui. Elle essaie d'imaginer à quoi a pu ressembler la vie pour que le bleu de ses yeux se soient éteints ainsi. Elle essaie d'imaginer pourquoi il a considérablement maigri. Elle essaie aussi d'imaginer pourquoi il ne dégage rien de plus qu'une aura froide, comme une étoile qui gèle.
« Tu as changé. »
Elle le lui a déjà dit, et il en sourit. Lui a préféré remarquer qu'ils portent tous les deux une tresse. Longue pour lui, qui suit les courbes sinueuses de son rachis, tandis qu'elle, elle la porte courte, effleurant à peinte la pointe de son sein. Il oriente sa tête sur le côté, dans la métaphore facile du pantin au fil cassé, et sa joue vient reposer dans sa paume, tandis qu'il plisse les yeux. Sa voix est neutre.
« Toi aussi, je suppose. »
Elle a vieillie, comme lui. Ils sont à l'aube de la trentaine, elle dans un an, lui dans deux. C'est un nombre qui l'effraie un peu, et elle caresse l'anse de la tasse de café que l'on a disposé devant elle.
« C'est différent. Et il n'y a pas besoin de s'éterniser sur le fait que j'ai pris du poids ou non. Ce n'est pas important. Je voulais que tu répondes à mes questions, en t'invitant ici. C'est un endroit préférable pour la conversation, mais ... »
Elle croise son regard, et cherche à le retenir.
« J'ai l'impression que tu ne parles même plus vraiment de la même façon. »
Elle le fixe, un moment, puis comme il ne répond pas, et comme elle s'y attendait un peu, elle sort de sa poche un paquet de cigarette, et en choisit une du bout des doigts, pour la glisser entre ses lèvres, et avec un petit briquet en métal, l'allumer.
« Comment va Senta ? » « Senta est mort. »
Un silence.
« Comment va Kojiro ? » « Kojiro est mort. »
Un second. Cette fois plus troublé.
« Comment va Kohaku ? » « Joshua est mort. »
Elle le fixe, outrée, et la fumée de la cigarette s'élève au dessus de leur tête, comme une manifestation caricaturale de l'expression de Momo.
« Qu'est-ce que tu racontes ... »
Ce n'est même pas une question, quoique ça en est l'intonation muette. Il relève doucement le coin de ses lèvres, pour sourire.
« Senta en premier, dans un accident de voiture, stupide, bourré. Rien de plus à raconter. Kojiro, il n'y a pas d'explication. On n'a pas retrouvé le corps, mais la police a trouvé chez lui du sang en grande quantité, des impacts de balles dans les murs, et des meubles renversés. Il s'est frotté à quelque chose de dangereux, et ça l'a tué. Kohaku ... »
Il inspire, brusquement, son souffle s'étant coupé dans sa poitrine. Il expire, plus doucement, pour relâcher la tension de son corps.
« Kohaku est mort. C'est tout. »
Il n'y a rien à rajouter. Même avec le temps, ça ne passe pas. Surtout avec le temps. Zakuro, pour le coup, à envie de fermer les bras pour cacher son visage dedans, et de rester prostré. La seule guérison qu'offre le temps, c'est la durabilité de la position debout. Il y a des choses, pourtant. Il n'y a pas que sa vie. Il y a celle de Momo, il y a toutes les autres autour. Il imagine quelle sorte d'existence il aurait eu s'il n'avait pas connu Kojiro, ou Senta. Il sait que les « si » sont des possibilités qu'il réfute, lorsque cela le concerne, et en découle immédiatement la sensation de savoir accepter la douleur, à défaut de la dompter. Ce n'est pas grave, diraient certains. C'est la vie, c'est comme ça. A ces certains, Zakuro est sûr de ne pas s'identifier. Il ne peut plus regarder le ciel sans avoir mal à la poitrine. Mais c'est comme ça. Il ne peut plus rien faire, parce que le monde s'est écroulé. Il n'y a plus d'Immatérialité. Il n'y a plus que la fragilité des choses, des corps et des esprits.
De la cendre tombe dans le café. Et Momo pleure. Zakuro rit.
« Allons. Ne fais pas cette tête. J'ai l'impression d'être venu pour me plaindre, c'est embarrassant. »
Elle renifle, hoquète, les larmes ne se tarissent pas, et Zakuro, gêné, rit, contourne la table, et la serre dans ses bras. Autour d'eux, les rares clients du café les regardent d'un air désapointé, et Zakuro se met à rire encore un peu plus.
