Sujet: Sois sage ô ma douleur. (Opium) Dim 10 Mai - 23:08
Il avait un vers en tête, mais parce qu'il était mort, il ne pouvait vraiment plus s'en souvenir. Pourtant, Yemdel se souvenait avoir su ce vers un jour, et peut-être même le poème tout entier, en étant persuadé qu'il ne pourrait plus jamais l'oublier. Ce n'était pas le cas : sa mémoire effacée ne parvenait plus à se rappeler de ces mots qu'il chérissait. Seul le souvenir, fugace par ailleurs, de ce vers était resté. Et il l'obsédait en cet instant précis, comme à chaque fois qu'il pensait à cette jeune vagabonde qui souffrait temps. De quoi parlait le vers ? Yemdel ne savait plus vraiment, mais il avait l'impression que la douleur y était pour quelque chose. Et le nom de ce poète... ce nom ne lui revenait plus. Il ne savait même plus s'il s'agissait d'un auteur de son pays d'origine ou non. Cela n'importait pas vraiment, de toute façon. Le choix du lieu n'était pas innocent : Yemdel avait choisi le plus beau lieu qu'il connaissait en ville, celui qui se prêtait le plus à ce type de rencontres, sans toutefois être trop éloigné de la civilisation. Monsieur aimait la symbolique, et son humeur poétesse était sans doute pour quelque chose dans le choix du fleuve comme lieu de rencontre. Car quoi de plus poétique qu'une rencontre auprès de l'eau qui coule, douce et apaisée. L'heure n'était pas au fleuve violet, et la proximité des bâtiments rendait le cadre moins idyllique, mais il ne se voyait pas choisir un autre lieu. Il voulait choisir le cadre le plus paisible possible pour sa rencontre avec Opium. Cela faisait déjà un certain temps que le lieutenant avait entendu parler d'elle. La vagabonde de la douleur... un spécimen dangereux à laisser en liberté, mais qui ne pouvait que provoquer de la pitié chez Yemdel. Ne l'ayant jamais rencontré, il ne savait pas encore quoi penser d'elle. Si elle souffrait, il était de son devoir de l'aider, mais si elle faisait souffrir les autres, il était de son devoir de l'arrêter. Victime ou coupable ? Il se posait encore la question. Mais ce n'était peut-être qu'une des facettes qui l'intéressait. Yemdel voulait voir à quoi ressemblait une personne dans le genre d'Opium. Cette curiosité pouvait paraître stupide, voire morbide, mais il abordait la question avec sa neutralité professionnelle. Pouvait-elle être pleine de vie ? Pouvait-elle avoir goût à la vie malgré la douleur ? Yemdel pensait que toute vie devait être vécue et, pour cette raison, il s'était engagé corps et âme dans son métier de garde. Le lieutenant s'installa au bord du canal, laissant ses jambes frôler l'eau sans se faire mouiller. Il tenait à garder son uniforme aussi propre que possible, et peu importe si cela le rendait encore plus impressionnant que d'ordinaire. Yemdel était d'une apparence austère, pas souriant pour un sou, toujours très droit et bien habillé, à tel point qu'il aurait dû se demander pourquoi il n'effrayait pas systématiquement les gens qu'il abordait. Peut-être parce qu'au fond de lui, il était heureux de ne pas leur ressembler, de se sentir meilleur qu'eux tous. Mais également parce qu'il pouvait se montrer profondément gentil lorsqu'il travaillait. On pouvait lui reprocher beaucoup de choses, mais pas de ne pas faire correctement son travail. Pourtant, Yemdel ne prit pas la peine de se lever lorsque son invitée pointa le bout de son nez. Il avait réussi à la convaincre de venir en parlant à l'amie qu'Opium avait dans la garde. Il était très heureux d'apprendre qu'elle avait accepté son rendez-vous. Yemdel ne savait pas vraiment ce qu'elle attendait de lui, mais il le découvrirait bien assez vite.
