« Si tu n'es pas capable de rester avec moi toute la vie, alors ne rentre pas dans mon espace vital. »
J'entends des bruits autour de moi, et il me semble bien que je les entends pour la première fois. J'ai cette impression qui ne me quitte plus que je viens de naître et que pourtant je suis consciente de bien plus de choses que je ne pourrais imaginer. Où est-ce que je suis ? Qui suis-je d'ailleurs ?
J'ai les yeux fermés, j'ai pas envie de les ouvrir, pas encore... J'ai un peu peur de ce que je vais peut-être découvrir alors j'ai envie de ... non j'ai besoin de prendre mon temps. Je ne veux pas gâcher ce moment.
Si je me fie à mon instinct et à mes sens, je dirais que je suis allongée sur de l'herbe, et proche d'une cascade, ou d'une plage je ne sais pas. J'ai tellement envie de découvrir un ciel bleu et des petits oiseaux qui volent autour de moi que je m'angoisse moi-même.
Je ne sais même pas à quoi je ressemble. Je ne sais pas où je suis. J'ai aucune idée de ce qui m'attend et de ce que je vais pouvoir faire de ma vie future. Peut-être que je suis ici pour une raison précise, et qu'elle va m'être dévoilée dès que je vais ouvrir les yeux ?
Allez, il est temps de prendre mon courage à deux mains, je ne plus retarder l'échéance. J'ouvre doucement les yeux sur ce nouveau monde. J'ai un peu de mal, la lumière est très forte et j'ai réellement le sentiment de voir pour la première fois.
Mes yeux ont un peu de difficultés à s'habituer mais d'un coup, je ressens comme une ombre qui s'installe sur mon visage, me permettant d'y voir un peu mieux. Je place ma main au-dessus de mes yeux pour essayer de la détailler. C'est un autre moi, je veux dire, une autre personne. Il me regarde, l'air peu étonné, comme si ça ne le choquait pas de me trouver ici.
- Bonjour.
Il a l'air plutôt aimable et serein. J'ai envie de lui répondre, mais je ne connais pas ma voix, peut-être qu'elle est rocailleuse ou très laide. Tant pis, je tente ma chance.
- Bon... bonjour.
- N'aie pas peur, tout va bien se passer. Je suis là pour m'occuper de toi. Tu peux te lever ?
Me lever ? Oh oui, je suis encore allongée dans l'herbe. Je me redresse et regarde autour de moi encore un peu perdue et déboussolée. Il y'avait effectivement une petite cascade à mes côtés, et elle est particulièrement jolie. Je suis ravie de poser mon regard sur elle, et ravie qu'elle ait été la première à me réveiller.
L'autre personne m'aide à me mettre debout. Dans le geste un peu maladroit, je vois ma chevelure venir se perdre dans mon cou. Mes cheveux sont longs et blancs, ils sont absolument magnifiques. Je suis contente.
Je serre un peu fort la main de mon 'tuteur', il est très gentil avec moi et semble être là pour moi, rien que pour moi. J'en suis touchée.
- Tu vas venir avec moi, je vais t'emmener là où tu dois aller pour suivre ton propre chemin.
- Où suis-je ?
- A Libra.
Ça ne m'avance pas plus, mais le nom est joli. Je ferais avec. Le jeune homme à l'âme bienveillante m'emmène vers un énorme hôtel qui transpire la beauté. J'ai du mal à définir ce que je ressens, c'est comme si je découvrais le sens de certains mots, de certaines impressions ou sentiments au fur et à mesure que mes pas me portaient vers d'autres horizons.
Dès mon entrée dans l'hôtel, on se dirige vers la réception. L'homme qui se tient derrière le comptoir semble accueillant lui aussi, je vais sûrement me plaire ici. Il me sourit, je lui réponds de la même grimace du mieux que je peux.
- Quel est votre nom ?
- Mon n... quoi ?
- Oui votre nom, choisissez-en un !
Quelle drôle d'idée ! Je ne sais pas, c'est difficile, je me retourne vers mon 'sauveur' pour lui demander son avis mais il est partit un peu plus loin, il m'a laissée toute seule et il semble rire avec d'autres confrères. J'entends leur conversation d'où je suis.
- Alors, tu as encore trouvé une petite vagabonde ?
- Oui, elle a une drôle d'allure, vous trouvez pas ? Enfin bref, j'en ai une autre à aller chercher, à plus tard !
Il ne me regarde même pas quand il part, je n'étais pas quelqu'un d'important pour lui. Je n'étais que son travail, qu'une 'vagabonde'. J'ai mal au ventre, mon cœur se serre. J'ai comme l'impression d'être rejetée, abandonnée.
Le réceptionniste me demande mon nom une nouvelle fois, mais je n'arrive plus à parler. Je suis muette, rongée par ce sentiment infâme qui me dévore et dont pour l'instant, j'ignore encore toutes les souffrances. Je regarde l'homme en face de moi qui ne doit pas me voir lui non plus comme quelqu'un de plus particulier qu'un autre. Je fais une moue de dédain, je suis déçue.
Et puis d'un coup, comme si ça me paraissait évident, je mets un nom sur cette extinction de voix qui me possède, c'est de l'aphasie. Alors aussitôt, je saute sur l'occasion pour en faire mon nom, après tout, ce n'est qu'un prénom... lui non plus n'a pas d'importance.
- A... Aphazy.
- Très bien Aphazy. Souhaites-tu un logement en campagne ou en ville ?
- En ville, à Libra.
- C'est noté. Et pour ton métier ?
- Mon quoi ?
Je me frotte le crâne, j'ai mal à la tête. C'est un peu trop d'informations d'un coup pour moi. Il semble le remarquer et prend le temps de m'expliquer que je viens d'arriver et que tout se déroule par étapes. Un nom, un logement, un métier. Mais je ne sais pas ce que je sais faire, ou ce que j'ai envie de faire.
- Je ... j'ai envie d'être dehors.
- C'est déjà un début. Tu veux rafler ?
- Non... Je veux être avec la nature.
- Alors sois Jardinière.
- Et si ça ne me plait pas ?
- Tu pourras changer.
Alors va pour ça, de toute façon... là tout de suite c'est trop tôt. Je n'arrive plus à rien. J'ai toujours mal de l'indifférence de mon tuteur. Je pensais qu'il serait là pour moi, toujours. Je me suis attachée à lui en si peu de temps que j'ai presque envie de m'enfermer dans une toute petite pièce sans lumière pour faire le point sur moi-même.
Le réceptionniste me tend l'adresse de mon nouveau chez moi. Je le remercie et ressort de l'hôtel. Finalement, ce monde n'est peut-être pas aussi bien qu'il le paraissait.
Il a l'air beaucoup trop grand pour moi... Je ne sais pas comment je vais faire... J'ai peur.