« Ne pleure pas, Momo, tu vas faire couler ton maquillage. Et tout le monde nous regarde. »
Et il rit, et elle pleure.
(…)
Il y a des centaines de chiffres et de numéros pour ces souvenirs là. Dans la solitude de ses propres instants, il se laisse dériver, et sans chercher à penser à rien, en se laissant voguer, comme un petit bateau de papier sur une mer déchaînée, il se rappelle la première et la dernière nuit avec lui, et toutes celles qu'il y a entre celles-ci. Comment l'océan, dans ces moments-là, peut l'emmener loin des rivages de la raison. Comment l'océan, dans ces moments-là, revêt à la fois des dimensions de folie, mais aussi d'immersion en des univers jamais assez explorés. Son corps grand, fort, musclé, est ballotté par cet océan, et petit bateau de papier, il se laisser immerger complètement, jusqu'à n'en plus respirer. Le souffle court, c'est souvent quand les préliminaires sont passées qu'il soulève sa conscience pour s'imposer un marchandage avec sa mémoire. Souviens-toi de ça, tandis que j'offre mon corps en patûre au plaisir insatiable. Les doigts glissent contre sa peau, en l'étirant, et il se veut étiré, tandis que Joshua mord, c'est son cœur qui se broie. Des instants d'intemporalité, où les secondes existent, mais ne définissent rien de plus que la vérité. Il n'y a pas de temps qui passe, il n'y a pas d'écoulement, de réflexions sur l'achèvement. Des instants d'immatérialité, où les corps ne se terminent plus en des limites de chair et de sang, et l'esprit se mêle à la chaleur, et la voix à la respiration ; Zakuro griffe, tandis que Joshua l'enfonce au moins six pieds sous terre. Mais il ne meurt pas, même s'il le ronronne à mi-voix, les ongles québécois soulevant ses clavicules. De la sueur, comme une offrande cynique à des dieux qui n'existent pas, et qui, dans le froissement des draps, sont totalement éradiqués de son esprit, remplacés par le visage qu'il vient chercher entre ses mains, pour l'embrasser.
Quand arrive le calme des corps détendus, il arrive que Zakuro ait eu la possibilité de se glisser entre les bras de Joshua. Malgré la différence de taille, de poids, malgré les muscles qui hurlent leur excitation sanguine, il se love contre la poitrine mince de Kohaku, et se recouvre de cette sensation d'être protégé, isolé dans une bulle. Et il voudrait que ces instants ne se terminent jamais, il voudrait que l'on ne lui impose pas de se souvenir d'une réalité chiffrée qui s'écoule de un à soixante.
« C'est … »
Il choisit ses mots, ses doigts pouvant glisser sur la peau de Kohaku, dans une étude sophistiquée, aux métaphores de soie et de velours.
« … confortable. »
C'est un mot qu'il attribue au corps de l'autre. Au sien, celui de Joshua. Un mot aux couleurs pastels, assez douces pour se fondre sur ses paupières, et être en mesure d'alourdir sa conscience, pour le laisser s'endormir sur le simple constat d'exister entre les bras de Joshua.
Et puis les souvenirs s'enchaînent.
Retourne toi.
Sa tête est sciée en deux, et il est écroulé, tombé au sol dans un fracas sourd, au milieu des débris de poussière. Colosse cassé, la violence effrénée, Zakuro voudrait hurler, mais la souffrance qui jaillit se traduit par des balbutiements atones qui échappent en bullant hors de ses lèvres asséchées. La douleur et la souffrance font bon ménage, fausses jumelles qui s'amusent à placarder sa poitrine et tout le reste de son corps par des tapisseries de passions déchirées. Il ne parvient plus à supporter, et c'est son esprit qui lâche. Tant pis pour cette expérimentation sur les rayonnements gamma, et pour ce collègue astrophysicien qui se précipite sur lui, et qui appelle au secours devant l'intempestivité de la crise. Tant pis pour l'impression de voir au travers de rideau de sang, alors que ce sont ses yeux qui le trompent. Tant pis pour tout, pour le monde qui va mal, pour le Ciel qui s'étrangle, la collision de ses sentiments est fortuite, le choc incomparable. Il l'admirerait presque.
Quand le samu arrive, il a retrouvé sa respiration, et détaché, décalé de la réalité, d'une expression dubitative, il contemple le plafond. On le conduira à l'hôpital, par mesure de sécurité. Des études ont prouvées qu'un enfant né de parents asthmatiques a de fortes chances, s'il ne naît pas lui même avec l'asthme, d'éprouver tout du long de sa vie des difficultés respiratoires, lesquelles s'agraveront au fil des années. Zakuro s'engage sur ce fil-là. Et ses poumons avec.