« Merci d'avoir accepté mon invitation, dit-il en guise de préambule. Installez-vous si vous voulez, sinon, nous pouvons aller ailleurs. Je suis en tout cas ravi de faire votre connaissance. »
Son ton était aussi chaleureux qu'il le pouvait. Mais Yemdel avait presque envie de pleurer en la voyant. Elle lui faisait mal au cœur avant même d'avoir eu l'occasion de parler. Il se devait d'être fort, de résister à toutes les douleurs qu'elle pourrait susciter en lui. Un doute, pourtant, le taraudait : serait-elle capable de réveiller les douleurs de sa vie passée, des douleurs qu'il avait complètement oubliées mais qui étaient pourtant ancrées en lui ? La trahison, la douleur de la balle, et l'influence néfaste que sa famille avait sous lui... s'il ne s'en souvenait pas distinctement, pouvait-il encore ressentir quelque chose ? Il regrettait déjà de ne plus se souvenir de ce vers... Il lui manquait quelque chose.
Opium
conscience vouée à l'errance
MESSAGES ▲ : 1135 DATE D'INSCRIPTION ▲ : 30/12/2014 AVATAR ▲ : Kirishiki Sunako 【SHIKI】 DIT ▲ : La Désolation ANECDOTE ▲ : ▬ dealeuse à la ville de libra ▬ observe les humains car c'est le seul moyen de comprendre pourquoi elle est née ▬ souffre pour l'éternité FICHE RS ▲ : www
Sujet: Re: Sois sage ô ma douleur. (Opium) Ven 22 Mai - 3:06
Elle n'était rien. Elle ne possédait rien. Juste un fléau pour ami qui lui imposait sa présence sourde et lancinante. Nulle couleur ne brillait en ce monde fait de teintes de gris sombres, là où tout était froid et éteint. Les seuls sentiments qu'elle connaissait étaient la rage, ardente et aveugle, ainsi que le mépris glacial qui se pressait sur ses lèvres closes. Le monde été taillé dans des diamants aiguisés, fait de surfaces glacées et coupantes reflétant l'humain dans sa profonde misère. Elle était née de cette imperfection humaine, de leur faiblesse les rendant vulnérables à la souffrance et aux maux. La douleur était inscrite dans ses fibres noueuses, dans chacune de ses cellules, son diaphane était tissé de toutes ses souffrances. Elle était laide et faible. A l'image des hommes qui avaient provoqué sa conception.
Le sort avait une vision personnelle de l'ironie, il l'avait pourvu d'un châtiment éternel pour que chaque instant, chaque seconde s'écoulant dans la ligne du temps se charge de lui rappeler de quelle engeance elle était le fruit. Elle était le poison sulfureux sévissant chez les hommes, leur cauchemar personnifié. Elle était répugnante, inspirait la pitié. Elle les haïssait pour cela. Ceux qui se détournaient honteusement devant son visage, ceux qui baissaient les yeux à son passage, ceux qui l'ignoraient de leur superbe et taisaient son existence. N'était-elle pas leur création ? Mais la vie pour eux continuait, inlassablement, répétitive. Et ils vivaient, avec fraîcheur et bonheur, tandis que sa vie se résumait à des cris insoutenables d'agonie. Elle dérangeait, renversait leur croyance et leur vision, alors il était plus aisé de vivre pleinement leur vie en espérant que ce virus ne s'immisce pas dans leur cocon fait de rose et de soie. Elle n'avait que du mépris, de l'indifférence pour ses êtres qui ne méritaient même pas son attention. Mais pourtant, elle était obligée de se mêler à eux, et la curiosité, la nécessité de vivre parmi eux s'était fait ressentir. La société était un système bien huilé, ne permettant pas de vivre en autarcie. D'autant plus qu'elle n'en restait pas moins à la recherche de quelque chose en l'humanité.
