And I will hide behind my pride
Don't know why I think I can lie

Castor était alerte. Alerte et protégé. Caché derrière la cime d'un arbre tel un ninja en mission, zieutant les horizons à chaque bruit suspect, dévisageant chaque être vivant croisé, humain, vagabond, animal, insecte, plante. Notez que pour ce dernier, au vu dans l'endroit où il se trouvait, cela demandait extrêmement de temps et de précaution. Et de stupidité également, mais sur ce dernier point, il en avait à revendre. Il fouilla chaque touffe susceptible d'abriter un être humain, rampa entre les narcisses et les pâquerettes, faisant émerger sa tête du tapis fleuri de temps à autre comme la lunette d'un sous-marin pour vérifier à droite et à gauche avant de replonger dans son chemin de sureté, et par moments, se mit à dévisager chaque papillon pour vérifier si il ne l'avait pas encore dans sa collection. Euh. Attendez. La dernière proposition subordonnée n'a rien à voir avec le reste. Comme quoi il perdait rapidement ses objectifs de vue dès qu'il s'agissait de ces petites bestioles. Ou juste en général en fait.

Angélique avait ses périodes. Non pas ses règles, ses périodes de harcèlement. Ou du moins de ce que Castor considérait comme du harcèlement de son point de vue subjectif et limité. Angélique passait beaucoup de temps à se plaindre chez Castor, c'était un fait. Mais il ne faut pas croire qu'elle venait pleurnicher jour et nuit tout le temps de façon uniforme. La Angélique dans son comportement naturel ne venait que trois ou quatre fois par semaine. Ce qui était épuisant, ennuyeux et une véritable torture. Mais il y avait ces périodes, un peu comme la saison des amours, ou la Angélique avait le cœur particulièrement brisé -enfin plus que d'habitude- ou était d'une joie immense et pleine d'amour à distribuer et augmentait graduellement sa fréquence de visite, sa fréquence sonore et sa fréquence d'insupportabilité. Qu'est-ce qu'une fréquence d'insupportabilité ? Personne ne sait. Qu'est-ce que l'insupportabilité ? On ne sait pas vraiment non plus mais une chose est sûre, c'est insupportable. Ange était insupportable. A la vue -grosses larmes, pleine de morve et absence notable de vêtements ce qui, étrangement n'était pas plaisant quand il s'agissait d'elle- à l'ouïe -jérémiades sans fin et surnoms ridiculement mignons, bla bla inutile de gonzesse- au toucher -trop de câlins beaucoup trop de câlins- et à l'odorat -non en fait l'odorat ça va elle sentait plutôt bon. Commandez votre Angélique de poche et éveillez vos cinq sens en envoyant BOOBS au 3781, BOOBS au 3781.

Après toutes ces...Euh. Années ? Mois ? Millénaires ? Bref, après tout ce temps à avoir dû subir Ange, Castor avait développé une sorte de sixième sens pour prédire si Angélique venait d'entrer dans une de ces périodes de câlinage intensif. Parce que non, Castor n'aimait pas les câlins. A la rigueur les câlins sans t-shirt ou les câlins de Svana ou les câlins de Svana sans t-shirt, bien que ces derniers lui fassent un peu peur pour certaines raisons. Mais pas les câlins d'Angélique. Surtout pas. Alors il avait fui, confié sa boutique à ses employés, et était parti sans donner à personne la destination ou il allait. Et cette petite randonnée jusqu'à Canaan s'apparentait pour Castor à une véritable odyssée où il avait cru mourir d'épuisement plusieurs fois. Vous vous rendez pas compte, il habitait au Nord de Libra lui, ne serait-ce que traverser la ville c'était le bout du monde.

Là-bas, il devrait être en sécurité. Sûrement. Il y resterai quelques jours jusqu'à ce que son sixième sens s'apaise et que Libra redevienne une ville sans danger. En attendant il n'aurait qu'à crécher chez une connaissance à Canaan. Par exemple chez...Euh...Attendez. Mais si à Canaan il y avait... Ah non en fait.
...
...
...
Castor pleura intérieurement quelques secondes sur son manque de contacts et continua son périple, prudemment. Bien qu'il devrait déjà être considéré comme loin et hors de portée il ne pouvait s'empêcher d'avoir un mauvais pressentiment. Son radar à Angélique semblait s'affoler. Mais non c'était impossible, elle ne pouvait pas être là. Il avait fait attention à ne pas être suivi -paranoïa quand tu nous tiens. Et puis que viendrait faire une fille aussi grossière, insensible et brutale dans un magnifique champ de fleurs réservées aux personnes sensibles et poétiques. Oui, l'opinion que Castor avait sur Ange était très éloignée de la réalité parfois. Il la voyait presque comme l'opposé de ce qu'elle était. Peut-être parce qu'admettre qu'une personne qui vous exaspère à des qualités formidables serait bien trop dur à admettre.

Canaan était en vue, au loin. Il se mit debout, quelques pétales de fleurs coincés entre ses cheveux, posa les mains sur les hanches. Et se parla à lui même. Normal.

- Ça devrait être bon.

Il continua son chemin un moment, appréciant le paysage, l'esquisse d'un sourire sur les lèvres.
Quand soudain, Angélique.

