C’est l’histoire d’un homme. Cet homme, c’est l’homme de toutes les tragédies. Il est tous les romans dramatiques compilés en un seul. De la mort de ses proches à la tromperie jusqu’à la maladie incurable et la transplantation d’un organe d’un groupe sanguin différent, il était le souffre-douleur des divinités. Il pouvait se prendre des flèches en plein cœur, il n’a jamais arrêté d’espérer. L’espoir, c’est l’absence de maîtrise que nous avons sur lui et l’ignorance de l’avenir. Alors ce même homme, jusqu’à son dernier souffle, espérait qu’il vive paisiblement même dans l’au-delà.


Maintenant, c’est l’histoire d’un vagabond. Ce vagabond, c’est le vagabond de tous les espoirs. Il est l’optimisme et anticipations compilés en une personne. Avant même de cligner des yeux, avant même de sentir un frisson de peur, de froid et d’excitation sur sa peau nu, le chaton espère. Aujourd’hui encore il pense avoir été invoqué par une tribu de chats à cause de son apparition impromptue au milieu d’un cercle formé par ces bestioles, ses premiers compagnons. C’est dans la verdure la plus verte, dans le calme le plus naturel. Pas qu’il en ait connu d’autres, mais merde ce qu’il espère que la lumière ne s’éteigne pas, que tout ça ne soit pas le simple fruit de son imagination liée à une âme qui vagabonde quelque part dans un univers dont il n’aurait même pas conscience. En même temps que l’espoir de survivre, il ressent de la satisfaction, comme s’il a voulu ça pendant bien trop longtemps et qu’enfin on ouvra la porte de sa cage.

Lootus observe la nature se mouvoir, jour et nuit, il apprend par lui-même les fonctionnements de l’Eden et pense être le seul de son espèce sur cette terre promise. Il espère, partout dans son être il espère. Que sa pensée atteigne une divinité inconnue, que ses jambes le mènent jusqu’à la civilisation qu’il s’était inventé parce qu’il se sent seul, tellement seul avec pour seuls parents la faune et la flore. Pas des chats, pas des arbres, non. Des personnes qui se lèvent sur leurs deux jambes, comme lui et qui, comme lui, partagent ses espoirs et ses confusions.

Malgré ses nombreux rêves, il n’a jamais anticipé son arrivé à la civilisation. Il est ébouriffé, courbé sur lui-même, complètement nu et l’air perdu et pourtant rassuré sur son visage, les petites étoiles au creux de ses pupilles. Oui, parce que ses espoirs ont été accomplis, ce sentiment de rassurance l’envahit. Alors comme ça, quand j’espère, j’obtiens ? Il pense. Et c’est le début de l’absurdité de sa naissance.

On le chope de suite, on l’habille, le questionne, lui explique le pourquoi du comment qu’il ne s’était jamais demandé. T’es à Libra, t’es un vagabond, faut pas avoir peur des gens, chaton. Ton nom ?

La sensation du tissu sur sa peau est désagréable et sans même sans rendre compte, le chaton espère qu’il s’habituera à être habillé et propre. C’est naturel maintenant, d’utiliser sa naissance, je veux dire. Il force sur ses cordes vocales et essaye d’en faire sortir un son – il espère tellement que ça sorte – autre que ceux qu’il utilisait pour la semi-communication avec la faune. Son nom roule sur sa langue, comme s’il avait été gravé dessus et tout le long de sa gorge, autour de ses cordes vocales parce qu’il n’est qu’une créature sortit de nulle part, conçut de toute pièce. Je m’appelle Lootus.

Il ne s’était jamais dit son nom, et n’avait jamais aligné des mots à haute voix. Pourtant, ça sort naturellement. Il avait espéré que tout se passe bien et il en est rassuré, satisfait. Ca peut pas être si mal, cette naissance, il se dit. Parce qu’il sait maintenant ce qu’il est. Mais il est bête et confond l’espoir avec plusieurs idées comme la chance ou l’entière satisfaction.

On lui dit que c’est vachement cool comme naissance l’espoir et qu’il doit être super heureux, tout le temps, genre. Le rafleur est un sauvé, et il lui dit qu’il aimerait bien avoir du piquant dans sa vie, un tribut, ou une naissance qui définisse sa vie de A à Z. Puis Lootus se dit que ça peut pas être si mal d’être un vagabond au final. Le rafleur reprend et lui dit ça pourra jamais lui faire de mal comme certaines naissances totalement corrompues. Lootus sourit et espère que c’est vrai.

Mais peut-être que c’est l’espoir de trop, celui un peu trop orgueilleux. Le fil qui maintient sa vie en état de tranquillité est coupé. Le marionnettiste n’a aucune pitié alors il jette à Lootus déception sur déception et la seul chose que le chaton puisse faire, c’est d’espérer les choses les plus futiles. Parce qu’il doit garder espoir et qu’il n’a aucun contrôle là-dessus. Même si ce ne sont que dès les futilités telles qu’espérer que le vent ne le décoiffe pas ou qu’il se lève du bon pied au matin, il continuera puisque ce sont les seules choses qui pourront lui donner cette dose de satisfaction dont il a besoin pour ne pas couler dans le désespoir.

Puis, il y a une autre solution. Lootus en a peur, il a peur d’espérer que tout s’arrange, il n’y pense pas et essaye de s’inculquer le pessimisme. Ça lui fait presque mal, d’aller à l’encontre de sa naissance, mais qu’est-ce qu’il va lui arriver s’il espère quelque chose de trop orgueilleux, une fois encore ?