Elle n'avait trouvé qu'un moyen d'extirper toute sa colère, tout son ressentiment. La chaleur dont elle avait entendu parler, la beauté ou même l'amour et l'amitié, toutes ses notions qu'elle arrivait parfaitement à définir n'avaient de sens qu'avec des lettres. Elle n'avait rien trouvé, sinon ce vide creux insoutenable, ce fossé qui la différenciait des autres et faisait d'elle un parfait monstre. Chaque regard, chaque murmure qui lui était lancé la distinguait à cause de sa singularité. Elle était cette infamie, cet être errant qui jamais ne trouverait sa place, qui jamais ne connaîtrait la joie. Elle persistait pourtant, plus par dépit que par envie. Elle n'avait pas davantage de choses d'autres à faire que de vivre, vu son immortalité. C'est ainsi que le souffle faible, les pas silencieux réveillant des douleurs inconnues à ses muscles, qu'elle arriva près des rives de l'éphémère. Le nom de ce fleuve était incongru, pour un paradis idyllique, voulu utopique et surtout éternel, à l'image de la déesse régnant sur les yeux. Elle posa ses yeux sur l'homme qui l'attendait et sur le rivage. Une cliente dans la garde impartiale lui avait fait part de l'intérêt d'un de ses collèges, et finalement il lui avait donné rendez-vous en ces lieux. Certainement pas pour faire ce que font si bien les humains, essayer de charmer l'autre. Un peu par curiosité, et car son amie avait insisté, elle avait fini par accepter. Elle s'installa à ses côtés à une trentaine de centimètres, ses jambes trop fines et trop petites pour être proches de l'eau, sa robe violette reposant sur ses genoux. Elle s'empara de son paquet de cigarettes situé dans la poche de sa veste, l'écoutant sagement, et finit par l'allumer.
Soufflant la fumée blanche se diluant dans l'air, elle posa ses deux excavations vides et creuses sur le visage de son interlocuteur. Ses yeux étaient froids, semblaient n'avoir aucune profondeur autre que le vide éternel, ou la grandeur de la souffrance des hommes. Alors ses lèvres se retroussèrent en un sourire fatigué, son visage portant les marques de sa condition, reflétant ce que les hommes redoutaient tant. Sa voix froide s'éleva doucement, son teint était clair et pourtant tranchant, promesse sombre, semblant réveiller les démons que l'humain prenait tant de précaution à dissimuler.
_ Opium. Je ne suppose que je n'ai pas besoin de me présenter.
Sujet: Re: Sois sage ô ma douleur. (Opium) Lun 25 Mai - 12:24
La présence d'Opium serrait le cœur de Yemdel. Sa taille si petite, la fragilité de son corps offraient un contraste saisissant avec sa présence et l'aura qu'elle émettait. Réussir à la regarder, à soutenir son regard, était un exercice plus complexe qu'il n'y paraissait, et Yemdel était pris de l'envie de ne pas le faire. Certains, peut-être, aimaient la douleur, mais le lieutenant ne faisait pas partie de ces masochistes-là. Car Opium n'avait pas d'yeux, et c'était peut-être cela le plus dérangeant. Le reflet de l'âme était absent chez cette jeune fille. Il n'était pas au courant, d'où sa surprise lorsqu'il avait remarqué cette particularité physique. Bien sûr, il ne fallait pas se fier aveuglément aux yeux. Yemdel savait par exemple que les siens étaient trompeurs : froids, presque méchants, ils occultaient totalement le fait que leur propriétaire était en fait l'une des personnes les plus serviables de Libra. Mais dans le cas d'Opium, comment ne pas croire que ce vide représentait quelque chose de la personne ? Difficile de savoir. Avant de pouvoir entendre sa voix, Yemdel dut patienter un peu. Opium s'installa comme il le lui avait demandé et sortit un paquet de cigarettes. Avant sa mort, cette odeur était plus que familière : elle dominait la vie de Yemdel. Tout le monde fumait. Mais maintenant, il l'avait complètement oubliée, et il fut presque surpris de voir la fumée blanche sortir de la bouche d'Opium. C'est vrai, il y avait quelque chose de beau dans ce geste. La fumée adoucissait les traits d'Opium. Mais lorsqu'elle se dissipa, ce furent les deux yeux vides d'Opium qui le fixaient. Un léger tremblement mal réprimé se répandit dans le corps de Yemdel. Malgré tous ses efforts pour être professionnel, il avait l'impression d'avoir une poupée brisée devant lui. Une poupée qui pouvait lui faire beaucoup plus de mal que le plus détraqué des criminels. Je ne connais pas la douleur, essaya de se convaincre Yemdel. Je n'ai jamais vécu d'événement traumatisant. Je n'ai jamais reçu que quelques petites blessures physiques durant mon entraînement. Je n'ai jamais été mutilé ou gravement malade. Tout va bien. Alors pourquoi son corps, et plus indistinctement son esprit, avaient l'impression que c'était le cas ? La voix d'Opium le ramena à la réalité, dépourvue de tout sentiment affectueux ou chaleureux. Elle lui rappela alors pourquoi Yemdel était là. Il se présenta en retour :
« Yemdel, dit-il sans préciser son grade, trouvant cette présentation plus amicale. Non, vous n'avez pas besoin d'en dire plus, j'en sais déjà beaucoup sur vous. » confirma-t-il au passage.