(…)
Il a la sensation d'avoir oublié quelque chose derrière lui, depuis bien trop longtemps. Mais le temps se gonfle et se déforme, et il sent entraîné dans une spirale qu'il ne maîtrise plus. Lundi, réunion, mardi, salon, mercredi, jeudi, puis vendredi, exposition. C'est à New-York, et s'il compte, il sera à presque deux mois d'intervalle par rapport à son anniversaire qui approche. Vingt neuf ans, bientôt, il craint un peu la passation de cette date. L'idée de vieillir socialement l'angoisse, car il n'y a plus la personne dont les mots « Joyeux anniversaire » l'amusaient vraiment.
Un mécanisme, enfoui au fond de lui, a commencé à engrener ses rouages. Un compte à rebours commence, maintenant que la machinerie est huilée. Les souvenirs se dévorent.
Et sa vie se consume.
Et comment es-tu mort ?
En tombant. En tombant du haut du toit, ce vendredi-là, en voulant aller vérifier que le Soleil était bien accroché. Il a fallu que les éléments s'agencent pour une tragédie New-Yorkaise dont il ne sera, heureusement, que l'unique victime. Un tremblement de terre, un batiment vieilli depuis le temps, et le plafond s'est écroulé. Zakuro s'est senti emporté, mais de lui-même, il avouera avoir sauté, par choix, par provocation, par ennui. Le monde a t-il besoin du ciel si le ciel tombe à la renverse ? Les astres, les corps célestes, la poussières et le plâtre l'ont accompagnés dans cet envol à l'envers, et quand son corps s'est écrasé, ça n'est pas sur le sol, mais sur les pitons de maintenance des infrastructures du plafond. Des bout de fer redressés vers le haut, qui ont poinçonné sa peau, découpé sa chair. Il s'est fait empaler sur une dizaine de soudure en érection pour les nues dévoilées. L'idée l'a fait sourire. A se vider de son sang, il en a oublié de mourir sur le coup. Il faudra qu'un des pompiers lui tienne la main pour qu'il cesse finalement de respirer complètement.
Voilà mon parcours, pourra t-il dire. C'est ce qu'il veut croire, c'est ce qu'il veut conserver, car en se retournant, il a la possibilité de considérer qu'il a existé. C'est le terreau de son identité, mais il ne se rend pas compte que c'est aussi là où on l'enterre. Car Thémis choisit cette capacité qu'il a à se retourner, son étymologie propre en venant à dériver. Elle pose sur sa poitrine une main que le sang ne saurait tâcher, et les chairs se reconstituent en un effacement des obstacles affrontés. Elle lui retire son respect, elle lui rend une apparence correcte, mais lui arrache sa dévotion. La dernière chose qu'il n'a pas pu offrir à Kohaku, la dernière chose qu'il tenait conservé en lui, comme un habitus établi depuis sa naissance. Sans respect, Zakuro ne se retourne plus.
Ebène
coeur souillé de noirceur
MESSAGES ▲ : 534 DATE D'INSCRIPTION ▲ : 16/05/2014 AVATAR ▲ : tyki mikk DIT ▲ : luccio, ébénito FICHE RS ▲ : due; tre
Sujet: Re: Dénudez ce garçon, peignez-le en bleu.| Zakuro Sam 23 Mai - 12:11
BIENVENUE SUR LIBRA ••
Ca y est, te voilà validé et prêt à parcourir les grandes plaines de Libra. Tu as désormais accès à l'ensemble du forum et est libre de rp avec le reste des âmes !
N'oublie cependant pas d'aller jeter un coup d'oeil aux bottins pour faire recenser ton personnage notamment.
Et surtout, amuse-toi bien et puisse ton voyage durer ! ♥
Au début, j'étais intimidée par cette présentation de trois posts, la plus longue du forum à ce jour (si j'ai bonne mémoire). Puis j'ai commencé à lire, et il s'avère que ces trois posts sont nécessaires pour bien camper la profondeur de Zakuro, maintenant, j'ai un peu l'impression de le connaitre, comme une identité totalement indépendante de sa joueuse. Enfin bref, comme nous en avons discuté sur la box pendant un petit moment, je ne vais pas te faire attendre plus longtemps, je te valide avec plaisir, bon jeu à toi ! :)
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Sujet: Re: Dénudez ce garçon, peignez-le en bleu.| Zakuro
Dénudez ce garçon, peignez-le en bleu.| Zakuro
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