- Nooooooooooooooon

Cause there's a screen on my chest
Yeah there's a screen on my chest

Alors seulement les enliser jusqu'au genou dans cette terre
Seulement les sans espoirs, pas de conci à faire

Le destin? Peut-être. Le hasard? Sûrement. La poisse? Un peu. Quand Ange lui tombait -de façon plus ou moins littérale- dessus, plus encore lorsqu'il s'agissait de moments où il essayait particulièrement de l'éviter, Castor avait l'impression d'une espèce de coïncidence inéluctable. Il pouvait courir aussi loin qu'il le pouvait, traverser la fournaise rouge, escalader les monts brumeux, se noyer au fond de la mer gardienne, quelque chose ou quelqu'un placerait toujours Angéllique et ses joues rougies par les larmes sur son chemin, comme si elle avait été greffée à son bras, sa jambe, son cœur. Comme si sa tignasse blonde et ses yeux noisettes faisaient tout simplement parti du paysage qu'il verrait aujourd'hui et à tout jamais. Visite à Eraclae? Angélique. Vacances aux plages azurées? Angélique. Canapé de son appartement? Angélique. Angélique Angélique Angélique. Le mot sonne comme une migraine, une chanson qu'on fredonne à voix basse pour s'en débarrasser. Pour être tout à fait honnête, elle n'était pas là à le harceler aussi intensément que cette narration ne le suggère et sa présence relevait davantage de la demoiselle en détresse cherchant du réconfort que de la stalkeuse démoniaque tourmentant sa proie. Angélique restait, et même lui n'aurait l'audace de le contredire sans mentir odieusement, une gentille fille. Angélique et ses câlins. Angéliques et ses manières. Angélique et ses sourires. Angélique et ses problèmes.

Et c'était surtout ce dernier point qui l'ennuyait. Angélique n'était pas une voix familière qui comblait le silence.
C'était une voix tremblante qui cherchait de l'aide.
Ange aime trop souvent.
Ange aime trop vite.
Ange aime trop.
Ange a le cœur en sucre.
Et il finit par s'effriter et fondre à chaque fois.

Castor ne voulait pas être celui qui devait recoller les morceaux à chaque fois, ou plutôt il en avait marre. Castor ne voulait pas être sa marraine bonne fée qui exauce tous ses vœux d'un goût de baguette magique. Il ne voulait pas être ce chevalier servant en armure brillante qui résoudrait les problèmes de sa dame d'un coup d'épée. Il ne voulait pas être cette constante universelle qui restera à ses côtés et illuminera sa vie d'un millier d'étoiles dès que son ciel s'éteint. Pourtant, pour Ange, il était un peu tout ça, et c'était un peu malgré lui qu'elle s'était imposée comme cette petite sœur pleurnicheuse à laquelle il faut sécher les larmes. C'était trop de responsabilité pour lui, c'était trop compliqué. Angélique t'avais pas le droit de prendre ce rôle. T'avais pas le droit d'entrer dans sa vie comme ça. T'avais pas le droit de le laisser s'attacher à toi. Et maintenant il a beau te fuir, dès qu'il t'a sous les yeux et que tu le regardes comme s'il était la solution à tout, que tu t'accroches comme s'il était le dernier pilier du monde, il a les pieds cloués au sol. Il peut pas te laisser comme ça. Et pourtant il aimerait. Il aimerait que tu disparaisses et que le poids de ton cœur brisé sur ses épaules s'envole. Tu es chiante Angélique, et tu n'as pas idée à quel point.

Il secoue son bras, tente de le libérer de cette étreinte étouffante dans un millier de jurons, et tente de reculer et de s'éloigner du chewing-gum blond collant qui s'accroche à lui comme une moule sur son rocher. Elle fait toujours ça Angélique, elle est trop tactile. Et puis elle pleure à cause d'une énième rupture, une histoire classique qui se répète toutes les semaines comme un mauvais feuilleton.

- Il, il, il, il m'a quittééééééé, Ca-ca-ca-castoooor ! Bouhouhou.

- Oh mon dieu encore.

Il sentit comme un mal de tête soudain. Les problèmes d'Angélique sont le fléau des je-m'en-foutistes qui s'en foutent vraiment. C'est une file d'attente chez le dentiste. C'est un premier rencard embarrassant. C'est l'interminable combat de Sangoku et Freezer. C'est la onzième saison des feux de l'amour. C'est long et ennuyeux et mollement routinier. C'est un problème sans fin.

- Mais arrête de me saouler avec tes histoires pitié. J'ai rien fait moi. Va  pleurer sur le mec qui t'as plaqué ça sera une bonne revanche au moins.

Il cessa de lutter. La persistance d'Angélique était sans failles. Il fallait d'abord essayer de la calmer, faute de pouvoir la consoler. Si il savait comment, il le ferait volontiers si cela pouvait en sorte qu'on lui foute la paix, mais il n'en avait aucune idée. Il n'était pas psychologue, et était un piètre ami. Il n'avait jamais compris ce qu'Angélique trouvait de réconfortant en lui. Mais les faits étaient là.

- Ok. Calme-toi tu veux. ET ARRÊTE DE PLEURER SUR MES FRINGUES NOMDEDIEU.

Il soupira un bon goût.

- Dis-moi...

Il déglutit d'effroi.

- ...Dis-moi ce qu'il s'est passé d'accord. Rapidement. En dix phrases. Et en moins de quarante minutes.

Adorer les paumés, les poisseux,
On n'aime pas les gens heureux