Tu ne sais pas. Tu ne voulais pas savoir. Mais lorsque tu es arrivé sur Libra, Bis, ton corps était lourd et tu étais pourtant sûr d’avoir franchi les portes de l’enfer. Un petit minois t’observait, tout un être illuminé par l’astre solaire qui affaiblissait tes lourdes paupières. L’herbe y était verte et le ciel parfaitement bleu ; c’était trop beau pour être l’enfer. Puis il y avait cette douleur traversant tes muscles et ce tourbillon de confusion et de souvenirs dans lequel se prenait ta tête. Tu voulais refermer les yeux pour te laisser noyer dans ce tourbillon et abandonner tes maux. Tu voulais lever le bras et attraper l’un de ces souvenirs vagabondant dans ton esprit, celui d’une femme à la chevelure un peu trop longue et à la voix un peu trop douce. Ceux d’une balance et d’un sommeil que tu pensais éternel. De paroles ni rassurantes ni mauvaises, du juste.

Bis, tu étais le numéro vingt. Bis. Tu étais Kanna Iwaizumi. Kanna était le vingtième être monté à la tête du clan. C’était, et demeure toujours une guerre inconnue du monde, quelque part dans le Pacifique entre des Etats Asiatiques. Le Japon y était convié par la présence d’un îlot colossal, jamais cartographié, dont tu avais la gouvernance. On avait remis d’actualité le terme de ‘samouraïs’ pour vous définir, et Kanna se plaisait à ce rôle. Le bruit de la dégaine de son sabre et des prières de son adversaire le faisait jubiler. Il était là pour la violence, il ne faisait que sonner les cloches de la guerre et exécuter l’immoralité qu’on lui avait inculquée.

Jamais à l’abri d’une bombe sous ses pieds, d’un kamikaze ennemi ou d’une trahison qui mettrait fin à tout ce qu’il a construit durant son existence, Kanna n’avait jamais pensé à la mort. Il se riait du massacre quotidien qu’il faisait de ses propres mains, des corps qu’il dénudait de leur vie d’un unique coup pourtant fatal. Et puis ça lui est arrivé, et il s'est décidé à faire marcher sa matière grise pendant le peu de temps qu'il lui restait. Lors de sa minute d’agonie, il s’etait recroquevillé sur son cadavre en devenir  et demandé si sa vie avait vraiment eu bon d’être. Quel homme serait-il devenu s’il n’était pas né avec un sabre entre les mains. Thémis lui a alors répondu avec un tribut qui l’éloignerait de toute violence.

Bis, le vingtième, est apparu. Même ton corps était trop lourd pour que tu le soulèves, tes lèvres étaient trop faibles pour s’ouvrir, pourtant ta respiration saccadée t’as mis la puce à l’oreille. T’es en vie, Bis. Vivant, de nouveau. Ressentant pourtant un manque dans ton quotidien, tu t’es éclipsé au rôle de gouverneur d’une charmante ville, Eraclae. Cette sensation d’être à un haut point et d’exercer un pouvoir sur une population t’est pourtant familière. Tu aimes l’ordre, l’unité, le respect de ta frêle personne. On ne prononce pas le nom de la violence entre les murs de ta ville, la pratique en est punie. Tout se règle avec les mots et la morale, parce que peut-être que tu es jaloux de la force des autres, du fait qu’ils ne s’écroulent pas après avoir tourné trois fois sur eux-mêmes. Peut-être que tu sais que ce tribut t’as été donné parce que tu abusais de cette force. Mais tu es vivant, de nouveau.