Yemdel fut plutôt heureux de l'image qu'il renvoyait : il donnait l'impression de ne pas être (trop) impressionné par Opium et de ne pas faire attention à la douleur qui l'entourait. Ce n'était pas totalement un hasard : pour pouvoir être un militaire haut gradé, il fallait être bien dans sa peau et être capable de surmonter un minimum la douleur. Restait à savoir combien de temps il pourrait y résister. Il sentait comme un poids particulier à l'endroit où la balle l'avait touché lors de sa mort, même si son esprit l'avait complètement oublié. Son corps s'en souvenait encore, et avec ce souvenir physique, celui d'une amère trahison. Il ne fit pas attention à ces tiraillements que la présence d'Opium lui imposait. Yemdel se répétait qu'il avait une mission, et qu'il ne pouvait pas échouer si prêt du but. Il continua donc sur sa lancée, reprenant sa phrase là où il s'était arrêté.
« Opium, vagabonde de la douleur, qui sévit depuis quelques temps déjà à Libra. Elle est auréolée d'une aura de souffrances qui touche les habitants. En tant que tel, je ne peux pas rester sans agir... »
Yemdel suspendit sa phrase sur cette partie un peu menaçante. En entrant dans la Garde, il avait enfin eu la possibilité d'assurer la sécurité des citoyens, chose qu'il n'avait pas vraiment pu faire dans sa première vie, où il avait subi la mauvaise influence de ses pairs. Libéré de toute entrave, Yemdel avait enfin pu tout faire pour devenir un homme bon. Il remplirait la mission qu'il s'était imposée et personne ne pourrait l'en empêcher. Cependant, sa charge de garde avait un autre pan que Yemdel, au bout de quelques secondes, aborda :
« Néanmoins, on dit que vous êtes la première à souffrir, et cela, c'est aussi mon affaire. Vous faites partie des habitants de Libra autant que n'importe qui d'autre. C'est mon devoir de vous aider. » Même si, à son ton, Yemdel semblait plutôt être en train de la réprimander que d'éprouver de la compassion pour elle. « S'il y a un moyen de vous libérer de la douleur qui est la vôtre, il faudra la saisir. » assura-t-il encore.
Yemdel savait que c'était bien plus facile à dire qu'à faire. Une partie de son esprit avait par ailleurs conscience que les vagabonds étaient liés au sentiment qui avait présidé à leur naissance, et les priver de ce sentiment reviendrait peut-être à les faire mourir. Il le savait, mais si c'était nécessaire, Yemdel était prêt à tuer et mourir. Lui aussi était vide, comme ces yeux : il ne vivait pas pour lui, mais pour les autres, ou bien pour un idéal. Il était comme programmé pour faire le bien, alors qu'il était seulement sauvé. Alors, s'il avait été un vagabond... Yemdel trouva le courage de regarder Opium droit dans les yeux. Il ne savait pas vraiment comment il s'y prenait, parce que ces yeux lui donnaient des frissons de moins en moins contrôlables et qu'il n'avait qu'une envie : s'éloigner d'elle, mais il y arrivait plus ou moins bien. Certes, il voulait pleurer, hurler, s'échapper de cette torture qu'il s'imposait en la regardant, mais il avait un esprit fort. Encore.
« C'est pourquoi je voulais vous poser la question directement, après avoir constaté par moi-même qui vous êtes : puis-je faire quelque chose pour vous aider ? »